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— Je crois que nous ne devons pas être très éloignée de la région des Livaros, annonce ma guidesse.

Je dégage l'appareil récepteur de mon sac tyrolien, le branche et tends l'oreille.

Au début ça sifflote comme un poste de radio resté branché après la fin des programmes. Je tripatouille légèrement l'enfouisseur de présentement, je mollassonne le compucteur à graffitti variable, je cramouille la délabrance poreuse et des sons s'échappent enfin du mateur à jetons salaces. Une voix gutturale, n'ayant rien — oh, mais rien du tout, — de l'organe béruréen retentit.

— On dirait du Livaro ? dis-je à Ibernacion, car j'ai l'oreille fine, et plus que l'air marin la douceur angevine (de poitrine).

Elle opine en me gesticulant de me taire.

— Tu comprends ? Au moins !

Elle ré-opine (car elle aime ça). La voici qui me traduit au fur et à mesure (le furet le plus efficace qui soit).

— La tête du Blanc n'est pas encore assez réduite ! Il faut ajouter plus de heurgschpreugh, dans la décoction…

Je ferme. Pas besoin d'en écouter davantage. Adieu mes espoirs ! Adieu, veau, vache, cochon, Béru !

Ibernacion me prend le bras.

— Mon Antonio querido, tu as du mal, n'est-ce pas ?

— C'était mon meilleur ami, réponds-je en réprimant les sanglots qui me dilatent.

— Allons, viens, repartons, tout est inutile maintenant ! fait-elle. A quoi- bon courir ce danger puisqu'on ne peut plus rien pour lui !

— On ne peut plus rien pour lui ; mais on peut encore pour nous. Crois-tu que je vais laisser ces monstres réduire la tête de mon ami pour en faire un article d'exposition !

En fille soumise elle n'objecte pas et s'apprête à me précéder.

— Les Livaros se trouvent donc dans un rayon de moins de deux kilomètres, dis-je. Mettons nos masques, préparons nos grenades fumigènes et allons-y !

Car j'avais préparé notre expédition, mes aminches ! Sachant que les Livaros adorent les animaux (et en ayant eu la preuve) je nous suis pris des masques de caoutchouc représentant une biche, pour Ibernacion et un singe pour moi.

Il y en avais un pour Pinuche reproduisant une tête d'épagneul ; mais il est disponible, étant donné l'absence du Déchet, aussi suis-je prêt à examiner les propositions de rachat qui me seront adressées.

Nous nous masquons ; je passe des grenades lacrymogènes dans ma ceinture et en route !

Le nouveau campement des Indiens est situé dans le delta d'un fleuve : On franchit le bras le plus étroit en utilisant un pont à mousson, ainsi nommé parce qu'il est nécessaire pendant la saison des pluies… Nous avançons prudemment. Soudain ; une sentinelle livaro nous aperçoit alors que nous ne l'avions pas vue dans son tronc creux de galavas léfalo. Elle se met à débander, lâche son arc et se jette sur le sol en criant :

— FIeugh ! Mondiengh ! Fitieugh !

Je constate que ma ruse est efficace et je continue d'avancer.

L'esplanade, comme toujours, avec les constructions hâtivement bâties (n'a-t-on pas surnommé l'Indien livaro : « le castor qui n'en fait qu'à sa tête ! ».) Une construction centrale occupe le milieu du village, puisqu'elle est centrale, et quelque chose d'atroce, d'horrible, d'épouvantable, de démesurément cruel, d'insoutenable de hideux d'hallucinant (j'allais l'oublier çui-lа) m'assaille le regard, me le profane, me le broie.

Quelque chose qui pend, qui se balance, qui tournique dans la brise soufflant du fleuve.

Vous avez déjà deviné quoi t'est-ce, aurait dit le Vaillant. Oui, Françaises, oui, Français, il s'agit bien de la tête du brave A-B. B.

Déjà de la grosseur du poing ! Bientôt de celle d'un œil…

Misère ! Malédiction ! Ma qualité d'homme trébuche ! Je défaille de la tripe. Vomi soit qui mal y pense !

