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Bose se racla la gorge. « N’oubliez pas que Sandra est là pour nous aider. C’est notre meilleure chance pour qu’Orrin soit traité équitablement.

— Je verrai ce que je peux dénicher sur cet incident. Je ne sais pas si je peux aider, mais je ferai de mon mieux. Madame Mather, vous permettez que je vous pose quelques questions sur Orrin ? Plus j’en sais sur son passé, moins j’aurai de mal à faire avancer les choses.

— J’ai déjà tout dit à l’agent Bose.

— Vous voulez bien répéter ? Je ne m’intéresse pas tout à fait à Orrin de la même manière que l’agent Bose. » Et peut-être d’une manière très différente. À l’évidence, Sandra n’avait pas encore pris la pleine mesure de Jefferson Amrit Bose. « Orrin a vécu toute sa vie avec vous ?

— Jusqu’au jour où il a pris le car pour Houston, oui.

— Vous êtes sa sœur… Que sont devenus vos parents ?

— Orrin et moi n’avons pas le même père, et ni le sien ni le mien ne se sont attardés. Maman s’appelait Danela Mather et je venais d’avoir seize ans quand elle est morte. Elle s’est occupée de nous du mieux qu’elle a pu, mais elle perdait facilement le nord. Et à la fin, elle avait des ennuis de drogue. Meth et les hommes qu’il fallait pas, si vous voyez ce que je veux dire. Ensuite, il n’y a plus eu que moi pour m’occuper d’Orrin.

— Ça demandait un gros travail ?

— Oui et non. Il n’a jamais eu besoin qu’on s’occupe beaucoup de lui. Ça lui plaisait toujours de rester tout seul à regarder des livres d’images ou je ne sais quoi. Même tout petit, il pleurait vraiment très peu. Mais il valait rien à l’école et il n’arrêtait pas de pleurer quand Maman l’emmenait en classe, alors le plus souvent, il restait à la maison. Il n’était pas doué non plus pour se nourrir. Si vous lui mettiez pas de la nourriture sous le nez deux fois par jour, il aurait jeûné. Il était comme ça, voilà tout.

— Différent des autres enfants, autrement dit ?

— Ça, c’est sûr, mais si vous voulez dire “retardé”, je vais répondre non. Il sait écrire des lettres et lire des mots. Il est assez malin pour garder un travail si quelqu’un l’embauche. Il a travaillé un moment comme gardien de nuit à Raleigh… Ici aussi, à ce que m’a dit l’agent Bose, jusqu’à ce qu’il se fasse virer.

— Orrin entend-il des voix ou voit-il des choses qui ne sont pas là ? »

Ariel Mather croisa les bras en la fusillant du regard. « Je vous ai déjà dit qu’il n’était pas fou. Il a juste pas mal d’imagination. Ça se voyait déjà quand il était petit, il inventait des histoires sur ses animaux en peluche et ainsi de suite. Il m’arrivait de le trouver en train de regarder la télé même pas allumée, comme s’il voyait sur l’écran vide un truc aussi intéressant qu’une émission du câble. Ou alors il regardait les nuages passer dans le ciel. Et il aimait regarder les fenêtres quand il pleuvait. Ça n’en fait pas un fou, pour moi.

— Pour moi non plus.

— Quelle importance, de toute manière ? Vous avez juste à le faire sortir de cet endroit où on l’a enfermé.

— La seule manière pour moi d’y arriver, si je peux y arriver, est de convaincre mes collègues qu’Orrin ne risque pas de se retrouver à la rue et d’y être blessé. Ce que vous me racontez m’y aidera. J’imagine que c’est pour ça que l’agent Bose nous a fait nous rencontrer. » Sandra regarda à nouveau Bose du coin de l’œil. « Vous disiez qu’Orrin n’avait jamais été agressif ?

— Orrin fuyait les disputes en se bouchant les oreilles. Il est timide, pas violent. C’était toujours difficile pour lui quand Maman ramenait un type à la maison et le plus souvent, il se cachait. Surtout s’il y avait le moindre désaccord ou la moindre friction.

— Et je suis désolée d’avoir à vous poser la question, mais votre mère a-t-elle jamais été agressive avec Orrin ?

