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« Celles-là ? Des “oiseaux de paradis”. »

Il écarquilla les yeux encore davantage, un grand sourire aux lèvres. « Pour de vrai ?

— Mm-mm.

— Ça alors ! Parce qu’elles ressemblent vraiment à des oiseaux, vous trouvez pas ? »

Le bec jaune, la tête ronde, la goutte de sève cristalline qui miroitait comme un œil. « Oui, tout à fait.

— C’est comme une fleur avec le projet d’un oiseau à l’intérieur. Sauf que personne l’a mis dedans. À moins qu’on puisse dire que Dieu l’a fait.

— Dieu ou la nature.

— Ça revient peut-être au même. Bonne journée à vous, docteur Cole.

— Merci, Orrin. À vous aussi. »

Bose finit par rappeler en milieu d’après-midi, mais elle eut du mal à entendre sa voix, noyée dans ce qui ressemblait à des chants de messe. « Désolé, dit-il. Je suis au canal. On a une espèce de manifestation pour l’environnement, avec une cinquantaine de personnes assises sur les rails devant une série de wagons-citernes.

— Bonne chance à eux. » Sandra sympathisait complètement avec les manifestants. Les écologistes voulaient interdire les carburants fossiles importés de l’autre côté de l’Arc des Hypothétiques, histoire d’essayer d’empêcher que la planète se réchauffe de plus de cinq degrés Celsius. À chaque planète ses propres ressources en carbone, croyaient-ils, ce qui, pour Sandra, était d’une évidence ridicule. Pour autant qu’elle pouvait le dire, l’exploitation des immenses réserves de pétrole sous le désert d’Équatoria conduirait au désastre en permettant une prospérité extravagante au prix d’un doublement des émissions de CO2. La génération qui avait grandi dans le sillage du Spin voulait du pétrole bon marché, des périodes de prospérité sans que personne ne chipote à table, et le monde entier payait (ou aurait à payer) l’addition.

« Je ne suis pas sûr qu’il soit vraiment utile qu’un activiste se fasse écraser par un train de fret, dit Bose. Vous avez reçu le document ?

— Oui, répondit-elle en se demandant que dire ensuite.

— Vous l’avez lu ?

— Oui. Agent Bose…

— Vous pouvez m’appeler juste Bose. Comme mes amis.

— D’accord, mais écoutez, je ne sais toujours pas ce que vous attendez de moi. Vous croyez vraiment qu’Orrin Mather a écrit ce texte que vous m’avez envoyé ?

— Je sais, ça n’a pas l’air crédible du tout. Orrin lui-même a du mal à s’en attribuer le mérite.

— Je lui ai posé la question. Il m’a répondu qu’il l’avait écrit sur le papier, mais qu’il n’était pas sûr que ce soit de lui. Comme si quelqu’un le lui avait dicté. Ce qui expliquerait deux ou trois trucs, j’imagine. Mais bon, qu’est-ce que vous attendez de moi, au juste ? Une critique littéraire ? Parce que je ne suis pas vraiment fan de science-fiction.

— Le document ne se limite pas à ce que vous avez. J’espère pouvoir vous envoyer d’autres pages aujourd’hui, et on pourrait peut-être se voir, disons demain à déjeuner, pour discuter des détails. »

Voulait-elle s’engager davantage dans cette histoire étrange ? Bizarrement, elle s’aperçut que oui. Sans doute par curiosité. Et peut-être par compassion pour l’homme-enfant timide qu’elle avait découvert en Orrin Mather. Et aussi parce qu’elle s’était rendu compte qu’elle appréciait plutôt la compagnie de Bose. Elle lui dit qu’il pouvait envoyer d’autres pages, mais se sentit obligée d’ajouter : « Il y a une complication dont il faut que vous soyez informé. Ce n’est plus moi qui m’occupe d’Orrin. Mon patron l’a confié à un novice. »

Ce fut au tour de Bose de se taire quelques instants. Sandra essaya de distinguer ce que les manifestants psalmodiaient. Quelque chose-quelque chose des enfants de nos enfants. « Ah, crotte, lâcha Bose.

