Il continue de radioreporter sans faiblesse.
— Probable qu’elle les a endormis, les rizottos. Seulement j’ai idée qu’elle arrive pas à se faire le coffre. Je vais aller mater. Faut que je m’approche en loucedé. Allez, zou, je déhote…
« Seigneur, monâmélevé-je, fais que ça rate ! Fais que cet empoté de Béru déclenche le signal, qu’on les arrête et je pense : de poisson, ce qui aggrave mon angoisse. Tout, mais pas les piranhas ! »
Maintenant c’est le silence. Un silence interminable, à peine troublé par un léger froissement et, par des heurts menus. Que se passe-t-il ? Pourquoi le Gravos ne parle-t-il plus ? Soudain, je comprends : il n’a plus les boules filtrantes pour se protéger du gaz soporifique et il doit cesser de respirer ! Il joue les pêcheurs de perlouzes, Béru. Combien d’autonomie dans sa cage thoracique ? Une minute ? Je louche sur ma trotteuse. Son aiguille imperturbable tressaille de seconde en seconde…
— On n’entend plus rien ? s’inquiète Tassiepa Sanchez.
Je ne prends même pas la peine de lui répondre. Mon palpitant cogne à trois pulsations par seconde au moins. Ce qui ajoute à l’angoisse de l’instant, ce sont ces petits bruits feutrés qui me parviennent, indiquant que nos appareils continuent de bien fonctionner. Je suis toujours en liaison avec Béru, seulement les sons cessent d’exprimer l’action.
Quatre minutes maintenant que Béru a franchi le seuil de la salle du coffre. Toujours rien. Une nouvelle minute passe, une autre encore… Les gardes vont bientôt se réveiller.
Enfin, un bruit de pas bien martelé. Et puis un cyclone, un typhon, un cataclysme et autres noms comportant un « y », me bourrasquent les tympans. Un écrivain classique déclarerait que ça ressemble à un soufflet de forge. Mais alors, actionné par Vulcain, mes frères ! Ça siffle, ça tornade. Une toux naît de cette tempête. La toux grasse de Béru.
— Ah p… de vache de m… de ch… ! glougloute l’exténué. Ah ! vérolerie du Bon Dieu ! Ah ! charogne ambulante !
Un temps… Il essaie de reprendre souffle.
— Tu m’esgourdes toujours, San-A., j’espère… Quel circus, mon mec ! Toujours est-il que ça y est ! T’entends, frangin ? En fumaga leur sulfocradingue. Tu parles d’une bobine qu’ils feront… Je te résume rapidos avant de filer dans la flotte avec la gosse, biscotte on ne sait pas ce qui peut arriver, faut donc que je t’affranchissasse… La môme avait bel et bien ouvert le coffiot, seulement elle était trop petite pour cramponner les prouvettes de drogue. Elle a essayé de prendre une chaise, mais une chaise ça mesure plus de trente-huit centimètres de large…
Il cesse de s’adresser à mézigue pour répondre à des voix qui le questionnent en anglais.
— No, sœur, it is not grave, déclare aimablement le soupeur-man. The petite fille has on lit tombé on the tronche. Look the big boss ! Elle is estourbie, do you pigez ?
« Allez, ma poule, on va faire un petit tour, ça ira mieux, reprend le Précédent Dodu… »
Un moment s’écoule, au cours duquel je ne perçois que sa respiration embarrassée. Puis il renoue la converse.
— V’là, on est peinard, gars. Je te termine : la môme arrivait pas à atteindre le rayon des drogues. Quand elle m’a vu entrer, cette chérie, elle s’est enlevée les boules du pif pour me les donner. Je les ai mise, mais elle a pas pu s’empêcher de respirer avant de gerber et elle s’est écroulée avec les guignols. Moi, mission avant tout, contrairement à ce que vous pensiez, j’ai posé ma veste, rentré mes miches et je m’ai coulé entre les rayons lumineux. J’ai ouvert les flacons de sulfocradingue, et le tour était joué. Le temps de ramasser ma petite ronfleuse et c’est en ordre. Maintenant je bombe à l’autre bout du camp, vers la brèche. J’espère que tu nous as déjà espédié le barlu. Tchao, et à bientôt j’espère…
Bien que mon pote ne puisse entendre, malgré moi je crie : « Non, Béru ! »
— Alors ils ont réussi leur mission ! fait respectueusement Sanchez !
