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Nous sommes sans argent, sans papier, sans allié, perdus dans un pays qui nous est inconnu[17].

Berthe arrêtée. Bientôt jugée ! Probablement fusillée ! Misère ! Tout ce que je peux faire à son propos, c’est taire son sort à Alexandre-Benoît, car Pépère deviendrait dingue s’il apprenait ça.

Je me déloque courageusement dans le frais matin. Une petite plongée dans le ruisseau me rebecquetera. Le soleil a de la peine à percer la voûte verte des ipso-factos géants qui nous surplombent. Lorsque je me serai baigné je partirai à la chasse. Car il faut coûte que coûte que nous nous alimentions ! Me v’là à loilpé ! Je serre les ratiches et saute dans l’onde glacée. « Brrr ! Ça réveillerait un Maure ! Je ballotte de tous mes membres moins un.

Tu parles d’une opération coup de fouet !

Lorsque je bondis hors de l’eau, la température extérieure me fait l’effet d’une étuve en comparaison. J’ai un coup de vapeur d’autant plus fort que le paysage s’est légèrement modifié puisque viennent de s’y incorporer une demi-douzaine de gaillards hirsutes, armés de fusils et bardés de cartouchières. Ils ont des pièges à macaroni vachement abondants. Ces barbes noires, aussi touffues que la forêt, ont quelque chose de castriste. Les surgissants me couchent en joue de leurs flingues. Sur quoi, Béru et sa gentille nièce se réveillent.

Le Plissé fronce ses sourcils broussailleux en apercevant les hommes qui nous cernent.

— Tiens, la famille Barbapoux, dit-il sans s’émouvoir ; c’est à quel sujet, messieurs ?

— Suivez-nous ! enjoint le barbu-chef (il en a dix centimètres plus long que les autres !).

Il a parlé en espago, bien sûr, puisqu’il s’agit de sa langue maternelle.

— Deseo que me afeite usted ! lui réponds-je ; ce qui veut dire : « Je désire me faire raser. »

Je conviens sans discuter que cette phrase manque quelque peu d’à-propos, encore que j’aie effectivement besoin de me faire racler la couenne, seulement c’est la seule que je sache parfaitement prononcer en espagnol.

Le gus, loin de se bifonner, m’adresse un geste autoritaire.

Vaincu, je m’apprête à sortir de la flotte, lorsque la môme Marie-Marie s’exclame :

— Hé, dis, Antoine, cache ton piano ! En v’là des manières ! Si mémé aurait vu ça, elle serait tombée morte !

— Commence par regarder ailleurs, Moustique ! lui lâché-je. C’est pas le moment de faire ta pimbêche !

Je me présente, nu comme un œil de veau dans une assiette à l’admiration teintée de jalousie des autochtones.

— Quelqu’un parle français ou speak english ? questionné-je à la ronde, une fois récupérés mon slip et ma souveraineté.

L’un des barbouzards me répond que lui.

— Qui êtes-vous et que nous voulez-vous ? lui demandé-je pour lors.

— Mon nom est Chi Danlavaz, fait-il rudement en fourrageant dans ses broussailles. Nous sommes des guérilleros et nous vous faisons prisonniers. Vous serez jugés et pendus selon les règles.

Décidément c’est une manie au Rondubraz !

Je lui débobine un sourire en cent quarante de large.

— C’est la Providence qui vous a placés sur notre route, camarade, certifié-je.

— Y a pas de Providence et appelez-moi señor ! riposte le barbu.

— Volontiers ! Laissez-moi vous dire que nous sommes également dans l’opposition.

— Vous mentez !

Il désigne la jeep.

— Vous roulez dans une voiture gouvernementale et qui pis est, elle vient de la base chinoise de Santa-Maria Kestuféla.

— Nous l’avons volée pour nous échapper.

— Vous mentez ! s’obstine cet abruti.

— Voyons, que ferions-nous avec cette jeep en pleine forêt si nous n’étions pas traqués ! m’emporté-je.

— Du repérage, déclare sans hésiter Chi Danlavaz. Vous avez pour mission de découvrir notre camp, voilà pourquoi vous vous déplacez avec une enfant !

Il a un grand ricanement qui fait s’envoler un flamenco à hupe.

— S’évade-t-on en compagnie d’une fillette ? Votre ruse est un peu grosse !

Et il traduit notre converse à ses potes, lesquels rient à gorges d’employés.

Bérurier se masse l’estomac.

— Tu sais qu’y commencent à me fatiguer la prostate, ces zigotos à tronche de pique-niques, grommelle-t-il.

— Qui sont-ce ? demande Marie-Marie.

— Des révolutionnaires, ma poule. N’aie pas peur, on finira bien par s’expliquer.

— Tu m’as déjà vu avoir peur ? se rebiffe l’intrépide.

Elle tape du pied, fait signe à Béru de se pencher et se met alors à lui chuchoter des choses. Sa Majesté opine.

— Señor, dis-je au barbu francophone, nous avons mis le feu à la base, vous pouvez vous renseigner. C’est là, je pense, un exploit qui sert votre cause ?

Le v’là qui indécise. Il consulte ses potes.

— Qui êtes-vous ? demande-t-il enfin.

— Des agents français ayant pour mission de neutraliser l’exploitation du sulfocradingue dans votre glorieux pays !

— De quoi je me mêle ! explose-t-il en espagnol, ce qui lui est plus commode que de le dire en français, nous détestons toute ingérence étrangère dans nos affaires !

— Mais vous subissez les Chinois !

— Cela nous regarde ! Nous préparons précisément une révolution destinée à les chasser !

— Pas commode, ils sont solidement implantés !

Chi Danlavaz blêmit.

— Nous avons déjà réussi la précédente révolution, non ! aboie-t-il, celle qui a chassé les Américains ! Et croyez-moi, ces derniers étaient plus profondément implantés que les Chinois !

J’ai un moment d’indécision :

— Attendez, vous dites que vous avez fomenté la précédente révolution…

— Parfaitement !

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17

Ah ! les deux magnifiques alexandrins que revoilà ! Merci San-Antonio !

Victor Hugo.