Béru, ma petite tète ! Béru, mon…

— Qu'est-ce que tu racontes, un homme-singe, Paulo ! gronde une voix à laquelle la réalité m'empêche d'attacher le moindre crédit.

— Mince ! reprend la même voix. Mais je parie que c'est le gars San-A. qu'est venu me récupérasser !

Je regarde. J'arrache mon masque de caoutchouc pour mieux voir, n'en rien perdre. Béru s'avance en se dandinant. Un Béru plus énorme que jamais. Ses fringues ont craqué de partout, tant il est redevenu volumineux en quelques jours ! Sa chemise est devenue un boléro. Son pantalon est devenu n'importe quoi. Il a une fesse entière à l'air, le bide par-dessus le dernier bouton de la braguette et une demi-douzaine de beaux mentons plantureux !

Il s'approche et m'embrasse.

— Ah, mon San-A., je savais ben que t'allais reviendre ! Il est temps vu que je commençais à me faire du lard avec leur tortore à la c… ! Rien que de la farine de maniaque, gars, et de la viande de sanglier bien grasse ! J'ai l'embonpoint qui s'est remis sur la force ! Mate un chouia ! Mon organisse n'attendait que le feu vert pour replonger dans le dodu !

— Mais, tu es vivant ! bafouillé-je.

— Mort, moi ! Le Gravos se bidonne.

— Tu m'as pas regardé !

— Oh si, je te regarde, Béru ! Je te fixe ! Je t'admire ! J t'approuve ! Comme tu es beau, habillé de gras ! Te voilà enfin dans ton vrai format, mon vieux pote ! Luisant, pétant, tendu !

— Mais, et ça ! fais-je en désignant la tête !

Il se marre de plus belle.

— Ça ! C't' une maquette réalisée dans de la peau de singe. Y a belle burette que les Livaros ne réduisent plus les tronches ! Y z'ont perdu le secret, mais ils continuent mine de rien leur négoce en fabriquant des petites-têtes bidons, vachement ressemblantes. Leur chef des ventes vient d'avoir une forte commande sur la mienne, paraît-il. Une firme d'Europe qu'est séduite et qu'en voudrait une tartinée ! C'est flatteur, non ? La nouvelle est toute récente, pas vrai, Paulo ? aoute-t-il en apostrophant le vieux chef au nez de rapace : celui qui ne supporte pas le tabac !

— Ouiheugh ! lâche le calumet-man.

— Tu sais, c'est pas le mauvais cheval, Paulo, reprend le Mastar. Si je te disais, contrairement à ce qu'ils laissent croire : ils dégoupillent pas leurs prisonniers blancs, les Livaros. Ils les collent dans des réserves à eux, au cœur de la forêt. Le dimanche, les parents des attributs environnantes y emmènent leurs gosses pour leur montrer comment que c'est fait, les Blancs. A quel point ils sont civilisés, connards, bêcheurs, vantards, paumés et tout !

Mon Gravos me prend le bras.

— C'est vachement éducateur de voyager. Ça te permet de vérifier coup que les bonshommes sont partout pareils : dans les pays latins, dans les pays en gros parons chez les peaux jaunes, noires ou rouges ! Pareils, mon pote ! Une vraie épidémie de cloportes ! Y pensent qu'au fric, à se pavaner et à blouser les copains.

« Allez, viens dans, ma case que je te présente à ma scouave, une chouette luronne, un peu forte des jambons qui reluit comme une pomme, mais à qui j'éduque, l'essentiel de nos rudimentaires amoureux. Elle a un blaze si tellement compliqué que je l'ai baptisée Germaine. Ça va m'écorcher le sentiment de la quitter, mais quoi, je peut pourtant pas l'emmener à Paris. Ma Berthe comprendrait pas, elle qu'est jamais sortie de son trou. »

ET MAINTENANT

CON…

— Si Son Excellence » les señors veulent bien patienter un instant, fait un secrétaire barbu en fourbissant une paire de pistolets à crosse de nacre, la présidente Bertaga est en conférence !

M. Antidémoc, Béru, Pinuche et votre serviteur s'assoient sur une longue banquette de velours rouge, face au portrait en pied de la présidente, hâtivement brossé par Bernardo Aparador (i) le plus grand peintre vivant de Rondubraz.