Je coupe la liaison pour reprendre le walkie-talkie.
— Vous êtes à l’écoute ?
— Et comment ! répond don Enhespez.
— Ils ont détruit la réserve, malheureusement ils vont droit au rio de Profundis. Il n’y a plus qu’une solution pour leur sauver la vie, du moins provisoirement : téléphonez à la base d’urgence et dénoncez-les !
— Quoi ! s’étrangle notre collaborateur.
— Comprenez que c’est LA SEULE FAÇON DE LEUR ÉPARGNER LA MORT PAR LES PIRANHAS ! Il faut gagner du temps. Téléphonez immédiatement, sinon dans quelques minutes il sera trop tard !
Pour éviter de nouvelles objections je coupe la communication. À nouveau je me mets à l’écoute du Gravos. Je n’ai que son souffle. De temps à autre il bougonne entre ses fausses dents : « Je sais pas si j’ai les biscotos ramollingues, mais je te trouve en plomb, Gosse ! »
Il est à nouveau intercepté par des travailleurs chinois qui s’inquiètent pour la petite inanimée.
Béru les rassure :
— It is pas grave, mes sœurs ! Juste une big bosse !
Il poursuit sa marche en marmottant pour lui :
— Reusement qu’avant de fout’ le camp j’ai satonné la calbombe des gardes pour leur augmenter leur dose de dorme, autrement sinon y z’ameuteraient déjà la garde ! Ah ! on arrive… Je vois le tas de minerai…
La sueur me colle aux tempes.
Un soupir. Je sens que Béru vient de se délester de sa charge. Ils sont devant la brèche. Un nouveau soupir, émis par Marie-Marie celui-là.
— Tu te réveilles, ma guenille ? demande gentiment Bérurier. Remets-toi pendant que je vas agrandir ce trou. Heureusement qu’il est prévoyant, ton tonton, et qu’y s’a muni d’une cuillère à soupe. Note que toi tu peux te faufiler, mais comme t’es encore plus ou moins dans le sirop, je préfère sortir le premier, commako je t’aiderai à nager…
Et il fox-terre énergiquement.
— Ça va y être, petite… Seulement je veux pas risquer de me prendre un courant à forte pension dans le baigneur, tu comprends ? Pas marrant d’avoir le dargiflard qui crame ! Tu te sens bien, petit bout ?
— J’ai mal à la tête…
— La flotte te retapera… T’as reniflé le gaz, comprends-tu ?
— T’as pu passer ent’ les rayons, m’n’onc’ ?
— Comme une lettre à la poste !
— Malgré ton gros cul et ta poitrine de pigeon ?
Le Mastar fulmine :
— Écoute, Marie-Marie, je t’ai déjà exigé la politesse. C’est pas supportable une merdeuse qui vous prend pour un c… ! Est-ce que j’sus impoli, moi, dis mauviette ! C’est pas parce que mam’zelle Chochotte sait ouvrir un malheureux coffre-fort qui faut qu’à se prenne pour la cuisse de Jupiter !
— Tu ferais mieux de creuser, conseille sans s’émouvoir la gredine. D’un moment à l’autre y vont découvrir les gardes et ça risque d’être notre fête ! On se disputera plus tard, m’n’onc’ !
Béru reprend ses travaux de fouisseur. Les raclements de la cuillère dans la terre sèche s’accélèrent.
Mais qu’est-ce qu’ils foutent, les Chinetoques ! Don Enhespez n’a donc pas pu les joindre ?
— V’là le turbin, décrète Bérurier. Je vas me couler par le trou, toi surveille que je ne touchasse pas le grillage, compris ? Si t’as l’impression que je risque d’accrocher, tu me préviens.
— C’est ton cul qui me fait peur, m’n’onc’, murmure pensivement Marie-Marie. T’as mal maigri de là que tu le veux ou pas ! Enfin vas-y toujours.