Le poignardanledossé soubresaute encore, mais ce sont les feux de la Saint-Jean. Bientôt il est feu tout à fait. Quinze centimètres d'acier dans l'horloge, ça ne pardonne pas.
— Encore merci, Ibernacion, dis-je. Tu fais toujours des entrées très remarquées.
Je me reconsacre à Tassiépa Sanchez.
— Approche, mon petit ami !
Il obéit. Sa brillantine lui dégouline en même temps que la sueur. Il est pâlot et ses genoux tendent à former un X parfait.
— Assieds-toi, gamin !
De la pointe du colt, je le propulse dans un fauteuil. Le siège, sous la poussée, balance un instant avec son chargement de viande effrayée.
— Où est le monsieur à l'auto rose, Sanchez ?
— Dans le grand hangar, castagnette-t-il.
— Vivant ?
— Oh, oui, oui, on était en train de le questionner.
Je tends une pétoire à Ibernacion.
— Tu veux bien aller délivrer Pinaud, mon cœur, sans vouloir te commander ?
— Naturellement, consent-elle.
Avant de s'éloigner, elle récupère son ya et essuie la lame sanglante sur les vêtements de sa victime. Son calme me fait frisquet dans le dossard. Je me dis que cette gerce, le jour où son jules lui fait du contrecarre, il peut préalablement réviser son assurance vie.
La v'là partie.
Je me tourne vers Sanchez. Ce n'est que provisoire car un je ne sais quoi de bizarre a attiré mon attention. Le poignardé… Bien qu'il soit face à terre, j'ai l'impression de le connaître… Sans cesser de braquer le majordome, je m'approche du cadavre et le retourne du bout du pied.
Dites, les gars : c'est Sin Jer Min En Laï, le chef technicien de la base.
Comme quoi la vie est pleine de rebondissements, hein ? Et mes bouquins encore plus !
CHAPITRE XV
MA PETITE (MA TOUTE PETITE) TÊTE, DE BÉRU
— Tu te rappelles ce que tu viens de me faire, n'est-ce pas, Sanchez ? Tu m'as filé un coup de poing sur le pif, comme ça !
Ma ration droite de cartilages lui écrase le tarin. Il résine en geignant. Mais, imperturbablement, je poursuis.
— Et puis tu m'en as filé un paquet d'autres sur les pommettes, tu vois, ici, ici, et encore ici.
Le chéri ressemble déjà nettement à un Michel Simon qui se croirait meilleur avec du concentré de tomate…
J'achève de le steack-tartarer pour me défouler la vigueur, me purger la rancœur et le conditionner. Lorsqu'il est gisant, gémissant, effondré, je lui picote les côtelettes de mon arquebuse.
— Je crois bien que je te placerai une dragée à ce niveau-là, et puis sans doute une autre dans le nombril pour te ventiler un peu la boyasse.
— Non, non, pitié ! dit-il en espagnol.
Le retour vasouillard d'un Pinuche boitilleux suspend notre colloque.
— Quelle crapule, dit la Vieillasse contusionnée. Ils s'apprêtaient à me découper en morceaux, lui et son ami chinois, lorsque tu es arrivé. Ils voulaient savoir pourquoi je venais et qui m'envoyait. J'avais beau leur dire que…
Je calme le Démantelé.
— Laisse, tu me l'écriras, j'ai à causer avec ce joli cœur. Pendant ce temps, va dans la pièce principale et regarde sur le grand bahut si mon appareil récepteur s'y trouve encore.
Le Désintégré obéit :
— Ainsi donc, Sanchez, tu étais en cheville avec les Chinetoques ?
Le canon de ma bombarde ajusté à son oreille le pousse aux confidences. Pour achever de le décider, je lui déclare :
— Si tu ne me dis pas la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je presse la détente et t'as aussi sec la communication avec lau-delа. Alors, vas-y, beau brun, et pas d'omissions, sinon il n'y aura pas de rémission.
