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— Votre plan a prévu cette phase de l’opération, riposte philosophiquement le maître de San Kriégar, pourquoi ne s’accomplirait-il pas de bout en bout ?

— Tout de même, dis-je sourdement (bien que je jouisse parfaitement de mes facultés auditives), s’il arrivait quoi que ce soit à cette petite, je ne le supporterais pas.

Un instant plus tard, Bérurier revient. Est-ce bien Béru, cet homme mince, au regard sombre, aux sourcils touffus, à la moustache en paquet de tabac ? Une balafre sillonne sa joue droite, une tache de vin marque son cou. Il a le cheveu plus fourni et châtain clair. Bref, il est devenu Krackzek, le gus intercepté par nos services.

— Et commak, mec ? se marre le Diminué, est-ce que je conserve tout mon sexe à pile ?

— Il est décuplé, le rassuré-je. S’il y a des Chinoises dans le camp, elles vont instituer le numéro d’appel pour obtenir tes faveurs.

— Maintenant, tranche don Enhespez, passons dans mon bureau afin que nous fassions le point avant le déclenchement de l’opération.

Son burlingue est une vaste pièce aux murs revêtus de bambou. Une photographie en couleurs du maréchal de Gaulle trône en bonne place. Ce n’est pas par erreur que je parle du « maréchalat[5] » de de Gaulle. Don Enhespez voue au président-directeur général une telle admiration, qu’il a remplacé sur la photo les deux chétives étoiles du boss par une superbe constellation. Je suppose que cette profonde vénération résulte du grand âge de notre hôte et du fait qu’il vit à quelque huit mille kilomètres de l’amère patrie. Mais passons.

— Mettez-vous dans le fauteuil, commissaire, dit-il, vous présiderez !

Les bonshommes, y peuvent pas se départir de leurs présidenceries. C’est toujours embusqué dans leurs faits et gestes, cette notion hiérarchique de la sonnette et de la carafe de flotte. Du discours surtout ! De l’emphase. Les hommes, ils ont moins besoin de présider que d’être présidés. Avoir quelqu’un à applaudir, à jalouser, à critiquer, à élire et à supporter. Pouvoir lancer au creux d’une phrase, mine de rien : « Comme me disait l’autre jour le président Dugenou… » Vous le constatez une fois de plus : à partir de trois gus, faut une présidence. Un qui laséancétouverte à tout va. Un qui jedonnelaparole. Un qui ordredujoure. Un qui mesdamesmessieuse. Président des petits ramoneurs du Haut Var, des blanchisseurs d’Abidjan, des cocus du Seizième, des constipés de France, des endeuillés du slip, des collectionneurs de véroles, des raies publiques, de la chambre des pères, de la chambre des pairs et de la chambre des paires (de choses).

— Je n’en ferai rien, me récusé-je. J’assurerai si vous le permettez la vice-présidence tandis que Bérurier s’occupera du secrétariat général.

Don Enhespez sourcille, mais ne riposte pas.

— Je propose de procéder à une analyse complète de la conjoncture, déclare-t-il. Commissaire, nous vous écoutons.

Bravo, me v’là rapporteur. Je décide de me détendre un peu le mental en m’offrant une petite parodie de conseil of administration.

— Messieurs, déclaré-je, examinons préalablement les faits. Jusqu’à ces dernières années, le Rondubraz était considéré comme étant une petite nation plutôt déshéritée du continent sud-américain. Mais, voici cinq ans, deux ingénieurs français : M. Clovis Racheinbaum et Jules Kliktomops découvrirent un important gisement de sulfocradingue dans la région de Santa-Maria Kestuféla.

Je me toussote dans le creux de la pogne ainsi que se doit de le faire un orateur pour montrer à son auditoire qu’il se surmène les muqueuses.

— Ce qu’est le sulfocradingue, messieurs, est-il besoin de le préciser ? Ce minerai récemment expérimenté dans la recherche nucléaire, et dont la rareté fait peine à voir, constitue un élément primordial de décafouillage inducteur dans la fabrication de la bombe H 2S. En résumé, il est absolument certain que la nation possédant une certaine réserve de sulfocradingue se hissera rapidement à la première place dans le domaine nucléaire. Est-ce clair ?

Ils opinent avec la gravité souhaitée.

