— Ils sont nombreux dedans ? soufflé-je.
— Deux encore ! répond l’asperme[27].
Je cligne de l’œil à Pinuche.
— À nous, ma vieille.
J’écarte doucement un panneau de la lourde.
J’avise un monsieur de belle prestance, parisiennement vêtu, dont les bras sont attachés aux accoudoirs de son fauteuil. Devant lui, deux types habillés de complets fanés, écoutent Amérique Numéro 1 sur un transistor. Ce sont des poulagas en civil, probably des gus appartenant à la C.O.N.P.A.N.T.O.U.F.L.E., ce terrible comité de répression rondubrazien.
Nous leur bondissons sur le paltobok avec la frénésie d’une main de pickpocket dans la poche d’un baron de Rothschild.
J’assomme le mien d’un coup de crosse, tandis que Pinaud, plus timoré, se contente d’intimider le sien avec son feu.
— Ah ! tout de même ! murmure l’ambassadeur.
Son secrétaire le déligote. Illico, l’Excellence saute sur le téléphone.
— Donnez-moi Paris ! fait-il.
Il déclare au flic rondubrazien encore conscient :
— Je vais dire au Quai d’Orsay ce que je pense de vos procédés. Et il est prévisible qu’un processus de représailles sera entrepris à l’encontre de votre pays.
Il cause un peu comme le faisait le général de mes deux églises de son vivant, si vous remarquez. Tous les gars du laquais d’Orsay sont imbibés.
Il demande, tandis que se mijote dans les centraux téléphoniques sa proche communication :
— À qui ai-je l’honneur, messieurs ?
Nous nous présentons et son visage soucieux se déplisse. Une main manucurée nous congratule.
— Oh parfait ! Savez-vous que ce coup de force contre notre ambassade a pour cause le procès de la dénommée Bertaga Berruros ?
— Pas possible !
Il nous bonnit le topo, et la situation s’éclaire d’un jour nouveau. Je vous la relate telle qu’elle se présente. Lorsque l’enquête a eu démontré que les services secrets rondubraziens s’étaient gourés de personne et avaient enlevé en plein Paris l’épouse d’un digne fonctionnaire, notre gouvernement a immédiatement élevé une protestation par l’entremise de son ambassadeur à Graduronz. L’Excellence s’est acquittée de sa mission, mais le gouvernement actuel n’en a pas tenu compte. Il a même fait comprendre au diplomate que fausse ou authentique, Bertaga Berruros devait être jugée et fusillée pour que le mythe de la révolutionnaire cesse d’exister dans le peuple et que le Rondubraz trouve une stabilité gouvernementale. L’ambassadeur a objecté qu’il ne tolérerait pas une erreur judiciaire et qu’il demanderait au tribunal de l’entendre afin de pouvoir publiquement clamer la vérité.
Fâcheuse menace ! Les dirigeants rondubraziens, devant un grand mal, usèrent d’un grand remède en neutralisant tout bêtement notre ambassade.
Le téléphone sonne.
— C’est Paris, déclare l’Excellence en se pourléchant les badigoinces. Ils vont m’entendre ! Vous allez m’entendre ! Allô, le Quai d’Orsay ?
Il écoute, se rembrune et meugle.
— Non, madame, je ne suis pas votre petit Roro ! quel est votre numéro je vous prie ? Le 22 à Asnières ! Vous vous fichez de moi ?
— C’est pour ça qu’il a eu si vite la communication, déclare philosophiquement Pinuche en rallumant son cloporte.
CHAPITRE XIII
QUE VIVA BERTAGA !
Les événements se précipitent (la gu… par terre). Tout de suite après que M. Antidémoc, l’ambassadeur, a obtenu : primo le ministère des Affaires étrangères, deuxio de celui-ci qu’il envoie une note virulente au gouvernement rondubrazien pour protester contre son coup de main, v’là-t-il point que la radio annonce que la révolution vient d’éclater. L’ingénieur Ducon-Aveccédille, chef de la station passe un disque de fusillade (le même qui sert à illustrer de façon sonore tous les changements de régime). Puis le speaker raconte comme quoi les insurgés se rassemblent place de la Nation pour marcher sur la présidence (et éventuellement sur le président).
Dès lors, désireux d’opérer une manœuvre de diversion, le président Carlos Chienli a ordonné que la révolutionnaire Bertaga Berruros soit immédiatement passée par les armes dans la cour de la prison Piccolina Roquetta, en vertu du fait que l’article 69 deux fois de la Constitution, lui accorde le droit de juger lui-même les inculpés politiques dans les périodes de troubles et qu’il vient de condamner celle-ci à mort à l’unanimité. Aux dires de l’ambassadeur français, le président Carlos Chienli est un homme énergique qui est toujours de son avis et ne s’en cache pas. Il sera plus dur à renverser que le pot de chambre de votre mère-grand. L’audace avec laquelle il a ordonné à ses gardes d’investir l’ambassade de France en est la preuve.
— Seigneur ! gémit la Vieillasse, il faut empêcher cela !
— Et que voulez-vous que je fasse ? riposte Son Excellence (qui en a d’excellentes).
Il s’est mépris sur l’invocation de Pinuche, ce qui est assez légitime de la part d’un type dont les aïeux ont délivré le Saint Prépuce en compagnie de Chaud-Froid de Bouillon (Kubb).
— La sentence est peut-être déjà exécutée, reprend M. Antidémoc.
Il consulte sa montre.
— Pas tout à fait pourtant, rectifie-t-il, car il faut le temps aux actualités télévisées de se rendre là-bas et de mettre leur matériel en batterie. Ici les exécutions capitales sont toujours retransmises en direct, sauf lorsqu’il y a un match de football au programme.
Vous me connaissez ? Je suis the man of the décisions promptes.
— La prison Piccolina Roquetta est à combien d’ici ?
— Une vingtaine de kilomètres environ, répond le diplomate.
— Allons-y ! Vous avez une voiture diplomatique, je suppose ?
— Oui, j’ai une Rolls rose transformée, rétorque Antidémoc.
— Dépêchons-nous.
Il hésite, mais chez les laquais d’Orsay, le devoir avant tout.
— Soit ! accepte l’Excellence. J’ignore par exemple ce qui est advenu de mon chauffeur.
— Ne vous inquiétez pas, monsieur l’ambassadeur, je conduirai.
— En ce cas, partons ! Le temps de prévenir mon épouse…
— Puis-je vous prier de lui confier la garde de l’enfant qui nous accompagne ? Cette petite a besoin d’un bon bain, d’un bon repas et de repos…
— Elle jouera avec mes enfants, s’attendrit le diplomate (qui n’est pas un voltigeur).
Il entraîne Marie-Marie dans ses appartements particuliers. Faut croire que la pauvre môme a son taf de fatigue car, pour une fois, elle se laisse embarquer sans maudire. Malgré mes exhortations, Ibernacion insiste pour nous accompagner et, cinq minutes plus tard, à bord d’une Rolls rose décapotable, nous fonçons sur la route de Monte-Faucone en direction de la prison où le surprenant destin de Berthe Bérurier est en train de se jouer.
La radio du tableau de bord diffuse des hymnes nationaux pour doper le moral du peuple rondubrazien. Nous entendons tour à tour : Internationale Cha Cha, puis Carmagnole Mambo et enfin le Boléro de l’indépendance.
Le commentateur déclare alors que les agitateurs ayant ordonné le rassemblement des révolutionnaires viennent d’ordonner leur dispersion provisoire afin qu’ils puissent voir l’exécution de la grande Bertaga sur leur poste de téloche.