Выбрать главу

Bose espéra que Turk allait tout simplement abandonner et rentrer chez lui, sans quoi lui-même aurait sans doute à l’intercepter et à le prévenir de ne pas approcher. Tout cela prenait trop de temps et il lui fallait encore retrouver Orrin Mather. Il accéléra un peu le pas, en évitant la lumière des réverbères et en restant autant que possible dans les allées des bennes à ordures et des livraisons.

Quand il revit Turk, celui-ci se tenait immobile à seulement une dizaine de mètres. Il se trouvait à deux rues au sud de l’entrepôt Findley et on ne voyait pas le moindre garde. Bose recula d’un coup quand le gamin regarda des deux côtés dans la rue, qui ne lui offrit d’autre spectacle que des portes fermées et des trottoirs misérables sous une pluie incessante. Il passait nerveusement son sac plastique d’une main à l’autre. Bose s’apprêtait à se montrer, soit pour l’affronter, soit pour le faire fuir, quand le gamin tourna subitement à gauche, le sac serré dans ses bras, et se mit à courir entre deux bâtiments obscurs.

Merde, se dit Bose. Il suivit à pas rapides mais prudents en espérant que le gamin n’allait pas se faire ou les faire repérer et tuer.

Mais Turk était rapide, et malin, du moins sur le plan tactique. Il savait que le quartier abondait en ruelles et en allées, la plupart mal éclairées, et gagna sans se faire remarquer celle qui donnait sur l’entrepôt. Et qui était très surveillée, mais le gamin se faufila entre deux voitures vides, profita d’une bourrasque de pluie particulièrement violente pour traverser à toute vitesse un espace à découvert et atteindre sans se faire voir l’embouchure d’une autre allée. Bose présuma qu’il ne voulait pas arriver à l’avant de l’entrepôt, mais à l’arrière, aux quais de chargement. Tout comme dans l’histoire d’Orrin.

Bose suivit par le même chemin en ayant l’impression d’être ridiculement voyant. Il se rappela que son seul objectif était d’empêcher le gamin de faire une énorme erreur et de blesser quelqu’un ou d’être lui-même blessé. Le problème était que Turk pourrait réagir de manière imprévisible à toute tentative de l’aborder. Il fallait néanmoins que Bose établisse le contact.

Il n’avait pas d’arme, mais certains de ses talents personnels pourraient lui servir dans cette situation. À la différence de sa contrepartie modifiée proposée au marché noir par les vendeurs de longévité, le médicament martien supprimait ou améliorait certaines fonctions neurologiques. Il supprimait l’agressivité spontanée, si bien que Bose était ce qu’on appelait « long à la colère ». Il augmentait l’empathie et éliminait la peur. Il améliorait aussi l’acuité visuelle et le temps de réaction, ce qui avait aidé Bose à se forger une excellente réputation de tireur d’élite à l’école de police.

Turk remonta l’allée jusqu’à l’intersection avec la ruelle passant derrière l’entrepôt. Il s’accroupit, presque invisible dans son poncho noir, et tendit le cou pour voir ce qui se passait. Bose saisit l’occasion pour se glisser dans son dos.

C’était le moment ou jamais. « Salut », dit-il à voix basse, mais juste assez fort pour être entendu dans le crépitement de la pluie.

Le gamin sursauta et se retourna d’un coup. Bose tendit les mains, paumes levées. « Je ne suis pas armé, dit-il en approchant encore de deux pas. Et je ne suis pas avec eux.

— Qui vous êtes, alors ? » parvint à dire l’adolescent. Il tenait le bidon d’alcool méthylique dans la main droite de manière à pouvoir s’en servir comme d’une masse d’armes.

« Un ancien flic. Tu es Turk Findley, pas vrai ? Le fils du propriétaire ? » Le gamin ne répondit pas, mais qu’il garde le silence sans marquer de surprise valait confirmation. « Je veux juste que toi et moi, on reparte d’ici par où on est venus. Quoi que tu aies l’intention de faire, ce n’est pas possible. Pas ce soir. »

La pluie dégoulinant des cheveux bruns trempés du gamin passait sous le col de son poncho. Il regarda Bose dans le déluge, puis dit d’une petite voix éteinte : « Derrière vous.