— Et je ne pense pas que mon patron voudra vous mettre dans sa confidence, sans vouloir vous offenser. Il…

— Vous parlez de Congreve, là ? Les collègues en parlent comme d’un connard de bureaucrate.

— Sans commentaire.

— D’accord, mais vous avez toujours accès à Orrin ?

— Je peux lui parler, si c’est ce que vous voulez dire. Mais je ne peux plus prendre la moindre décision.

— Ça complique les choses, reconnut Bose. Mais votre opinion m’intéresse quand même.

— Une fois encore, ça m’aiderait de savoir ce qu’Orrin et ses carnets ont de si important pour vous.

— Ce serait mieux qu’on en discute demain. »

Sandra négocia les détails du repas, dans un restaurant raisonnablement proche du State Care, mais un peu plus haut de gamme que ceux du centre commercial, puis Bose dit : « Il faut que j’y aille. Merci, docteur Cole.

— Sandra. »

4

Récit de Treya/Récit d’Allison

1

Vous voulez savoir comment c’était, ce qui s’est passé à Vox et ensuite ?

Eh bien voilà.

Quelque chose à laisser derrière soi, pourrait-on dire.

De la lecture pour le vent et les étoiles.

2

À ma naissance, je m’appelais Treya suivi de cinq syllabes que je ne répéterai pas ici, mais peut-être vaut-il mieux penser à moi comme à Allison Pearl version 2. J’ai eu dix ans de gestation, huit jours de travail douloureux et une naissance traumatisante. Dès mon premier véritable jour d’existence, j’ai su être une usurpatrice et j’ai été tout aussi certaine de ne pas avoir le choix en la matière.

Je suis née sept jours avant celui où Vox devait traverser l’Arc pour atteindre la Vieille Terre. Je suis née captive des Fermiers rebelles et avec mon sang en train de me dégouliner dans le dos. Le temps que je me rappelle comment parler, ce sang avait à peu près séché.

Les Fermiers avaient écrasé, extrait de mon corps puis détruit mon implant limbique personnel, mon interface avec le Réseau, mon nœud. Il était fixé presque depuis ma naissance sur ma troisième vertèbre, si bien que j’ai énormément souffert. Je me suis réveillée de ce traumatisme avec des vagues de douleur intense qui me montaient du cou, mais le pire a été ce que je ne sentais pas, c’est-à-dire le reste de mon corps. J’étais insensible des pieds aux épaules… insensible, impuissante, blessée et effrayée à un point inimaginable. Les Fermiers ont fini par m’injecter une espèce d’anesthésique grossier tiré de leur pharmacopée primitive, moins par bonté d’âme, j’imagine, que parce qu’ils en avaient assez de mes hurlements.

Je suis revenue à moi avec des chatouillements et des démangeaisons insupportables, mais c’était bon signe : cela voulait dire que mes fonctions physiques se rétablissaient. Même sans le nœud, mes systèmes corporels augmentés s’affairaient à raccorder les nerfs endommagés et à reconstituer les os. J’arriverais donc tôt ou tard à m’asseoir, à me lever et même à marcher. Aussi ai-je commencé à m’intéresser davantage à ce qui m’entourait.

J’étais allongée sur une espèce de paillasse à l’arrière d’une charrette qui avançait à vive allure. Ses parois étaient trop hautes pour que je voie quoi que ce soit, à part le ciel moucheté de nuages et, de temps en temps, la cime mouvante d’un arbre qui passait. Il m’était impossible de savoir combien de temps avait passé depuis ma capture, question qui me tourmentait davantage que les autres. À quelle distance nous trouvions-nous de Centre-Vox, et Vox de l’Arc des Hypothétiques ?

Malgré ma bouche sèche, j’arrivais à peu près à parler. « Ohé ! » ai-je plusieurs fois appelé avant de m’apercevoir que je parlais anglais. J’ai donc recommencé en voxais : « Vech-e ! Vech-e mi ! »