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— Ça, assure Mimiche Smoulard, pour être conne-vaincue, j’sus conne-vaincue : j’ai jamais vu cette fille. Mais alors au plus grand des jamais.

— Pourtant… Car il y a un pourtant, ma chère ravissante dame. Je vous jure que vous eûtes, en posant votre œil de velours sur cette photo, une sorte de léger sursaut.

— C’est possib’, admet la déesse du Gros en me balançant au visage un rot discret, mais fortement chargé en carré de l’Est dans la force de l’âge.

— Qu’est-ce qui l’a motivé ?

Elle sourcille :

— Vous voulez bien me répéter vot’ question, j’ai pas comprise.

— Qu’est-ce qui vous a fait tiquer ? Il est primordial, je veux dire vachement important que je le sache.

Elle hausse ses frêles épaules de déménageuse de pianos.

— Vous allez dire que j’sus conne.

— Non, madame Smoulard, je ne le dirai pas.

— Eh bien, à première vue, j’ai trouvé que c’te femme ressemblait à mon mari. C’est idiot, hein ?

Le silence qui suit ressemble à celui qui entoure l’instant de la quête dans une cathédrale écossaise. Il est d’une pureté d’eau distillée.

Puis, moi :

— Auriez-vous dans votre sac une photo de votre époux, Mimiche chérie ?

— Oh, oui, bien sûr. Mais là-dessus, il a encore ses jambes, ça n’a pas d’importance ?

— Non, Mimiche, ça n’en a pas.

Elle me présente un cliché intéressant par sa profonde neutralité. Les cons, entre mille spécialités, ont celle de se photographier pour ne rien dire. Ils aiment se flasher à table, ou bien devant un mur, voire encore sur un fond de ciel. La photo proposée par Mimiche me révèle un Smoulard plus jeune de cinq ans, saisi dans l’instantané d’une pose longtemps tenue à la suite de savants réglages focaux. Le coin d’une immense serviette de table est passé dans son col. Il lève son verre à la santé du photographe et il regarde l’objectif comme s’il s’agissait d’une vendeuse en chaussures lorsqu’elle puise dans les rayons du haut.

Je place les deux images côte à côte.

— C’est bête, n’est-ce pas ? balbutie Mimiche en rougissant.

— Non, ma chère : c’est frappant !

Et comment ! Tu jurerais le frère et la sœur ! Presque jumeaux !

— Joseph avait, enfin : a des sœurs ?

— Personne, c’est un môme de l’insistance publique !

Béru revient, violet de surexcitation.

— Tonio, t’ sais que’je viens d’apprendre qu’est arrivé ?

Je lui fais les gros yeux et il s’écrase.

— Quoi donc ? demande la Mimiche intéressée.

— Rien, rien, module l’Enflure.

La dame Smoulard le considère d’un air dérouté :

— A cause qu’tu me regardes comme ça ? lui demande-t-elle.

Mon camarade hoche la tête.

— A cause d’rien, ma gosse. Simp’ment, j’m’f’sais la réflexion que le noir d’vrait bien t’aller, tu verras.

PARIS

Le Vieux promène le réflecteur de sa lampe de burlingue sur les cinq images alignées. Il les scrute à la loupe. Parfois, les interchange. Ou bien en sélectionne deux qu’il isole pour leur consacrer une plus grande attention.

— Oui, c’est indéniable, dit-il. In-dé-ni-able ! Il existe un lien de parenté entre tous ces gens. Oh ! la la, ça ne souffre pas la contradiction ! Savez-vous l’idée qui me vient ?

— Oui, monsieur le directeur, fais-je, car elle m’est venue à moi aussi. Arthur Rubinyol était un vieux queutard forcené. Il a passé cinquante ans de sa vie à arpenter le monde pour y donner des concerts. Alors il aura dispensé sa semence aux quatre coins et ses fredaines ont eu des résultats positifs : une fille en Finlande, un fils à Varsovie, un autre à Rome, un encore à Paris… La mystérieuse Finnoise et les trois assassinés que voici sont frères et sœurs. Nés d’un même père.

