Выбрать главу

— Je m' f'sais une aut' idée de toi, Antoine, quand tonton Bérurier nous causait de tes prouesses. Tu devrais te faire garde-barrière avec ta mentalité pote-au-feu. 'reusement que ton patron est plus gonflé et qu'il a enfin compris que votre histoire de coffre à la mords-moi-l'œil, c'était plus mon affaire que celle à mon onc' !

La petite fille tourne vers le Dabe une frimousse radieuse.

— Vous êtes formide, lui dit-elle ; seulement, moi, à vot' place, je m'achèterais une perruque !

CHAPITRE III

Y A COMME UN DÉFAUT !

— Dis donc, Krackzek…

L'homme ne bronche pas. Je reprends, en montant le ton, et d'une voix légèrement chantante :

— Oh ! Oh ! Krackzek !

Le bide.

— Krackzek, espèce de sale c… ! tonné-je enfin.

Lors, le type prostré lève sur moi un regard si lourd qu'il va devoir bientôt le coltiner dans une brouette.

— Oh ! oui, mince, gueule pas si fort, San-A. Je me rappelais plus.

Il ressemble à un vieux poitrinaire, Béru. Il nage dans ses fringues. Un gugus de cirque. Il lui manque plus qu'un nez qui s'allume, une tignasse rousse pivotante et un saxophone pour parfaire l'illuse :

— T'auras bonne mine, à Santa-Maria Kestuféla, lorsque les gars t'interpelleront et que tu continueras d'avancer sans seulement dresser une oreille.

— T'inquiète pas, je sais m'entraîner… Seulement, dans l'état que je suis, mon mental fait un peu roue libre, essaie de comprendre. Chaque fois je suis été descendu an-dessous de cent kilos, je déboussolais du cigare. A plus forte raison maintenant que je vadrouille autour des soixante-cinq. Quand je vais aux cagoinsses, y me semble que si je me cramponne pas après la chaîne, je vais disparaître à tout jamais.

— On va te relubrifier la gamberge, mon pote. A partir de demain tu vas gober des pilules qui feront de toi l'un des plus grands penseurs du siècle.

L'Amaigri secoue ses fanons flasques.

— Cause toujours, ronchonne-t-il, j'aimerais mieux être un poids lourd con qu'un génie maigre.

— Natacha ! lancé-je à la cantonade.

Aussitôt, Marie-Marie qui sautait à la corde dans le jardin se précipite dans la pièce.

— Tu-m'as appelée, Antoine ?

— Je voulais te donner en exemple à ton oncle, mon chou. Tu vois, Alexandre-Benoît, comme elle a du réflexe cette gosse. Déjà dans la peau de son personnage !

— Turellement, objecte le Décharné, elle a pas largué soixante kilos de graisse, elle ! Toujours pas de nouvelles de ma Berthe ?

— Non, mon vieux clystère !

Il détourne les yeux.

— Ni d'Alfred ?

— Personne ne répond au téléphone.

— Ah les vaches, soupire-t-il. Où qu'ils ont pute à lait ?

Ses doigts tremblants de faiblesse tambourinent la table. Il fixe des maléfices dans le plâtre grisâtre du plaftard, puis, brusquement, comme traversé par un courant électrique, il bondit.

— Je sens que quèque chose est arrivé, San-A.

— On l'aurait su, mon pote !

Il secoue la tronche.

— C'est pas dans les habitudes d'Alfred de fermer sa cabane en dehors des vacances.

— Justement : il a pris des vacances !

— Il les prend toujours en août d'habitude.

— Eh bien, il a changé d'habitudes !

Mais je ne parviens pas à balayer l'angoisse du cher homme. Il remue des présages dans sa tronche creuse.

— Berthe, je la connais, dit-il, chaude du valseur, j'admets, mais femme de devoir. Elle n'eusse jamais été chercher la gamine pour la plaquer aussi sec, voyons. Tu la prends pour une ménagère apprivoisée ou quoi ?

Dans mon for intérieur, j'admets que ça grince un peu dans les engrenages. Mais il convient avant tout de préserver le moral de mon valeureux camarade.

— Tu veux que je te dise ce qui s'est passé, Gros ?

— Dis, mais ne m'appelle pas Gros, ça me fait trop de peine.

