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Orrin regarda la camionnette devant eux. « Monsieur Findley ?

— Qu’est-ce que tu t’imagines avoir à dire, Orrin ?

— Monsieur Findley, il me semble que ce camion brûle. »

De tremblotantes flammes jaunes sortaient par les portières arrière de la camionnette, qu’une chaîne tenait plus ou moins fermées. De la fumée s’en échappait aussi, mais la pluie et la brume la cachaient. Le conducteur semblait ne s’être encore aperçu de rien.

Quelque chose à l’intérieur s’enflamma alors avec un violent boum. Les portières arrière s’ouvrirent d’un coup, alimentant en air un brasier soudain. Le véhicule fit une embardée et percuta le trottoir. Deux hommes sortirent en titubant de la cabine, jetèrent à l’arrière un coup d’œil horrifié et s’enfuirent à toutes jambes dans les ténèbres.

Findley et son homme de main avaient toujours les yeux fixés sur les flammes quand la voiture de Bose jaillit du parking du café-restaurant. Findley la vit le premier. « Roule ! Roule, bordel ! » cria-t-il, mais Bose pila juste devant le capot. Le conducteur voulut reculer, ne parvint qu’à emboutir le pare-chocs arrière contre le banc en béton de l’arrêt de bus. Son dernier recours était l’arme qu’il tenait à la main et qu’il leva en cherchant une cible. Findley continuait à crier sans raison.

Sandra vit Orrin se jeter sur le bras droit de l’homme armé. Orrin qui ne peut même pas écraser un insecte, se dit Sandra. Sauf si on le provoquait. Il avait relevé le pistolet quand le coup partit. La balle perça dans le toit de l’automobile un trou au bord recourbé par lequel entrèrent de fines gouttes de pluie. Findley ouvrit d’un coup sa portière pour se jeter dehors et roula sur la chaussée humide. Sandra se rendit compte qu’elle devrait l’imiter, mais ne pouvait se résoudre à bouger. Elle était devenue un point fixe autour duquel l’univers tournait. Son corps était en plomb et ses oreilles bourdonnaient.

Elle voulut aider Orrin qui, le genou enfoncé dans le dossier du siège avant, essayait de tirer le bras de l’homme de main vers l’arrière. Le pistolet se braquait de tous côtés comme un serpent à sonnette qui cherche à mordre. Orrin grogna et redoubla d’efforts en agitant les deux pieds. Un autre coup de feu claqua.

Bose ouvrit alors la portière côté conducteur. Sa vitesse surprit Sandra. Ses réflexes de Quatrième Âge, peut-être. Il saisit le bras juste au moment où Orrin, épuisé, le lâchait en retombant en arrière. Il s’empara du pistolet et le glissa dans sa ceinture. Il sortit l’homme qui s’accroupit dans une flaque tel un animal acculé, la main serrée autour du poignet et les dents découvertes, regarda un instant Bose et le pistolet, puis s’enfuit dans la direction opposée. Bose le laissa partir.

Aucune des sources lumineuses du quartier ne brillait davantage que la camionnette en feu, qui jetait de longues ombres chaotiques sur la chaussée luisante. Sandra regarda Orrin. Prostré sur la banquette, le garçon releva la tête avec une grimace de douleur. « Je vais bien, docteur Cole. » Mais il n’allait pas bien. Le second coup de feu lui avait labouré l’épaule. Sandra inspecta la blessure avec professionnalisme, comme si elle n’était plus dans cette folie, mais de nouveau interne à l’hôpital. Les bases de la médecine. Exercer une pression. La plaie saignait, mais pas trop.

Elle aida Orrin à passer de la voiture de Findley à celle de Bose. Lorsqu’elle se redressa, Bose lui retint le bras pour l’immobiliser le temps d’examiner sa plaie au visage. « C’est moins grave que ça en a l’air, dit-elle avant de se contredire en crachant du sang sur le trottoir mouillé.

— Il faut qu’on parte d’ici », répondit Bose.

Debout sur la chaussée, Findley regardait fixement quelqu’un de l’autre côté de la rue.

Son fils, Turk. Sandra s’imagina voir des vagues de conjectures et de consternation se frayer un chemin dans la conscience stupéfaite de Findley.