— Parfait, ponctué-je. Lorsque les deux géologues français firent cette découverte, ils en informèrent notre gouvernement, lequel prit aussitôt contact avec le gouvernement rondubrazien afin de lui proposer une exploitation commune du gisement. Alors que les pourparlers prenaient un tour favorable, le gouvernement de ce pays fut renversé et le parti socialo-hystérico-moleté s’empara du pouvoir.

— Hélas, hélas, hélas, soupire don Enhespez qui a des lettres.

Je continue en montant la voix car Bérurier paraît s’assoupir.

— Les pourparlers avec notre vaillant pays venu du fond des âges, fort de quatorze siècles de grandeur et si sublimement personnifié par cet instrument du destin que fut le général de Gaulle…

Un bruit de fuite. C’est Enhespez qui pleure sur le parquet.

— Les pourparlers avec notre pays furent rompus, reprends-je. Et le nouveau régime se tourna dès lors vers la Chine. Si bien qu’à l’heure où je parle, ce sont les Chinois qui extrayent le sulfocradingue. Comme le soulignait si pertinemment le président Enhespez il y a un instant au plus : les Américains sont au courant du fait mais ne font rien pour enrayer ce stockage d’une matière minérale propre à faire sauter la planète qui l’a engendrée. La Russie a bien tenté quelques discrets coups de main sur la base : las, ceux-ci furent annihilés par les mesures de protection chinoises. Ce que voyant, la France éternelle, consciente de sa responsabilité, prit la décision de détruire le sulfocradingue déjà extrait du sol rondubrazien. Les circonstances allaient nous aider dans une certaine mesure, en ce sens que la base de Santa-Maria Kestuféla a besoin de techniciens pour le raffinement du sulfocradingue. Je m’explique, et si je me trompe, arrêtez-moi ! Ce minerai, vous le savez sans doute, se présente sous une forme quasi liquide, dans le genre du mercure. Il se trouve pris dans une gangue de silicose-pourneriendyr qui le maintient sous sa forme liquide en le mettant à l’abri de l’oxygène ; car, messieurs, le sulfocradingue présente la particularité de se transformer en gaz au contact de l’oxygène perdant de ce fait ses propriétés décafouilleuses-inductrices. Rares sont les spécialistes capables de l’extraire correctement de la roche dont il est prisonnier. Or, rappelons-nous qu’un gramme de sulfocradingue est généralement au cœur d’un bloc pesant entre trois et cinq cents kilos, ce qui rend son stockage à l’état brut extrêmement difficile. Selon nos renseignements, les Chinois essaient de le récupérer au fur et à mesure de son extraction, mais la pénurie de techniciens fait que le stockage de la matière brute est plus rapide que celui de la matière purifiée. D’où nécessité pour eux de recruter de la main-d’œuvre étrangère. Un certain Krackzek, sujet d’origine tchèque, mais qui vit en France fut contacté récemment. Il accepta les propositions qui lui furent faites, mais nos services eurent vent de la chose et, à la suite d’une discrète opération, nous interceptâmes et l’homme et le document l’accréditant auprès de la base.

Je cherche de quoi étancher ma soif. Mon hôte comprend mon regard déshydraté et me sert un bourbon carabiné. Bérurier bâille bruyamment.

— Tout ça, on le savait gros mot seau d’eau, dit-il en se fourbissant les orbites pour se dépêtrer la somnolence.

— Il est utile de le rappeler afin que tout soit bien clair, tranché-je[6].

J’écluse un certain volume d’alcool sobrement additionnée d’eau gazeuse.

— Le génial inspecteur Bérurier, ici présent, se porta volontaire et le voici donc à pied d’œuvre. Comment se présente le coup de main et en quoi consiste-t-il ? Nous allons tâcher à l’établir. Pour dire vrai, il se présente assez mal. Certes, Bérurier a en main une sorte de sésame qui va lui permettre l’accès de la base, seulement il ne parle pas un mot tchèque (qui est officiellement sa langue maternelle), et il ne connaît rien de l’extraction du sulfocradingue. Pour que sa mission réussisse, il convient qu’elle s’accomplisse dans le plus bref délai. Béru arrivera donc au camp en fin de journée, et prétextera une grande fatigue consécutive au voyage, ce qui lui épargnera d’aborder immédiatement les questions techniques dont il ignore tout. De plus, étant accompagné de Marie-Marie, il aura un bon motif pour ne s’occuper que de leur installation.

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5

Dans maréchalat, il y a échalas.

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6

Vous pensez bien, bande de truffes moisies, que si je fais cette mise au point, c’est pour vous affranchir, vous !