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— Un vrai goujon, m’n’onc’ !

— Banco ! On usine de cette sorte de manière, termine le Bénévol. Allez, zou, faut pas lanternocher, c’est le moment c’est l’instant. En supposant qu’ils se méfiassent de nous, jamais ils penseraient qu’on va leur bricoler l’existence dans l’heure de notre arrivée.

Un léger bruit de castagnettes, derrière moi, attire mon attention. C’est le gars Tassiepa Sanchez qui glaglate des croqueuses.

— Non ! non ! non ! non ! non ! hoquette-t-il en se signant à chaque « non ».

Je sourcille :

— Non quoi, amigo ?

— Il ne faut pas, il ne faut pas !

Son attitude me fait jetonner.

— Mais expliquez-vous ! Leur plan me paraît admirablement convenir à la situation, et franchement je n’espérais pas que ce serait aussi aisé.

— Mais señor, mais señor ! que rebredouille Sanchez, ce qui va se passer est terrible, terrible !

— Parce que c’est la petite qui agit ? J’ai confiance en elle, c’est une enfant prodige.

— Je parle de la suite, señor. Il ne faut pas qu’ils se sauvent par le ruisseau, ce cours d’eau s’appelle le rio de Profundis parce qu’il est infesté de piranhas !

L’espace d’un moment, mon cœur s’arrête de battre. Le docteur Barnard passerait par-là, aussi sec il me déclarerait viande froide pour me le sucrer. Car maintenant faut drôlement surveiller ses organes, mes frères ! Les champions de la greffe en tout genre pourchassent impitoyablement les cœurs, les reins, les foies, les éponges et d’autres pièces détachées pour leurs expériences. Y veulent tous avoir la couverture de Paris-Match, les bistoureurs. Je devrais me faire opérer de l’appendicite, j’hésiterais, je réclamerais la présence d’un huissier dans le bloc opératoire. J’aurais torpeur de me réveiller avec une valseuse ou un rognon en moins ! On devient tous un fabuleux jeu de puzzle, camarades ! Bientôt on fera passer des annonces dans le Chasseur Français : Monsieur, trente ans, parfaite constitution, échangerait jambe gauche très velue, pointure de pied 42, contre un foie en bon état. Si alcoolique s’abstenir. On y vient, mes gueux ! On y vient. Et ce ne sera qu’une étape. Un jour, y aura un rayon à la Samaritaine où on pourra se réorganiser de fond en comble. On entendra des converses de ce tonneau :

— Moi, Ninette, à ta place, je me ferais greffer ce mignon pubis qu’a le cresson auburn, ça irait bien avec ta nouvelle couleur de cheveux.

Ou encore :

— Tu ne crois pas, Jojo, que tu pourrais t’acheter ce gros zigomar décapotable, au lieu d’une nouvelle télé ? Ça nous ferait plus de profit pour les soirées d’hiver.

Je vous jure que ça se prépare. Je serais directeur de grand magasin, j’annoncerais d’ores et déjà la prochaine ouverture d’un rayon d’abats humains.

Mais faites excuse, je me suis écarté de notre catastrophe, car c’en est une ! La perspective de Marie-Marie plongeant dans le rio de Profundis me glace. Les piranhas (ou pirayas) vous savez ce que c’est, non ? Des petits poiscailles carnassiers qui vivent en bancs dans les cours d’eau d’Amérique du Sud. Rien de plus effrayant que ces bestioles. Vous jetez un bœuf dans la rivière, le temps de compter jusqu’à dix il ne reste plus que ses os !

Ah ! comme à cet instant je hais l’informateur qui nous a brossé une description détaillée du camp et de son environnement, en omettant cet effroyable détail !

— Vous êtes certain de ce que vous dites ? lâché-je sottement à Tassiepa Sanchez.

— Absolument, vous ne le saviez donc pas ?

Je secoue misérablement la tête.

— Non.

— S’ils plongent dans cette eau, en quelques secondes ils seront anéantis, prophétise mon compagnon.

Je coupe la liaison avec Béru. Si au moins nous étions convenus d’un signal, lui et moi. J’aurais pu envoyer une fusée, tirer un coup de canon, merde, faire quelque chose ! Mais non, rien, il est livré à lui-même ! Quelle abominable chose !

C’est à Marie-Marie que je pense surtout. Marie-Marie, avec ses deux tresses en queue de rat, ses deux dents écartées, ses deux yeux bien ronds comme des boutons de bottine…

J’empoigne mon walkie-talkie (à noter que dans ma barque, je talke mais ne walke pas). Don Enhespez est à l’écoute, le cher homme !

— Où en sommes-nous ? demande le vieux bagnard (il projette de rentrer en France et de se retirer à Aubagne).

— La tuile, mon ami ! Le bout de l’horreur !

Et je lui narre. Ses exclamations angoissées ratifient les affirmations de Tassiepa Sanchez.

— Il faut empêcher cela à tout prix ! déclare le Réhabilité.

— D’accord, mais comment ?

— Je ne sais pas, rétorque-t-il spontanément, car il a l’esprit d’à-propos.

— Vous ne pourriez pas envoyer de toute urgence la vedette automobile jusqu’à l’endroit que Bérurier a prévu pour sortir du camp ?

— Impossible, et cela pour trois raisons : d’abord elle n’aurait pas le temps matériel d’arriver puisque ma demeure se trouve à huit kilomètres du rio de Profundis, ensuite parce qu’elle se ferait immédiatement repérer et intercepter. Vous n’ignorez pas que si cette exploitation est officiellement réalisée par des techniciens civils, ceux-ci n’en sont pas moins protégés par les militaires rondubraziens (appartenant à des éléments extrémistes de l’armée), troisièmement enfin, le rio de Profundis n’est pas navigable, son cours étant encombré d’arbres morts immergés.

— Alors que faire ? glapis-je. Nous n’avons pas le temps non plus de gagner l’endroit en question avec notre lourde barcasse et son maigre teuf-teuf… Dites, et l’hélicoptère ?

— Vous n’y songez pas, il ne saurait se poser sur le rio de Profundis non plus que dans le camp !

Je racle la gaine de cuir du walkie-talkie de mes ongles. Ah ! l’impuissance ! Quel mal cruel !

— Allô, vous êtes toujours là ? demande Enhespez.

— Oui, comme deux ronds de flan. Je voudrais devenir Icare et voler jusqu’à la base pour avertir mon camarade.

Je me prends la tête d’une main ; je me la prendrais bien à deux si je ne tenais l’appareil et même à quatre si j’étais Bouddha Kâpala.

— En somme, murmure Tassiepa Sanchez, leur seule chance d’en réchapper, c’est que leur mission rate !

Moi, vous me connaissez ? Il ne m’en faut pas davantage pour que tout un bigntz se développe dans ma cervelle d’exception.

— Ne quittez pas l’écoute ! fais-je à Enhespez.

Je me rebranche sur Béru. Il est précisément en train de me parler, le bougre.

— … qu’en penser, fait-il, car v’là presque dix brequilles qu’elle a disparu dans la salle du coffiot, mec.

Il toussote.

— J’sus t’assis sur une plouse, pas loin de la construction dont à propos de laquelle je lui surveille l’entrée. Tout est peinard jusqu’à présent. Des colis chinois me passent devant et me virgulent des regards très rogateurs. Y en a même un qui s’est arrêté pour me mater d’un air surpris et je me suis demandé ce que ce colis fichait. Il était plein de plâtre, d’où j’ai conclu que c’était un colis maçon[10].

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10

Qu’est-ce qui me passe par la citrouille pour que je me livre à des pauvretés aussi excrémentielles !