« Il sait ce que vous êtes », dit-elle d’une voix forte et sévère, bien qu’un peu brouillée par sa dent branlante et sa joue de plus en plus enflée. « Il sait tout, monsieur Findley. »

Il se tourna vers elle, le visage comme un masque de rage et de confusion.

Sandra l’ignora. Elle observait le garçon, à présent. Le gamin. Turk. Celui-ci remit d’un coup la capuche de son poncho et se détourna de son père d’un mouvement au mépris éloquent. Il s’en va, comprit Sandra. Elle le lisait dans son corps, dans la manière dont il voûtait les épaules et raidissait la colonne vertébrale. Cela ne s’était pas passé comme dans l’histoire d’Orrin, mais d’une certaine manière, c’était la même chose. Le garçon s’en allait dans son propre pays épouvantable, mais peut-être différent de celui imaginé pour lui par Orrin.

Findley vit son fils entamer ce long éloignement. « Attends », lança-t-il faiblement.

Turk l’ignora. Il passa devant la vitrine du café-restaurant, ce qui jeta un reflet sur l’asphalte luisant à cause de la pluie et de l’incendie. Il tourna au coin de la rue, s’enfonçant dans l’obscurité. Findley le suivit des yeux sous le déluge jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à voir.

Sandra se glissa sur la banquette arrière de la voiture de Bose en cherchant de quoi bander la blessure d’Orrin. Bose lui tendit un rouleau de coton sorti de la trousse à pharmacie qu’il conservait dans la boîte à gants. Orrin avait beaucoup saigné – le sang et la pluie trempaient les mailles lâches de son tee-shirt – mais quelques points suffiraient pour refermer la plaie. Sandra pensait pouvoir s’en charger, si Bose décidait qu’ils ne pouvaient prendre le risque de passer aux urgences. « Tenez-moi ça, dit-elle à Orrin en lui mettant le coton dans la main. Vous y arriverez ? »

Il hocha la tête. « Merci », dit-il d’une voix au calme anormal.

Bose dépassa la camionnette en feu et arriva en quelques intersections désertes sur la route. Il n’y avait presque pas de circulation et les gouttes de pluie formaient comme un brouillard. Dans l’obscurité balafrée de la tempête, il roula à vitesse régulière en direction de la grande ville qu’il ne voyait pas.

30

Récit de Turk

Nous avons volé vers Vox dans un ciel rendu fou. D’une température si élevée que les capteurs thermiques externes déclenchaient parfois des alarmes sonores. L’aube était d’un éclat brutal et quand il s’est levé, le soleil a eu l’air boursouflé et menaçant. Sauf que ce n’était pas lui qui avait changé, mais la barrière protectrice entourant la Terre.

Après la fin du Spin, il y avait eu quelques années d’agitation pendant lesquelles les gens s’étaient demandé ce qui se produirait si les Hypothétiques retiraient leur protection. La réponse paraissait trop épouvantable pour être concevable. De plus, même si leurs intentions restaient inconnues et leurs motifs obscurs, les Hypothétiques avaient semblé tenir à préserver la vie humaine, aussi avions-nous accepté l’illusion de normalité et même commencé à y croire, ce qui était vraisemblablement ce qu’ils attendaient de nous.

Mais je me souvenais de ce qu’avaient dit les astrophysiciens. Durant le Spin, le soleil avait vieilli de près de quatre milliards d’années. Le soleil était une étoile, et les étoiles se dilatent en vieillissant, souvent au point d’englober les planètes qui les entourent. Sans l’intervention continue des Hypothétiques, l’atmosphère terrestre serait emportée, les océans s’évaporeraient comme des flaques un après-midi de juillet et le manteau rocheux lui-même se mettrait à fondre.

Maintenant, enfin, cette protection avait été retirée.

L’afflux de rayonnements avait déjà un effet sur le temps. Nous nous dirigions vers l’Antarctique à soixante mille pieds, en évitant les cumulonimbus qui bouillonnaient dans la stratosphère comme des montagnes noires et fluides. Nous arrivions à proximité de Vox, nous enfonçant dans les vents violents et la pluie ruisselante, quand notre avion nous a informés qu’il parvenait aux limites de son domaine de vol. Il ne manquait plus grand-chose pour le rendre incapable de fonctionner.