Quand on sait parler aux hommes, on finit toujours par obtenir la vérité. La vérité est une matière brute qu'il faut longuement raffiner avant qu'elle ne trouve l'éclat du neuf ! Elle a besoin d'être extraite, décantée et polie.
Tassiépa Sanchez raconte la sienne comme un médium raconte les galipettes de votre arrière-grand-mère avec l'archange Truquemuche.
Il a été contacté par Sin Jer Min En Laï, lorsque la base a été édifiée, afin de servir d'indicateur.
Lorsque nous sommes arrivés à San Kriégar, il s'est grouillé d'affranchir le chef technicien et de lui révéler l'objet de notre mis Sion. Ainsi donc, Sin Jer Min En Laï a-t-il été tenu minutieusement au courant de notre entreprise et savait-il parfaitement qui était le pseudo-Krackzek et ce qu'il venait maquiller dans son camp.
— Mais alors ! interromps-je, s'il savait, pourquoi n'a-t-il pas immédiatement neutralisé Bérurier ?
— Parce que l'arrivée de votre inspecteur servait ses plans, señor.
— Quels étaient-ils ?
— Sin Jer Min En Laï cherchait le moyen de s'approprier la réserve de sulfocradingue pour la vendre aux Américains qui lui en proposaient un gros prix et lui promettaient un passeport norvégien.
— Un Maoïste, se laisser acheter ! m'indigné-je malgré moi.
— Je comprends. Ça l'arrangeait qu'on vienne foutre la merdouille dans la base, hein ?
— C'était la Providence qui vous envoyait.
— Mais, le sulfocradingue ?
— Il l'avait mis en lieu sûr, señor. Ce sont des flacons d'éther que votre collaborateur a débouchés.
Ça vous flanque envie de demander votre retraite anticipée, des révélations de ce genre. Nous qui avions au moins la satisfaction de la mission réussie, v'là que j'apprends qu'on a été cornards de bout en bout et qu'au lieu de chancetiquer la base on servait la soupe à un coquin !
— L'Indien Ifoti, c'était un moyen de tenir ton complice au courant de mes faits et gestes ?
— Oui, señor, piteuse Sanchez.
— Et si on a buté le pauvre don Enhespez, c'était pour te libérer le domaine, pas vrai, ma vache ? Le prix de ta complicité ?
Tassiépa désigne le mort.
— Il voulait aussi s'assurer une retraite en cas de coup dur. Ce qui s'est produit, puisque la révolution d'été a éclaté juste à ce moment-là !
— Bien joué. Tu as une idée de l'endroit où se trouve la réserve de sulfocradingue ?
— Elle est dans la chambre du Chinois, señor. Une petite valise d'osier, très lourde parce que l'intérieur est en terre réfractaire.
Pour un peu je l'embrasserais, s'il n'était pédé, dégoulinant de sang et puant personnage. Je me disais : défaite ! que non ! Victoire totale, raffinée ! Oh ! la bouille du Vieux quand je déposerai sur son burlingue la précieuse matière en lui disant : « Nous avons fait mieux que la détruire monsieur le directeur : nous vous l'avons rapportée ».
— C'est ça que tu cherches ? me demande l'ineffable Pinuchet en se rabattant with mon appareil.
Oui, Pinaud ! Cette hacienda est un mas de cocagne. On y trouve tout, y compris ce qu'on n'y cherche pas !
A nouveau l'âcre fraîcheur de la forêt. La forêt, avec ses oiseaux braillards, ses senteurs opiacées et son mystère…
Ibernacion marche devant moi. Plus privilégié que les fans d'Henri IV, je me rallie à son mignon valseur ondulant sous le jupon. Bath point de mire, mes agneaux !
Nous sommes deux, car j'ai expédié Pinuche dare-dare à Graduronz pour qu'il aille mettre le sulfocradingue en lieu sûr dans le coffiot de l'ambassade. Vous me voyez pas partir à la recherche de Béru, dans la sylve équatoriale, avec ce précieux chargement ?