— Ce qu’il y a d’étrange, c’est que les trois fils sont des enfants de l’Assistance publique, coupe le Vieux. Nous n’avions pas encore établi cette similitude.

— Au contraire, grogne Bérurier, ça cadre bien.

— Il est surprenant que, sur les trois mères, il ne s’en soit pas trouvé une seule qui ait reconnu son enfant, l’interrompt le Dirluche. Ça me paraît contre nature. Toutes les mères célibataires n’abandonnent pas systématiquement le produit de leur faute.

Ça y est : v’là Pépère qui jacte comme chez Mme la marquise avant la guerre de 70 ! Ça lui remonte, parfois, le beau langage fané de jadis. Il puise dans des formules moisies sans même leur filer un coup de chiffon.

Je réfléchis doucement, dans la mollesse de son burlingue. Effectivement, il y a là-dessous quelque chose qui ne cadre pas. Je sens que nous tenons le bon bout, mais ce bout s’entortille illico pour former un écheveau difficilement extricable. Ce que dit le Vioque est frappé au coin du bon sens des aiguilles d’une montre. Pourquoi en effet, si Arthur a procréé ces quatre personnages, leurs mamans ont-elles eu toutes les quatre la même réaction d’une affreuse bassesse qui fut de les abandonner à leur naissance ?

Et pourquoi, bien des années plus tard, alors que chacun avait fait sa situation sous des cieux différents, dans des milieux différents, des gens surpuissants ont-ils demandé au Groupe B 14 de les buter ? Et de buter Arthur ? En a-t-il été de même pour la jeune fille ? Fut-elle la première victime ? Est-ce la publication de sa photo qui a tout déclenché ?

La porte sacrée du bureau s’ouvre sans que quiconque ait crié gare, voire station, ou consigne, pas même buffet, lampisterie, ou bien : salle d’attente des premières classes !

J’ai jamais assisté à un tel forfait. Une pareille violation de lieu saint. Une profanation aussi caractérisée.

— Hello, darling ! clame une voix.

C’est l’Américaine. Superbe dans une combinaison en lamé argent avec des paillettes, une ceinture dorée, une bonne renommée en fourrure, un sac en croco, des escarpins argentés, de nouvelles lunettes à monture plus profilée et davantage cloutée de diamants made in Saint Gobelins.

Elle a pris son bain dans une baignoire emplie de parfum acheté à la droguerie d’en bas.

Elle nous salue d’un geste de foutebaleur venant de marquer un but.

Puis elle s’approche d’Achille, fait accomplir un demi-cercle à son fauteuil pivotant et se jette sur ses genoux. La v’là qui lui écrase la bouche de ses lèvres pivoine. Tant si fort qu’il asphyxie, le Dabe. Il est tout barbouillé de rouge. Tu croirais un poisson exotique. La Dyana te lui rebouffe la gueule passionnément en remuant son gros dargif quinquagénaire sur les genoux de Messire Pépère.

— Darling, conte with me ! elle roucoule entre deux baisers. Come to the hotel. I cannot wait again. My little cat is alone

Tout ça. Elle lui télescope le glandulaire d’importance, cette grande éburneuse.

Le Dirlo se lève en titubant. Se laisse entraîner par sa bourrasque en lamé U.S.

— Je reviens, messieurs, il soupire, le temps de… de raccompagner madame. Je monte et je descends, un simple aller-retour. Ce sera rapide.

La porte matelassée de son antre se referme inexorablement sous la poussée du blount. Je demeure en tête à tête avec Bérurier. Sur le grand sous-main du Boss, les photographies ressemblent à des cartes à jouer.

A jouer un drôle de jeu.

Bérurier sort son Opinel pour se curer les chailles.

— Cette Ricaine, elle a un appétit d’enfer, rêvasse-t-il. Qu’est-ce on fait ? On attend que l’Achille aye tiré sa p’tite crampette, ou on s’ fait cuire un’ soupe ?