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Et alors, je ne veux pas t’assurer que la face du monde s’en serait trouvée modifiée, mais cela aurait foutrement mieux valu.

Ne serait-ce que pour la santé du brave rabbin !

Tu dois te poser des questions sur ma présence ici, non ? N’aie pas peur de le dire, mon gars, je suis là pour t’affranchir. Qu’il soit surdoué ou abruti, j’ai le respect de mon lecteur.

PARIS

Je la trouvais pas ensorceleuse, mais du moins assez bien foutue pour mériter qu’on ne fasse pas un détour en l’apercevant. Elle était blonde trois centimètres à partir de la racine de ses cheveux, bronzée, le regard intéressant car il révélait beaucoup d’elle. En y plongeant, on comprenait qu’elle n’était ni conne ni intellectuelle et qu’elle aimait baiser, trois qualités que j’apprécie extrêmement chez une femme. A dire vrai, je n’en vois pas d’autres qui leur soient supérieures. Elle était venue à la Paris Détective Agency pour me demander de filocher son mari volage qu’elle rêvait de piquer en flagrant du lit (comme dit si justement Béru) et j’avais eu quelque mal à lui expliquer que le cocu ne rentrait pas dans le cadre de nos activités, peut-être à cause des cornes. J’eus moins de peine à lui faire valoir que dans ce genre de doute, la recherche de la preuve est un procédé mesquin. Seule importe la réciprocité. Je réprouve la vengeance, mais il va de soi qu’en matière de cocufiage il est bon de ne pas se laisser distancer à la marque. Je l’en convaincs si bien qu’au bout de mes arguments son mignon slip de couleur saumon gisait sur ma moquette et elle sur mon divan. Ce fut l’instant que choisit cette garcerie de Claudette, ma secrétaire, pour pénétrer dans mon burlingue après avoir toqué si légèrement à la porte qu’un détecteur d’ultra-sons n’aurait même pas enregistré la chose.

Calcer en levrette, entre autres avantages dont la nomenclature serait indécente, offre celui de permettre de converser avec une tierce personne sans interrompre, voire seulement ralentir, sa prestation. Or donc, tandis que mes mains, vigoureusement soudées aux hanches de la donzelle, l’aidaient à rythmer sa gigue, la conversation ci-dessous s’engagea entre la fille que je rétribue grassement pour se manucurer les ongles et écrire à sa vieille mère sur le papier à en-tête de l’agence et moi :

— Que signifie, Claudette ? Vous voyez bien que je suis occupé.

— Certes, mais un monsieur demande à vous voir d’urgence.

— Rien n’est plus urgent que de terminer ce que j’ai commencé, mon petit.

La garce s’avança, caressa d’un geste concupiscent les seins en position de chute de ma « cliente » qui lui en sut gré d’un râle fort bien venu, et murmura :

— C’est que le monsieur en question n’est pas n’importe quel monsieur.

Je ralentis mon mouvement de va-et-vient, passant de la surmultipliée à la langoureuse avec tact, sans perturber le moins du monde le sensoriel de la personne investie.

— De quoi s’agit-il ? demandai-je en lui déambulant le derrière au trot anglais, que je trouve pour ma part assez guilleret.

— D’Arthur Rubinyol ! répondit Claudette, sans cesser de manipuler les glandes mammaires de la dame bafouée par son époux.

— Le virtuose ! sursauté-je, au risque de déjanter.

— Lui-même !

— A-t-il dit ce qu’il me voulait ?

