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Je lui désigne le portrait de la fille qui intéressait Rubinyol. D’où vient ce cliché ? Il sait pas. C’est Gontrand qui se charge de la documentation. Y a qu’à qu’on lui demande, nous dit-il, il se trouve présentement dans l’imprimerie avec des clients. Alors on pousse une porte vitrée à va-et-vient. Et puis on traverse un local encombré d’imprimés de toutes sortes qui puent le vieux papier jauni. Et le bruit d’une petite machine à retiration fait son cling-pong, cling-pong. Sa Majesté et moi, nous enquillons une deuxième lourde. Descendons trois marches noires. Ça sent bon l’encre, le faf, la poussière accumulée. L’imprimerie n’est éclairée que par des verrières en dents de scie dont les verres ne laissent presque plus passer la lumière. Nous nous dirigeons vers le bruit concasseur, le cling-pong sempiternel. On aperçoit l’imprimeur, de dos, loqué d’une blouse grise d’emballeur. Faut s’approcher pour piger qu’il est attaché à l’avant de la machine, par les jambes et les pieds. Il a le buste incliné. On accourt. Drôle de vision, mon biquet. Magine-toi que ce pauvre grand, on te lui a joué un de ces tours, non, je te jure… Quelqu’un a sorti son sexe de sa culotte. Lui a lié une ficelle en arrière des roustons[4]. A attaché l’autre extrémité de ladite ficelle en la tendant le plus possible après le système de ventouse qui cueille sur sa rame la feuille à imprimer pour la déposer sur la matrice encrée. On a agi de la sorte au moment où l’appareil se trouvait en position avancée par rapport à l’imprimeur. Ensuite on l’a remise en marche. Et tu juges de la jouissance pour ce pauvre Gontrand dont les génitoires se sont trouvés brutalement étirés d’une trentaine de centimètres. Cette secousse dans les précieuses réticules ! Chlag ! Mamma mia ! Il en a vomi sur son plastron, l’éditeur. Sûr qu’on a agi ainsi pour lui faire dire quelque chose qu’il s’obstinait à taire. Et sans doute qu’ils ont enclenché la manette électrique par menus à-coups, sinon la brutalité de la machine aurait eu les conséquences qu’elle a engendrées ensuite, à savoir que son bouquet de printemps, au hotu, est arraché de son bas-ventre et qu’une sarabande répugnante de filaments, tripettes, viandouille et j’en passe, l’unissent encore au corps du pauvret.

La machine continue inexorablement. Des imprimés jaunes s’empilent. Le bigoudi torturé du gars se détend et se retend. Le sang a éclaboussé toute la bécane.

Je baisse la manette. La machine stoppe. Le silence se refait. J’examine le visage du supplicié. Palpe son pouls. Naze !

La troisième génération des Mazoche vient de tirer son faire-part.

— Ça démarrait tout culment, cette affaire, pourtant, je murmure. Quand le vieux Rubinyol m’a demandé de retrouver la femme de la photo, j’ai cru à une gâtocherie de vieux kroum. Mais tout ça prend un aspect pas ragoûtant.

Je retourne vers le vieux comptable bleui sous le grand livre. Il a la frime grise et bleue, et les lèvres franchement bleues, de même que le pif et les oreilles. Tu dirais un Picasso de l’époque bleue, quoi !

— C’était quoi, les clients de Gontrand Mazoche ? je questionne.

Il relève la plume, puis la tête, puis ses lunettes.

Met un temps pour prendre les dimensions de ma question.

— Vous voulez dire les clients aves lesquels il est allé à l’atelier ?

— Oui ?

— J’ sais pas.

— Vous ne les avez pas vus ?

— Non. Il venait de boire un jus, il m’a juste dit : « Je suis à l’atelier avec des clients. »

— Où sont les ouvriers ?

— Quels ouvriers ?

— Ben, ceux de l’imprimerie.

Le vieillard bleu caresse les poils de son oreille volumineuse.

— Il y a belle lurette que nous ne sommes plus que tous les deux.

Il se repenche sur sa colonne mystérieuse.

J’hésite à le prévenir. Il va bien falloir, pourtant.

A cet instant, Béru me rejoint. Il s’évente la trogne avec l’un des prospectus jaunes qui s’imprimaient pendant l’écouillage de Gontrand.

Me le brandit sous le nez :

— T’as vu, Mec ?

L’affichette célèbre les mérites d’un club de billard de la proche banlieue.

ASNIERES

C’est beau, Asnières. J’adore ses rues populeuses, ses gazomètres, le gris de ses immeubles. Il y a des murs d’usines interminables, couverts d’affiches à la gloire du Parti Communiste, comme quoi il est plus français que les autres et pas capitaliste pour un sou, tout ça… Y a la Seine, pas bileuse, où ronronnent des péniches et où des vieux gaziers-pêcheurs, en bleus de travail retraités, essaient de sortir des poissons du mazout. Oui, je raffole d’Asnières, de sa poésie. Y a des bistrots pas comme ailleurs, des églises comme dans Utrillo, des chiens errants…

C’est chouette, les chiens errants ; ça change des toutous en laisse qui emmènent promener leurs cons de maîmaîtres le long des trottoirs compissés. Un chien tout seul, dans une rue, pour moi, c’est l’image de la liberté. Et puis bon, qu’est-ce que tu en as à branler, vieille guenille ?

Pour t’en revenir que le club de la « Boule rouge » détonne dans cet univers si vrai, si frémissant. Il est trop neuf, pas d’ici. C’est un, tu sais quoi ? Anachronisme. La façade en verre noir. Les grandes baies fumées. L’enseigne tapageuse. Non, non : pas d’ici. Un relent d’Améritmerie. Plaisirs d’importation. J’en ai connu, des clubs de billard ; mais ils étaient de chez nous, avec des façades en faux marbre, des murs lambrissés, des râteliers à queues en bois ciré, des suspensions aux doubles cloches d’opaline verte.

Quand je pénètre à la « Boule rouge », je suis frappé par le clinquant. Murs tapissés d’une matière qui rappelle l’aluminium. Des spots pour l’éclairage. Même les billards sont plus pareils. Adieu leurs beaux pieds triglyphes et leur tapis vert à deux cents balles le premier accroc. Maintenant, il s’agit de billards américains, à trous, avec des chiées de boules multicolores. Et je te recommande les joueurs, l’artiste ! Ah ! il est révolu le temps des pépères en bretelles, silencieux ; qui massaient leurs queues et calculaient des combinaisons hautement géométriques. Toute une faune de douteux, avec des bobines faisandées avant que d’être adultes. Des pas-bons, des pas-gentils qui sont là, à rêver du louche ou à causer cinglant. Buvant des jus de fruits, mais parlant comme des ivrognes, pourtant.

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4

Masculin de roupettes.