— Hein ?

— Ils sont derrière vous. »

Le gamin s’accroupit précipitamment. Bose l’imita. Il risqua un coup d’œil par-dessus son épaule. Deux hommes arrivaient dans l’allée, spectraux dans la pluie. Ils n’avaient pas encore vu Bose ou Turk, qu’un angle masquait, mais ne manqueraient pas de le faire en continuant dans la même direction.

La réaction de Bose sembla rassurer Turk. « Par ici. »

Bose n’eut d’autre choix que de le suivre dans la ruelle, où on les verrait sûrement… sauf qu’il y avait un espace étroit entre une benne à ordures en métal vert et le bord d’un quai de chargement, un espace juste assez grand pour qu’ils se glissent l’un et l’autre à l’intérieur. Bose essaya de bien voir ce qui l’entourait pendant l’instant où il n’était plus caché. Les quais de l’entrepôt Findley se trouvaient juste un peu plus loin. Trois automobiles étaient garées dans l’allée et une anonyme camionnette blanche était plaquée à l’un d’eux. La porte correspondante avait été remontée, ce qui projetait un rectangle de lumière dans l’obscurité. Bose essaya de photographier mentalement la scène, de calculer les distances relatives et de repérer les itinéraires de fuite possibles. Il s’accroupit ensuite près de Turk, qui tremblait comme un chien mouillé.

Les deux gardes arrivèrent dans l’allée, à découvert. Bose entraperçut leurs imperméables jaunes quand ils passèrent près de la benne en revenant vers le quai de chargement occupé. Pour Bose, la présence de la camionnette expliquait ce qui se passait à l’entrepôt : Findley avait pris peur et supprimait toute trace de contrebande. L’arrière de la camionnette laissait voir des piles de cartons qui montaient jusqu’au plafond – sans doute des produits chimiques venus du Liban ou de Syrie et destinés aux bioréacteurs de marché noir.

Bose décida de mieux voir. Il s’allongea sur le goudron mouillé, mais encore tiède après la canicule de la journée et d’où montait une odeur d’animal trempé d’huile. Il rampa pour sortir la tête et jeter un coup d’œil. Il n’avait d’autre camouflage que ses cheveux et sa peau noirs.

Il regarda attentivement l’homme en train de superviser le chargement, un quinquagénaire à la mine défaite qui tenait une torche électrique à la main. Bose l’identifia comme Findley senior. « Ton père est là, chuchota-t-il.

— Vous connaissez mon père ? demanda le gamin au bout d’un moment.

— Je l’ai reconnu en le voyant.

— Vous allez l’arrêter ?

— J’aimerais bien. Sauf que je ne suis plus flic. Je ne peux arrêter personne.

— Mais qu’est-ce que vous faites là, alors ?

— J’aide un ami. Et toi, tu fais quoi, ici ? »

Pas de réponse.

Bose s’apprêtait à suggérer qu’ils essayent de repartir comme ils étaient venus, malgré les risques, quand une quatrième automobile vint s’arrêter près de la camionnette. Son conducteur sortit, grimpa sur le béton du quai et s’approcha de Findley, qui le regarda d’un air de dire quoi encore ? L’homme montra la ruelle en disant quelque chose d’inaudible. Findley se mit tout à coup à taper dans ses mains et à crier assez fort pour qu’on l’entende dans la pluie : il ordonnait à ceux qui remplissaient la camionnette d’en terminer et rappelait le périmètre de sécurité.

Bose consulta sa montre. Le bus suivant avait dû arriver quelques minutes auparavant. Orrin, se dit-il. Sans doute un des agents de sécurité de Findley avait-il repéré Orrin Mather et en avait-il informé son patron.