J’achève de m’arracher aux vapes. Suffisamment toujours est-il pour comprendre que je ne rêve pas.
— Marie-Marie…
— Pas le moment, ronchonne la petite teigne. Maintenant va falloir regrimper par le plafond, si tu pourras m’hisser, ensuite, je vous aiderai à sortir de là avec mon onc’ !
L’un des gardes chinetoques qui a repris conscience, lance un cri. Je lui stoppe le S.O.S. d’un coup de latte dans le gosier.
— Faudrait les museler, dit la môme, sans quoi ils vont gueuler.
Je défère à son désir en bâillonnant les gardes avec leurs ceintures de toile.
— Que se passe-t-il, dehors ? demandé-je à la gosse.
— C’est l’incendie que j’ai allumé, qui leur occupe le temps, répond-elle. Un grand entrepôt plein d’huile ; tu vas voir comme c’est beau, promet la jeune pyromane (ou pyro-woman).
Effectivement, de grandes lueurs pourpres dansent par la brèche du plafond.
Le camarade Bérurier trouve opportun de se réveiller.
— Où sont-ce nous ? bredouille-t-il.
— Dans un magnifique western, gars. Tu peux te tenir debout ?
— Tiens, se réjouit le Mastar, la môme Grignette est retrouvée, où que t’étais passée, dis, Musaraigne ?
— Ne t’occupe, tonton, je vous raconterai tout plus tard, je m’ai bien amusée. Alors tu m’hisses, Antoine ?
Je l’hisse, heureux qui comme qui l’hisse… Quand elle s’élève au-dessus de mes épaules, elle murmure.
— Je t’prierai de pas regarder sous mes jupes, Antoine.
Marie-Marie cramponne le bord de la plaque de fibrociment cassée et opère un rétablissement. Couchée sur le toit elle prodigue d’astucieux conseils.
— Je serais de toi, Antoine, je grimperais sur les épaules à m’n’onc’, et une fois ici, tu lui tiendrais le tuyau de caoutchouc pour qu’il grimpe après.
Ainsi est fait. Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les trois sur le toit. Je devrais dire tous les quatre car, en homme prévoyant, je me suis muni d’une mitraillette.
À deux cents mètres d’ici l’incendie fait rage. Tous les occupants de la base sont mobilisés pour essayer de neutraliser le sinistre. Mais va te faire voir ! Rien ne crame mieux que l’huile et leurs extincteurs sont dérisoires devant l’ampleur du feu.
— Beau travail, petite ! approuvé-je.
— Une vraie Jeanne d’Arc, renchérit Sa Majesté, sauf que c’est elle qui fout le feu !
Vous parlez d’une amazone, cette momaque ! Elle craint personne ! Je savais pas que ça pouvait exister, une gamine pareillement douée pour l’aventure !
— Comment t’es-tu débrouillée, mon chou ? questionné-je, avide de savoir.
Elle renifle. Les lueurs du brasier allument sur son petit visage malicieux des lueurs démoniaques.
— Ben, j’sais pas si vous l’aurez remarqué, mais dans le bureau du Chinetoque, je m’ai débinée à quat’ pattes, profitant de c’qu’on f’sait pas gaffe à moi.
— Où qu’t’as été ? bougonne le Gravos.
— Dans la pièce à côté, c’était la chambre du vilain type. Je m’ai glissée dans son plumard et j’ai plus bougé. Je savais bien que si j’aurais sortie, en trois secondes les clebs me repéreraient.
— Ensuite ?
— Quand j’ai entendu que la meute s’éloignait vers l’aut’ bout du camp, j’ai pris des godasses qui se trouvaient là en me disant comme quoi les cadors renifleraient pas mes arômes à moi si je me les mettrais aux pieds, vous suivez ?
— Où qu’elle va chercher ça dans sa petite tronche ! bée Béru. J’te jure que ça pourrait être une Bérurier pur fruit !
Marie-Marie lui décoche un regard d’incendiaire :
— Ho, hé ! Parle pas de malheur, m’n’onc’ !
Puis, elle poursuit ses explications.
— Une fois que j’ai chaussé les pompes du Chinois, j’ai été fout’ le feu à l’entrepôt d’huile, puis foncé en direction de vot’ bâtiment. J’ai remarqué pour lors qu’il était adossé à un autre ; çui-là ! ajoute l’enfant en nous désignant un toit accolé à celui sur lequel nous cachalons.
