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— Guardias !

Et voilà trois escogriffes qui jaillissent d'une porte au pas de charge. Ils ont encore leurs cartes à la main. J'aperçois même un carré de dames dans celle du plus grand.

— Arrêtez cet homme ! aboie l'officier (z) en désignant le preux San-A.

Les trois gugus opinent, rangent leurs cartes dans la, poche supérieure de leur veste d'uniforme et tendent les bras vers moi.

— C'est trop fort ! dis-je au civil frileux, vous permettez qu'on appréhende un ressortissant français sous le toit même de l'ambassade. L'immunité diplomatique n'existe donc pas, ici !

— Ce pays est au bord de la révolution, murmure-t-il… Son Excellence elle-même est gardée à vue car le présent gouvernement l'accuse de participer à un complot hourdi contre lui.

Il a parlé à toute vibure. L'officier, s'il entrave la langue de Molière, n'a pas eu le temps de piger.

— Oh ! c'est donc ça, lamenté-je.

Vous avouerez que ça s'appelle un manque de pot complet ? Faire tout ce bigntz pour se coller dans les paluches des autorités dont j'essayais de me protéger… Ah, je les verrai toutes, comme disait une péripatétitienne de mes relations.

Là-dessus, les deux estourbis du porche font une entrée titubante, en clamant comme quoi je suis un bandit, un dynamiteur, un comploteur, un cou peloteur.

J'hésite à cogner dans le tas. J'essaie de faire un bilan éclair : ils sont déjà six, en armes, et doit y en avoir d'autres puisque l'ambassadeur est gardé à vue ! Tout ce que je risque de faire, en renâclant, c'est de provoquer une volée de bastos dont mes compagnes risqueraient d'être les innocentes victimes. Non, pas dé bagarre, décidé-je en écrasant machinalement mon poing sur la bouille du type qui porte la main sur moi. Le propre d'un réflexe, mes agnelles, est d'être incontrôlable. Plaouf ! J'emplâtre l'homme au carré de dames. Il part… à dame, oui, justement. Des brêmouzes lui sortent des fouilles. Il a que des dames dans ses autres poches, c't' enviandé de frais. Des bonnes femmes de pigne, de trèfle, de cœur et de carreau. En voyant cela, les deux antres joueurs médusent. Ils pensent plus à m'alpaguer. Ça leur fascine le mental, ces gonzesses de carton éparpillées sur le carreau. Elles tombent à pique, pour ma pomme. Ils en ont mal au cœur, les partenaires, de constater que leur pote les doublait pour leur piquer leur trèfle.

Mais l'officier les houspille sauvagement. Et puis y a les deux gardes plus bossués que l'évêque de Meaux qui me veulent leur revanche, bien saignante. Ils dérapièrent. Ça gueule. Ça se bouscule. Je fracasse une nouvelle mâchoire. Un archer veut me défourailler dans les endosses, mais Ibernacion lui tigresse le visage avec ses ongles. Manière de ne pas demeurer en reste d'héroïsme, la môme Marie-Marie a raflé un coupe-papier sur la table et embroche les miches passant à sa portée. L'officier se met alors à siffler. V'là quatre z'autres troufions qui se rabattent du premier. Je leur balance une chaise dans l'escalier, et ils dominotent en cœur pour finir le restant des marches sur les côtelettes.

Cette ambassade de France, c'est un film de Mac ou de Proc Seynett ! Mais que voulez-vous qu'il fît contre tant ?

La horde me déborde. Je recule sans cesser de cogner, tel le général (on le maréchal) Buxhövden à la bataille d'Austerlitz (le lendemain de cette victoire qui, pour lui, fut une défaite, ses têtes de camp le surnommèrent l'Hagard d'Austerlitz). Mes bonnes femmes, refoulées, contusionnées, décoiffées, sont réduites à merci.

Bon, tout est raté. Rendons-nous donc, à l'évidence d'abord, et tout court ensuite.

Mais que se passe-t-il ! Qu'arrive-t-il. Qui inopine brusquement, revolver au poing, mégot aux lèvres, chapeau rabattu sur le front ? Mirage ou miracle ? Non : réalité ! Pinaud ! Le cher, le vénérable, l'omniprésent Pinaud.