— Alfred aura été obligé de s'absenter pour une raison grave, mettons un deuil dans sa famille. Il aura demandé à Berthe de l'accompagner. Sans doute ont-ils prévu d'envoyer quelqu'un chez vous s'occuper de Marie-Marie, et ce quelqu'un aura bouffé la consigne !

Il hoche la tête et soupire.

— Parle pas de bouffer, je t'en prie !

Pinaud revient de son petit footing quotidien, la moustache dégoulinante de rosée.

— C'est l'heure de ton sauna dit-il au Dégraissé en matant sa montre.

— Charmant de le rappeler ; vagit Béru. Avant, c't' apôtre me cloquait des sandwichs dans la chiasse d'eau, et maintenant si je l'écouterais, je passerais mes journées dans la guitoune à sueur.

— Parce que j'ai compris une chose, plaide le Sentencieux : c'est que plus vite tu auras atteint le poids exigé, plus vite tu pourras t'alimenter normalement. Des grillades, beaucoup de grillades.

Béru serre les poings.

— Ah ! charogne ! Tu vas te taire, oui ! Me faire saliver mes dernières gouttes d'eau, c't' honteux, vieille frappe ! Honteux !

Il se met à sangloter :

— Des grillades… Des grillades… Mais je rêve qu'à ça ; misère du ciel. Dans vot' sauna de mes fesses, pendant que je mijote au bain-marie, je vois rissoler des entrecôtes ! L'autre jour, tiens, on jouait à la belote avec Laronde. Il avait remonté ses manches, si tu te souviendras ? De voir ses gros biceps ça m'a flanqué comme un vertige : j'ai failli mordre dedans ! Je le jure ! Non, mais, vous réalisez où que j'en suis ? A avoir envie de manger le brigadier Laronde, moi ! Un inspecteur principal, presque futur commissaire !

— Mon Béru, mon Béru, pleurniche Pinaud. Tu verras, t'auras encore des beaux jours à table. Plus qu'un petit effort et puis tu seras d'équerre. Aujourd'hui, c'est ta dernière séance. Allons, viens…

Béru s'arrache lamentablement de son siège.

— Vous êtes des pillards, reproche-t-il fermement. Tous ces kilos accumuloncés pendant des années et qui partent en, flaques, vous voudrez que je vous dise ? C'est déshonorant !

Il suit pourtant le Fripé jusqu'à la pièce garnie de bois où un thermomètre exaspérant indique 90° centigrades.

Votre San-Antonio bien-aimé s'approche de la croisée pour regarder jouer Marie-Marie. Des tas, des monceaux, des montagnes de sentiments divers le hantent. Il pense que la Société est une dégueulasserie (ce qui n'est pas original) car elle ne respecte rien. C'est une ogresse hypocrite qui pousse des cris scandalisés devant les moche ries de la vie pour qu'on ne s'aperçoive pas trop qu'elle les perpètre !

Envoyer Béru et sa nièce dans cette sinistre base du Rondubraz ! Peut-on trouver plus vil, plus dégradant ? Une petite fille de huit ans ! Seigneur, mais qu'est-ce que tu fous ? Laisse ta corde à sauter et tes poupées, Marie-Marie, et suis ces pieds-nickelés de l'ombre sur le terrain de leurs louches exploits ! Puisque tu es habile de tes doigts et que la serrurerie n'a pas de secrets pour toi, franchis les barrages perfides et vas ouvrir un coffre puissamment surveillé. Honte à nous ! Honte au Vieux ! Jamais je ne laisserai s'accomplir ce crime de lèse-humanité. Qu'allons-nous devenir, misère du Ciel, si on utilise les gamines à des besognes pareilles !

— Tu parles tout seul ? s'étonne le Bêlant qui revient du sauna.

Je m'ébroue (de noix).

— Viens avec moi, Pinuche.

— Où ça ?

— Chez Alfred, le coiffeur. Sa disparition et celle de Berthe commencent à m'inquiéter.

— Le Gros aussi se fait du mouron.

— Où est Laronde ?

— Au bourg, il est allé acheter des cigarettes…

Nous sortons.

— Où qu'z'allez ? nous lance Marie-Marie, essoufflée.

— Faire une course. Quand le brigadier reviendra, dis-lui qu'il surveille bien ton oncle car sa fringale lui grimpe au cerveau. Et ce serait une catastrophe s'il se mettait à boustifailler maintenant.