— Il lui arrivait d’avoir des crises à cause de la meth, surtout à la fin. Elle faisait des scènes. Rien de grave.

— Vous disiez qu’Orrin aimait raconter des histoires. Les a-t-il jamais écrites ? Tenait-il un journal ? »

La question sembla surprendre Ariel. « Non, rien de la sorte. Il écrit soigneusement en caractères d’imprimerie, mais pas souvent.

— Avait-il une copine à Raleigh ?

— Les filles l’intimident, donc non.

— Ça l’embête ? Il l’accepte mal ? »

Ariel Mather haussa les épaules.

« D’accord. Merci pour votre patience, Ariel. Je ne crois pas qu’Orrin ait besoin d’être enfermé, et ce que vous m’avez raconté tend à le confirmer. » Même si cela soulève d’autres questions, se dit Sandra.

« Vous pouvez le faire sortir ?

— Ce n’est pas si simple. Il va falloir démêler ce qui s’est passé cet après-midi qui a conduit le Dr Congreve à croire votre frère violent, mais je vais faire tout mon possible. » Une pensée lui vint à l’esprit. « Une dernière question. Qu’est-ce qui a poussé Orrin à quitter Raleigh, et pourquoi est-il venu à Houston ? »

Ariel hésita. Elle resta raide comme un piquet, donnant l’impression que son sentiment de dignité s’était installé dans les renflements de sa colonne vertébrale. « Il a parfois des humeurs…

— De quel genre ?

— Eh bien… la plupart du temps, Orrin semble jeune pour son âge, j’imagine que vous vous en êtes aperçue. Sauf de temps en temps, quand une humeur le prend… et quand Orrin est dans une humeur, il n’a pas l’air jeune du tout. Il vous regarde comme s’il ne vous voyait pas, on dirait qu’il est plus vieux que la lune et les étoiles réunies. Comme si un vent venu de très loin passait en lui, Maman disait quand il était comme ça.

— Quel rapport avec sa venue à Houston ?

— Il était dans une humeur, à ce moment-là. Je ne sais pas trop s’il voulait même vraiment venir spécialement au Texas. Il ne m’a rien dit du tout, il a juste pris les cinq cents dollars que je mettais de côté pour acheter une nouvelle voiture, il les a pris dans le tiroir de ma commode pendant que j’étais partie travailler. Il a demandé à notre voisine, Mme Bostick, de le conduire à la gare des bus. Il n’a pas fait de sac ni rien. Il a juste emporté un vieux bloc de papier et un stylo, à ce qu’a raconté Mme Bostick. Elle croyait qu’il avait rendez-vous avec quelqu’un à la gare. Orrin n’a pas dit le contraire. Mais une fois qu’elle est repartie, il a dû s’acheter un billet et monter dans un car inter-États. Ça durait depuis plusieurs jours, cette humeur, il était tout silencieux et les yeux dans le vague. » Elle évalua Sandra du regard. « J’espère que ça change pas l’opinion que vous avez de lui. »

Ça la complique, pensa Sandra. Mais elle secoua la tête.

Ariel Mather était arrivée tôt dans la matinée à Houston. Bose l’avait aidée à s’installer dans un motel avant leur visite manquée au State Care, mais elle avait à peine eu le temps de défaire ses bagages. Elle était fatiguée et elle dit à Bose qu’elle voulait prendre une bonne nuit de sommeil. « Merci quand même pour le dîner et tout.

— Il me reste deux ou trois choses à discuter avec Sandra », répondit Bose, qui demanda au serveur d’appeler un taxi. « Pendant qu’on attend, Ariel, je peux vous poser une dernière question ?

— Allez-y.

— Une fois à Houston, Orrin vous a contactée ?

— Il m’a appelée pour me dire qu’il allait bien. J’étais assez énervée pour l’engueuler d’être parti, mais ça l’a juste fait raccrocher, et après, j’ai regretté. J’aurais dû le savoir. Lui crier dessus n’a jamais servi à rien. Une semaine plus tard, j’ai reçu une lettre dans laquelle il disait qu’il avait un emploi stable et qu’il espérait que je ne lui en voulais pas trop. Je lui aurais répondu, s’il avait donné son adresse.