Il balance deux valdas au plaftard, à titre de premier avertissement. Les balles fracassent le lustre central dont les pendeloques de cristal pleuvent sur l'assistance. Rondubrazien, il est ce qu'il est, et il ne m'appartient pas de le juger ; pourtant, chacun sait en particulier, et tout le monde en général, que le courage n'est qu'occasionnel chez lui. Les militaires s'imaginent, sous cette pluie de verroterie, que Pinuche use d'une arme secrète. Hop ! Tout le monde lève les bras.

Il ne me reste plus qu'à rafler les pétoires de ces messieurs et à demander au chétif Français où se trouve la cave pour les y enfermer à triple tour en leur enjoignant de n'en pas bouger jusqu'à nouvel ordre, ou du moins jusqu'à ordre nouveau. Les gars sont plutôt joyces de couper à la corvée de révolution. D'autant plus qu'après chaque renversement de révolution, on tire au sort pour fusiller quatre militaires dont le gouvernement d'après fait des héros. Mes fantassins sont contents de ne pas participer au prochain tirage de cette curieuse tombola.

Le calme étant rétabli, je saute au cou de la Vieillasse.

— Peux-tu me dire ce que tu fiches ici, Pinuche ?

L'important rallume laborieusement la carcasse de hanneton qui lui tient lieu de mégot.

— Ne m'en parle pas. C'est à propos de Berthe Bérurier. Figure-toi qu'elle était le sosie d'une révolutionnaire rondubrazienne, qui…

— Je sais : une dénommée Bertaga Berruros, je crois ?

— En effet.

— Les services secrets rondubraziens, trompés par la ressemblance physique des deux femmes et par la similitude de noms, se sont mis à surveiller notre Berthe à nous… Ils l'ont kidnappée chez Alfred, après avoir buté la petite coiffeuse et grièvement blessé le merlan….

— Il est pas mort ?

— Non, aux dernières nouvelles, parait qu'on notait un certain mieux. Donc je me suis livré à une enquête très serrée, qui, rapidement…

— Tu sais que la pauvre Gravosse doit passer en jugement ?

— Je sais : le procès commence cet après-midi ; c'est pourquoi je venais demander à M. l'ambassadeur d'intervenir pour avertir le tribunal qu'il y a eu maldonne !

Le petit secrétaire toussote.

— Messieurs, si vous permettez, à propos de Son Excellence, précisément, il conviendrait peut-être d'aller la délivrer.

— Guidez-nous ! décidé-je.

En montant les escaliers, le maigrichard nous explique que l'ambassade a été investie brusquement, le matin même, sans que quiconque ait eu le temps de réagir. On l'a sommé de rester à son poste pour écarter tous les visiteurs, en le menaçant de mort au cas où il n'obéirait pas.

Nous, gravissons la volée de marbre. Une plaque d'or plaquée cuivre étincelle sur une porte à deux battants. On y lit : Cabinet de M. l'ambassadeur de France.

— Ils sont nombreux dedans ? soufflé-je.

— Deux encore ! répond l'asperme (g).

Je cligne de l'œil à Pinuche.

— A nous, ma vieille.

J'écarte doucement un panneau de la lourde.

J'avise un monsieur de belle prestance, parisiennement vêtu, dont les bras sont attachés aux accoudoirs de son fauteuil. Devant lui, deux types-habillés de complets fanés, écoutent Amérique Numéro 1 sur un transistor. Ce sont des poulagas en civil, probably des gus appartenant à la C.O.N.P.A.N.T.O.U.F.L.E., ce terrible comité de répression rondubrazien.

Nous leur bondissons sur le paltobok avec la frénésie d'une main de pick-pocket dans la poche d'un baron de Rothschild.

J'assomme le mien d'un coup de crosse, tandis que Pinaud, plus timoré, se contente d'intimider le sien avec son feu.

— Ah ! tout de même ! murmure l'ambassadeur.

Son secrétaire le déligote. Illico, l'Excellence saute sur le téléphone.

— Donnez-moi Paris ! fait-il.

Il déclare au flic rondubrazien encore conscient :

— Je vais dire au quai d'Orsay ce que je pense de vos procédés. Et il est prévisible qu'un processus de représailles sera entrepris à l'encontre de votre pays.