Des heures de marche. Au moins six… Oui, pompons caduc à floraison fiscalo-démente. Que je vous honnisse les tenants, et surtout les aboutissants, de cette halte.
Marie-Marie était toujours endormie. Légère certes, mais quand on fonce à travers la sylve sauvage, comme l'écrivent mes grands z'ainés (qui, contrairement à mézigue, sont devenus classiques en le faisant exprès) avec un fardeau sur les bras, on finit rapidos par en avoir molto dans les endosses.
Au bout de trois plombes de marche forcée, Ibernacion a compris que je mollassais des triceps.
— Arrêtons-nous, conseille-t-elle. nous confectionnerons un zizi-panpan avec des lianes.
Elle m'explique alors qu'un zizi-panpan est une sorte de filet dont les vieilles squaws se servent pour porter leurs lardons dans le dos, façon sac tyrolien, là là i tou, o là là i tou !
Moi, vous me connaissez ? Je lui rétorque que chez nous, zizi-panpan signifie autre chose. Curieuse comme une femme, elle m'interroge. Pour lors, oubliant notre situation (fâcheuse), celle du cher grand Béru (plus fâcheuse again), je dépose délicatement Marie-Marie sur un lit de feuillages et j'entraîne Ibernacion à quelques encablures de là, pour si des fois la gosse s'éveillerait au mitant de ma démonstration.
— Un peu de repos du reste nous est nécessaire.
Cela dit, peut-on appeler repos l'exercice auquel nous nous livrons, encore qu'il se déroule à l'horizontale ! Que non point. Car, mes bons amis (et si vous êtes prudes ou prudents sautez vite ce paragraphe à pieds joints) je la démarre dard- dard par le Grand Condé. C'est culotté non ?
Culotté n'est pas le mot qui convient, et pour cause ! Disons que c'est téméraire de faire le Grand Condé à une fille d'autorité, sans lui avoir servi les moindres amuse-gueules. Vous savez toutes et tous en quoi consiste le Grand Condé, aussi ne vous ferais-je pas l'injure de vous le décrire. Mais le plus fort de café, c'est que sitôt achevée cette délicate figure, je déballe à madame la troisième période du « Régiment des jambes Louis XV ».
J'ai bien dit : « La troisième période ! » Vous admettrez qu'il faut de la santé pour se lancer dans ce genre d'exploit. Il faut de la santé, et surtout, il faut être San-Antonio, je n'ai pas honte de l'affirmer (enfin pas trop). Franchement, Ibernacion n'est pas une frêle pervenche sur la mousse question radada-à-propulsion-interne. On devine la fille d'expérience, qui a délassé le guerrier, et qui pis est, le guérillero (personnage désœuvré par excellence). Elle appelle un Ché un Ché et y a belle burnette que sa vieille môme lui a enseigné qu'il fallait pas confondre ministre et spéculum (vu que ce ne sont pas les mêmes c… qui sont en cause). Pourtant, en toute objectivité, faut reconnaitre qu'elle est sidérée. Je lui révèle des trucs ! Je la révèle. Elle découvre des combines formides ! Elle ignorait que certaines choses existassent. Comme dit l'autre : « Elle trouvait que c'était joli à regarder, mais elle savait pas que c'était comestible ». Elle est effarée, la chère âme, je la transporte, l'illumine, la propulse, la voie-lacte. Et tout cela en pleine nature, mes gamins ! Dans la touffeur de la nuit Dieu que le c… du corps est beau au fond des bais ! Enfin quai, on s'aime bien, beaucoup, longtemps, encore ! On en revient, on s'en redonne ! On s'en redemande ! On en cause la bouche pleine ! On se dédie, on se dédicace l'un à l'autre. On se décore. Puis, les meilleures choses ayant une faim, on se décorps.
— Je préfère votre zizi-pampan au nôtre, déclare farouchement ma cou-quête. Mais maintenant, on va fabriquer celui d'ici.
Quelques lianes arrachées des troncs, vivement tressées et nouées. Hop ! V'là un beau bât pour porter Marie-Marie…
En avant… Harche ! comme disent les pontonniers du Génie. Nous marchons.
Et, comme j'avais bien l'honneur de vous le dire en tête de ce présent chapitre, à l'aube, nous parvenons en bordure de la nationale ooox (car elle n'est pas finie) qui va de Graduronz, la capitale je vous le rappelle, à Juan Minor (i) importante ville de l'état de Publiciss.
L'aurore aux doigts d'argents (allons bon, v'là que je dameduféminise) semble caresser les paupières de Marie-Marie car l'enfant ouvre les yeux, comme si sa prunelle n'attendait que les premiers rayons de soleil pour… (oh, puis zut, c'est trop noix à la fin).
— Où qu'on est ? demande-t-elle en clapant de la menteuse.
— On vient de sortir de la forêt, ma poule.
— Tu m'as portée, Antoine ?
— Fallait bien, tu en écrasais si fort…
— C'est donc à cause de quoi j'ai fait des cauchemars. Figure-toi que dans mes rêves y avait plein de Peaux-Rouges, comme dans les vouaisternes…
Elle rit.
— On se demande où tu vas chercher ça, grignette !
— Et m'n' onc' ?
— Il a pris une autre route !
— Tu l'as revu ?
— La preuve, puisque je te dis qu'il a emprunté un autre chemin.
— Pourquoi qu'on a pas resté ensemb' ?
— Pour dérouter nos poursuivants. Il valait mieux créer deux pistes, tu comprends.
— Patate comme je le sais, tonton, y va se retrouver chez plumaga, je te l'annonce.
— T'inquiète pas, je lui ai filé un rendez-vous à Graduronz, il finira bien par nous rejoindre.
— Si les petits Chinetoques et les guerriers-rosses le bouffent pas en route, ajoute la sympathique, mais sceptique enfant.
Elle bâille.
— J'ai soif.
— On va trouver de l'eau ; t'inquiète pas…
— J'ai faim !
— De quoi manger, aussi.
— Je voudrais me changer !
— Ecoute, moustique, je te promets des robes en mousseline, en velours, en organdi, en soie, en fil de la vierge, mais comme je n'aperçois pas de succursale du Printemps à l'horizon, pour le moment, fiche-moi la paix !
— Oh ; dis donc, tu t'es levé du pied gauche, c' main !
— Justement non, môme : je ne me suis pas couché et je t'ai trimbalée toute la nuit.
Elle me défrime de biais, l'air indécis avec une dominante de hargne.
— J' sais pas si c'est de m'avoir coltinée, Antoine, mais t'as les gobilles vachement cernées.
Je la laisse à des sous-entendus qui ne sont pas de son âge pont examiner la situation. A mon avis, elle est de moins en moins brillante dans son ensemble. Les forces gouvernementales, la colonie chinoise, les guérilleros et les Indiens Livaros sont à nos trousses. Je n'ai pas de fric et pas d'autres moyens de locomotion que ceux que ma Félicie m'a donnés.
Unique objectif : gagner coûte que coûte l'ambassade de France. Elle représente notre unique planche de salut.
— A combien sommes-nous de Graduronz, demandé-je à la sublime Ibernacion.
— Environ cent deux kilomètres, répond-elle.
Un bruit de moteur sur la route requiert tout mon intérêt.
— Si nous faisions du stop ? suggéré-je.
Elle secoue la tête.
— Dans ce pays, personne ne s'arrête. Au contraire, lorsqu'un automobiliste voit quelqu'un arrêté sur le bord de la route, il s'empresse d'appuyer sur l'accélérateur tant il redoute une agression. Il faut dire qu'elles sont courantes chez nous.