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« Oh mon Dieu, non », a murmuré Allison.

Les soldats sont restés bouche bée.

« Toxique, a-t-elle dit. Tout est toxique… »

Les sirènes de guerre ont interrompu leur hurlement. Figés dans le silence, les soldats voxais semblaient absorbés, comme à l’écoute de voix que je n’entendais pas… c’était sans doute le cas : ils consultaient leur Réseau ou leurs supérieurs.

L’un d’eux s’est ensuite adressé à Allison, qui m’a expliqué : « On nous ordonne de descendre, cette fois tous sans exception. On ferme toutes les ouvertures de la ville. »

Avant de nous éloigner, j’ai jeté un dernier coup d’œil à l’extérieur des murailles. Au milieu des prairies carbonisées, les cadavres des Fermiers baignaient immobiles dans un jour d’un vert agressif. Quelques survivants se déplaçaient entre eux, mais même de cette hauteur, ils semblaient abasourdis et désemparés. J’ai demandé à Allison si on ne pouvait pas en faire rentrer au moins quelques-uns, comme prisonniers.

« Non, a-t-elle répondu.

— Mais si l’air est toxique…

— Réjouissez-vous plutôt que nous ayons été secourus.

— Il y a peut-être des centaines de personnes dehors. Vous voulez les abandonner à leur mort. » Elle a hoché la tête sans hésiter. « Je ne sais pas qui commande ici, mais cette personne veut vraiment avoir ça sur la conscience ? »

Elle m’a regardé d’un air bizarre. « Vox est une démocratie limbique, m’a-t-elle rappelé. Il n’y a qu’une conscience. On l’appelle le Coryphée. Et elle se fout complètement du nombre de Fermiers qui meurent. »

7

Sandra et Bose

« Je vous présente Sandra Cole, dit Bose. Le médecin d’Orrin au State Care.

— Eh bien, je ne suis pas exactement son médecin », commença Sandra avec la nette impression d’être tombée dans un guet-apens. Le regard d’acier d’Ariel Mather se posa si fixement sur elle qu’elle perdit la voix avant de terminer son explication. Ariel était maigre, mais grande : elle avait beau être assise, elle arrivait presque à la même hauteur que Sandra. Elle devait dépasser Orrin en taille. Elle avait le même genre de visage osseux et les mêmes yeux marron brillants que lui. Mais on ne voyait rien en elle de la lugubre timidité de son frère. L’éclat de colère dans son regard aurait pu aveugler un chat.

« C’est vous qui avez enfermé mon frère ?

— Non, pas exactement… On est en train de l’évaluer au State Care en vue de son admission au Programme de Surveillance des Adultes.

— Ça veut dire quoi ? Il peut partir quand il veut ? »

D’évidence, cette femme voulait qu’on lui réponde sans mâcher ses mots. Sandra commença par s’asseoir. « Non, il ne peut pas. Pour le moment, en tout cas.

— Du calme, Ariel, intervint Bose. Sandra est de notre côté. »

Il y avait des côtés ? À ce qu’il semblait, et Sandra avait apparemment été recrutée dans l’un d’eux.

Un serveur intimidé déposa un panier de petits pains et se dépêcha de repartir.

« Moi, dit Ariel, je sais juste que j’ai reçu un coup de fil de lui, là, pour me dire qu’Orrin était en taule parce qu’il s’était fait tabasser, faut croire que c’est un crime, au Texas…

— Il a été placé en détention provisoire, l’interrompit Bose, pour sa propre protection.