— Vous voir, répéta Claudette, Il paraît très surexcité. Je crois que vous devriez terminer madame au plus vite…

Je reconnus le bien-fondé du conseil et piquai des deux ; en quelques instants, je passai de l’élégante promenade équestre dans le bocage anglais à la ruée cosaque dans les steppes de l’Oural. Surprise par cette fantasia éperdue, ma partenaire affirma son assiette, des deux mains posées à plat sur le divan, et du front bloqué contre l’accoudoir. La perverse Claudette nous exhortait de ses cris et je fus touché par sa liesse qui dénotait une nature généreuse, soucieuse du confort sexuel de ses semblables. L’affaire fut rondement conclue. Ma camarade d’étreinte annonça qu’elle partait. Mais son voyage n’excéda pas quelques centimètres. Ensuite de quoi elle chavira gracieusement sur les coussins. Claudette l’arracha d’autorité à sa bienheureuse léthargie pour la conduire à la salle d’eau par une porte que je qualifierais de dérobée si elle se trouvait ailleurs que dans une agence de police. Bref, quatre minutes plus tard je me précipitais dans l’antichambre pour y accueillir l’universel virtuose.

Arthur Rubinyol est un aimable vieillard dont les origines périgourdines peuvent se lire en braille sur le visage. Il a le poil blanc, abondant, l’œil brûlant d’intelligence, toutes ses dents, et autour de sa personne ce halo du génie qu’aucun projecteur ne saurait remplacer. Il portait ce jour-là un complet de soie bleu et un nœud papillon en velours noir. Il tenait sous le bras gauche un atlas de géographie fraîchement publié par les éditions Gontrand Mazoche et, sous le droit, une canne dont le pommeau représentait le buste de J.-S. Bach.

Je le congratulai chaleureusement, car c’est un homme que j’admire beaucoup. Selon moi, son interprétation du quatrième mouvement de la Symphonie clitoristique de Gougnemal est la meilleure qui soit gravée dans de la cire.

Quand il pénétra dans mon bureau, et avant que de s’asseoir comme je l’en priais, il regarda autour de lui en reniflant.

— Que voici donc une pièce agréable, me dit-il. Pimpante, de classe et qui sent le cul. L’art de vivre ne vous est point étranger, mon jeune ami. J’aime les gens qui savent jouer de l’existence, je puis vous affirmer, moi, Arthur Rubinyol, que c’est le plus merveilleux des instruments.

Il me plaisait beaucoup. C’était un être spontané, fougueux, riche de sens.

— Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de votre visite, maître ?

Il me tendit l’atlas ouvert.

— Cette photographie, mon jeune ami.

Un cliché occupait un quart de la page paire. Il représentait une jeune femme pas désagréable, aux pommettes remontées, aux yeux clairs en amande, et aux cheveux d’or. Mon regard abandonna le portrait pour s’intéresser au texte qu’il illustrait. Je compris qu’il s’agissait d’ethnologie et que la photo portait témoignage des principales caractéristiques de la race balte.

— J’avoue ne pas très bien comprendre, maître.

— Je voudrais que vous retrouviez cette personne, me dit l’aimable pianiste, en pianotant l’accoudoir de son fauteuil (je crus deviner qu’il y interprétait du Mozart).

— Puis-je vous demander des explications ?

— Mais non, mon jeune ami, riposta toujours aussi courtoisement Arthur Rubinyol. Il n’y a rien à expliquer. Ce que je vous demande est peut-être très difficile à réaliser, mais s’énonce le plus simplement du monde : retrouvez-moi cette femme. Quelles sont vos conditions ?

— Avant de parler de conditions, je veux me livrer à une certaine approche du problème, maître.

— Eh bien, faites. Autre chose, mon jeune ami. Je crois m’être aperçu que l’on me suit dans la rue. C’est plus une impression qu’une certitude, mais ma conviction est solidement établie.

— Depuis longtemps, maître ?

— Je ne saurais dire… Quelques jours. Quand je quitte mon domicile, il se fait comme un déplacement derrière moi. Où que je me rende, j’éprouve cette désagréable sensation.

— Vous a-t-on menacé ?

— Jamais.

— Ne croyez-vous pas que des journalistes plus vicieux que d’autres préparent un reportage sur votre vie… privée ? Vous avez la réputation flatteuse de rester particulièrement vert, maître.

Il rit, puis fait un geste insouciant qui trahit sa jeunesse d’esprit.

— Peut-être bien, après tout.