Le second toit est percé d’un large vasistas, ouvert pour l’instant.
— C’t’autre baraquement, c’est un atelier, fait-elle. J’y ai trouvé tout ce qui me fallait : n’échelle, un pointon, un long tuyau de caoutchouc… un gros marteau que le voilà jusque à côté de la bouille à tonton justement !
— Et puis ?
— Faut vous dire qu’y me restait un berlingot endormeur dans la poche, vu que j’en avais cassé qu’un dans la salle du cof’. J’ai percé un petit trou dans vot’ toit et j’ai balancé le berlingot. J’ai vu qu’y f’sait son effet. Alors avec mon marteau j’ai cassé la plaque de ciment…
— Personne t’a repérée ? s’étonne le Majestueux.
La gamine me prend à témoin :
— Il entend pas le bouzin qu’y font autour de l’incendie…
Elle hausse ses frêles et méprisantes épaules.
— C’te fois, je m’ai méfié du gaz, c’est ce dont pourquoi j’ai embarqué long de tuyau pour respirer et je m’ai bouché le nez avec du papier mâché. Bon, on fiche le camp ou on se fait cuire un œuf ?
Nous reptons pour gagner le vasistas de l’autre toit. L’échelle est toujours dressée contre l’orifice. Une fois dans l’atelier, je vais à la porte pour couler un z’œil à l’extérieur. M’est avis que ça ne se présente pas trop mal, mes fils, car, à deux mètres de là, j’avise une jeep en stationnement.
— O.K., nous allons jouer le numéro plein, dis-je. Sitôt la lourde ouverte on fonce à la jeep. Toi, Gros, tu prends le volant et tu fonces vers la sortie sans t’occuper du reste. De deux choses l’une : la barrière est ouverte ou elle est fermée. Si elle est ouverte tu passes, si elle est fermaga, je vais demander poliment à ces messieurs de nous l’ouvrir. Toi, môme, tu te coucheras à l’arrière sur le plancher, compris ?
— T’es louf, Antoine, si je me coucherais je pourrais rien voir ! proteste Fleur de Souci !
— Je te raconterai après, môme ! Mais fais ce que je te dis car il pourrait bien vaser des pruneaux ! Vous y êtes ? Alors à l’abordage !
Nous cavalons à toute vibure jusqu’à l’auto. En dix secondes nous voilà démarrés. Le Béru qui connaît le camp mieux que moi drive sans hésiter en direction de l’entrée. De loin, je constate que la barrière est assurée.
— Fais un appel de phares ! lui dis-je.
Il obéit. Des silhouettes s’agitent dans la lumière du poste de garde. Un mec sort, s’approche de la manivelle qui pont-levise, mais s’abstient de la manœuvrer avant de nous avoir retapissés.
— Stoppe pile à sa hauteur, Alexandre-Benoît !
C’est un beurre, ce Béru. Au doigt et à l’œil, il obtempère. La jeep freine à mort devant le gus, lequel morfle la crosse de ma taratata en pleine poire avant même d’avoir pu constater que je ne suis pas chinois. Je saute de la guinde et remonte moi-même la barrière, d’une seule main, car je conserve la sulfateuse braquée en direction du poste.
Marie-Marie, en jeune fille désobéissante, émerge de la chignole et se met à lancer des trucs derrière l’auto. J’ignore ce dont il s’agit, mais cela produit un petit bruit d’averse qui attire l’attention des autres gougnafiers de l’intérieur. Les v’là t’il pas qui ramènent leurs fraises, ou, plus justement, leurs citrons ? Moi, vous me connaissez ? J’ai rien du tueur à Garches ! Liquider froidement des gens qui ne m’ont provisoirement rien fait, voilà qui n’est pas dans mes manières. Je ne tire que sur des malfrats, ou quand je suis en état de légitime défense, comme disait un éléphant. Abandonnant la manivelle, je bondis au milieu du groupe en virevoltant de la moulinette. Ma promptitude et ma force font mieux que patience et longueur de temps, mes fieux ! Bzzaoûm ! Vrrang ! Plofff ! Je ne jette pas le manche après la cognée, mais je cogne avec le manche ! Ça se décime et la victoire se dessine.