— En détention provisoire, donc, et on m’a demandé si je voulais bien venir le chercher. Bon, c’est mon petit frère, j’ai pris soin de lui toute sa vie et la moitié de la mienne. Bien sûr que je viens le chercher. Et maintenant, je découvre qu’il n’est plus en prison, mais dans un truc qui s’appelle State Care. C’est votre travail, vous disiez, docteur Cole ? »

Voulant prendre quelques instants pour mettre de l’ordre dans ses idées, Sandra beurra un petit pain sous le regard dur et scrutateur d’Ariel. « Je suis chargée de l’évaluation psychologique des nouveaux arrivants. Je travaille en effet pour le State Care. J’ai parlé avec Orrin quand l’agent Bose nous l’a amené. Vous savez comment fonctionne le State Care ? Je crois que c’est un peu différent en Caroline du Nord.

— L’agent Bose m’a dit que c’était une espèce de prison pour les fous. »

Sandra espéra que Bose n’avait pas employé ces termes-là. « On fonctionne de la manière suivante : une personne indigente, sans domicile ou sans ressources qui a des ennuis avec la police peut être déférée au State Care même sans avoir commis de crime, surtout si la police estime que ce pourrait être dangereux pour cette personne de la remettre en liberté. Le State Care n’est pas une prison, madame Mather. Ni un hôpital psychiatrique. Il y a une période d’évaluation d’une semaine qui nous sert à déterminer s’il est préférable que la personne séjourne à temps plein dans ce que nous appelons un environnement surveillé de vie guidée. À la fin de cette période, cette personne est soit relâchée, soit déclarée dépendante. » Elle avait conscience d’utiliser des mots qu’Ariel ne comprendrait sans doute pas – pire, ceux qui figuraient dans la brochure de trois pages éditée par le State Care à l’intention des familles concernées. Mais quels autres mots y avait-il ?

« Orrin n’est pas fou.

— Je l’ai interrogé moi-même et j’ai tendance à partager votre avis. De toute manière, les entrants non violents peuvent toujours être confiés à un membre de leur famille, du moment que celui-ci est d’accord et qu’il a un revenu ainsi qu’un domicile légal. » Elle jeta un coup d’œil à Bose, qui aurait dû expliquer tout cela. « Si vous pouvez prouver que vous êtes sa sœur – un permis de conduire et une carte de sécurité sociale suffiront –, si on peut vérifier que vous avez un emploi et si vous voulez bien signer les formulaires, nous pouvons vous confier Orrin presque tout de suite.

— Je l’ai déjà dit à Ariel, assura Bose. J’ai même appelé le State Care pour prévenir que nous allions remplir les papiers. Mais il y a un problème. D’après votre supérieur, le Dr Congreve, Orrin a fait une crise de violence cet après-midi. Il a agressé un aide-soignant, apparemment. »

Sandra cilla. « Ah oui ? Je n’ai pas entendu parler d’un épisode violent. Si Orrin a agressé quelqu’un, je l’ignorais.

— C’est des conneries, oui, jeta Ariel. Il suffit d’avoir parlé à Orrin, même un tout petit peu, pour savoir que c’est des conneries. Orrin n’a jamais agressé personne de sa vie. Il ne peut pas écraser un insecte sans lui demander d’abord pardon.

— L’accusation est peut-être mensongère, dit Bose, toujours est-il qu’elle complique la libération d’Orrin. »

Sandra essayait encore d’assimiler la nouvelle. « Ce n’est pas du tout le genre de comportement auquel je m’attendrais de sa part, en tout cas. » Le connaissait-elle toutefois vraiment, après un seul entretien et une conversation complémentaire ? « Mais vous voulez dire que… que Congreve ment ? Pourquoi mentirait-il ?

— Pour garder Orrin sous les verrous, dit Ariel.

— D’accord, mais pourquoi ? On manque déjà de financement et de places. Remettre un patient à sa famille est en général la meilleure solution pour tout le monde. Pour le patient comme pour nous. J’ai d’ailleurs l’impression que Congreve a été recruté parce que le conseil d’administration pensait qu’il réduirait le nombre d’admissions au State Care. » De manière éthique ou non, ajouta-t-elle en silence.

« Vous n’en savez peut-être pas autant que vous le croyez sur ce qui se passe là où vous travaillez », dit Ariel.