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J’ouvre une trousse de cuir et y cueille un gros bouton noir.

— Ce bouton est en réalité un petit poste émetteur capable de retransmettre tous les sons dans un rayon de deux kilomètres. Déguisé en pêcheur, sur le lac Papabezpa, je pourrai donc suivre le déroulement des opérations. En quoi consisteront-elles ?

Je déroule le plan de la base remis par le Vieux.

— Ici, l’immense entrepôt où l’on accumule le minerai brut. Là, l’atelier de raffinage. Tout autour, les bâtiments d’habitation, cantines, etc. Au centre, une construction octogonale, sans autre ouverture que la porte. C’est le saint des saints, l’endroit où est entreposé le sulfocradingue à l’état pur. Selon nos estimations, il y en a environ huit cents grammes, ce qui est peu lorsqu’il s’agit de pommes de terre, mais extravagant quand il est question d’une matière dont la puissance décafouilleuse-inductrice est de trois goménol-privatifs par milligramme. Au milieu de cette construction, un coffre-fort au-dessus duquel une couronne de cellules photo-électriques espacées l’une de l’autre de 38 centimètres constitue une barrière difficilement franchissable. Le poste est plein de gardes vigilants, armés et prêts à faire feu à la plus légère alerte.

Je puise une seconde fois dans ma trousse de cuir.

— Voici deux berlingots, Béru, dis-je en les déposant sur la table de non-travail (car il n’écrit jamais) de don Enhespez. Si tu parviens à briser l’un d’eux dans le poste avant que les argousins défouraillent, ils s’endormiront en un peu moins de deux secondes pour une durée variant de vingt à trente minutes. Évidemment il faudra que tu sois immunisé contre ce produit hypnotique… La seule chose que nos laboratoires aient à te proposer, la voici…

Je sors de ma pochette miracle deux petites boules de verre percées de minuscules trous, et serties dans une petite gaine caoutchoutée.

— Faudra te filer ça dans les narines et te foutre de l’albuplast sur la bouche de façon à être bien certain de ne respirer qu’avec le pif, vu ?

— Banco ! grogne le funambule.

— Si tu parviens à endormir le poste, à passer à travers les rayons lumineux et à ouvrir le coffiot, enchaîné-je, il te suffira de briser les éprouvettes de verre placées sur le rayon pour que le sulfocradingue s’évapore au contact de l’air. Ensuite de quoi, la petite et toi quitterez immédiatement la base.

J’ajoute, d’une voix blessée :

— Si vous le pouvez…

Un silence suit. C’est encore le gars Mézigue, enfant choyé de Félicie qui le rompt.

— Le Vieux pense que la gosse devra tenter d’ouvrir le coffre toute seule, Gros. Mais je compte sur ta dignité d’homme pour que tu agisses en personne, mon pote. Marie-Marie ne doit te servir que de couverture. Elle est chargée d’endormir les soupçons, un point c’est tout !

— Cause toujours et bois de l’eau fraîche, comme disait mémé, lance l’infernale fillette en sautant par la fenêtre ouverte. Une fois qu’on sera dans la place, Tonton et moi on fera bien ce qu’on voudra, hein, m’n’onc’ ?

— Ainsi tu nous espionnais ?

— Non, je cueillais des fleurs sous la fenêtre…

Elle dégage un bouquet qu’elle tenait caché dans son dos.

— Vise un peu si qu’elles sont baths, tonton !

— Mes orchidées ! beugle don Enhespez ! Mes orchidées royales ! Elle a coupé mes orchidées royales !

Il manque d’air, le vieux bagnard. Paraît que c’est son vice, la culture de l’orchidée, il venait de mettre au point une nouvelle espèce qu’il comptait offrir à la reine Yvonne lors de son prochain voyage en France ! Il sanglote sur les fleurs coupées. Il injurie Marie-Marie ! La traite de vandale, de fléau, d’Attila, de profane, d’orchidéicide ! La môme, ulcérée, finit par lui flanquer son précieux bouquet sur les genoux en clamant de sa voix de girouette :

— Oh, mince, râlez pas si fort, c’est jamais qu’d’ l’herbe, non ! Viens, m’n’onc, allons chez les Chinois, je parie qu’on se marrera mieux qu’ici !

Hagard, le maître de San Kriégar sort sans crier gare.

Je le laisse vaquer avec indifférence. J’ai — hélas — d’autres soucis en tronche que les orchidées royales.

— Premier problo à résoudre, dis-je. Planquer ces différents instruments, pour le bouton émetteur, c’est fastoche : on va le coudre à ton veston. Mais les berlingots et les boules nasales ? Car il n’est pas exclu qu’on vous fouille à l’arrivée…

— Oh, dis, nous z’en fais pas des bidons, glousse la pseudo-Natacha. Les boules de verre on va les mettre à la place des yeux de ma poupée, et les berlingots, je vas les placer dans la boîte de bonbons que vot’ patron m’a z’offert. Bougez pas, je fonce chercher Catherine dans ma chambre et on y changera ses mirettes !

Des ondes joyeuses flottent encore dans la pièce quand la môme a disparu…

— Elle est sidérante, ta nièce, Gros, déclaré-je. Franchement, je n’ai jamais encore rencontré une enfant pareille !

Sa Majesté prend une attitude dégagée.

— Ouais, je sais, dit-elle, du côté à Berthe, y sont presque aussi intelligents que chez les Bérurier.

CHAPITRE V

TRAVAIL AVEC ET SANS FILET

Les eaux du lac Papabezpa étincellent autant que le filet de pêche qui me sert d’alibi et que je remonte fréquemment avec l’aide du señor Tassiepa Sanchez, le majordame[7] de don Enhespez. Sanchez est un métis à la voix frêle en qui, selon mon hôte, je puis avoir toute confiance.

Le filet, si j’ose dire, nous sert de paravent. Hélas, l’ironie du sort veut que ça biche à tout berzingue et le poiscaille s’accumuloncèle dans le fond plat de notre barlu. La vraie pêche miraculeuse, mes drôles ! Je passerais un contrat avec Amieux, ma fortune serait faite. Au loin, posés sur l’horizon, se découpent les miradors de la base Chinetoque.

De temps à autre je tripatouille les boutons de mon poste récepteur planqué dans ma musette afin de vérifier si le ci-devant Gros et sa petite peste de nièce radinent à la base. Mais mon appareil demeure désespérément muet.

Devant ma mine allongée, Tassiepa Sanchez débite des paroles réconfortantes.

— Ils ne peuvent être encore arrivés, affirme-t-il. Rendez-vous compte que le maître les a conduits jusqu’à la gare de Tumarkonu pour qu’ils prennent le train jusqu’à Santa-Maria Kestuféla où ils doivent descendre comme des gens arrivant de Graduronz, la capitale. Les taxis sont rares à Santa-Maria Kestuféla. Ils…

Je lui fais signe de la boucler. Un grésillement perdu dans des éloignements sidéraux retentit. Je règle le frémisseur à basse combustion de mon poste et l’organe de Marie-Marie me parvient, haché et faible ; mais l’écoute s’améliore de seconde en seconde.

— À quoi qu’tu penses, tonton ?

— Je réfléchis, rétorque l’organe de l’inconsistant.

— À quoi ? insiste la môme.

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7

Ses mœurs, dites particulières, l’empêchent d’être majordome.