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Elle en avait rencontré certains, ceux qui administraient le véritable traitement de longévité conformément aux intentions des Martiens – le couple quinquagénaire qui avait conduit Orrin et Ariel hors de Houston, déjà, puis d’autres en visitant Seattle.

Ces gens semblaient plutôt honnêtes, et sincères dans leurs croyances. Le seul espoir de sauver ce monde surchauffé et inconséquent consistait, d’après eux, à découvrir une nouvelle manière de vivre en humain. Le traitement martien constituait un pas dans cette direction. Du moins à ce qu’ils disaient, et Sandra n’était pas certaine qu’ils se trompaient… mais peut-être étaient-ils naïfs.

Et il y avait Bose lui-même, un Quatrième Âge par défaut et au mauvais âge. Certaines des qualités qu’elle aimait chez lui pouvaient provenir de ce traitement : son calme tranquille, sa générosité, son sens de la justice. Mais Bose n’était pour l’essentiel que… Bose. Elle n’en doutait pas une seconde. C’est de Bose qu’elle était tombée amoureuse, pas de sa chimie du sang ni de sa neurologie.

Il lui avait pourtant dit sans ménagement qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir le traitement du Quatrième Âge pour Kyle. Bose l’avait reçu parce que c’était le seul moyen de lui sauver la vie ; Kyle ne se trouvait pas dans ce cas de figure, avant tout parce que cela ne le guérirait pas vraiment. Comme l’avait dit Bose, cela ne ferait de lui, peut-être définitivement, qu’un petit enfant dans un corps sain et adulte. Résultat que les amis de Bose, après de nombreux débats éthiques et discussions, ne pouvaient approuver.

Affalé dans le fauteuil roulant, la tête penchée, Kyle suivait des yeux l’oscillation des chênes.

« J’ai reçu une lettre d’Orrin Mather, hier. » Les amis de Bose avaient été comme toujours généreux, dans l’aide qu’ils avaient apportée à Orrin et à Ariel au cours de l’enquête consécutive à l’incendie : ils leur avaient trouvé un logement dans lequel ni les policiers ni les criminels ne risquaient de venir les chercher. « Orrin travaille à temps partiel dans une pépinière commerciale. Son épaule se remet sans problème, d’après lui. Il dit qu’il espère que tout va bien pour l’agent Bose et pour moi. C’est le cas, je pense. Il dit aussi que ça ne le gêne pas que je lise ses carnets. »

(Bien sûr que je vous aurais donné la permission, si vous l’aviez demandée, avait écrit Orrin, reproche implicite que Sandra savait mériter.)

« Il dit que j’avais lu tout ce qu’il avait écrit, à part quelques pages qu’il a terminées après son arrivée à Laramie. Il les a jointes à sa lettre. Regarde… je les ai apportées. »

Vous pouvez les garder, avait écrit Orrin. Je n’en ai plus besoin. Je crois que j’en ai fini avec tout ça. Vous comprendrez peut-être mieux que moi. Tout est déconcertant pour moi. Pour être franc, j’ai juste envie de passer à autre chose.

Elle écouta le ruisseau couler dans le bosquet. Ce jour-là, il était peu profond, transparent et brillant comme du verre. Elle se dit que cette eau finirait par trouver le chemin du golfe du Mexique… ou par s’évaporer, peut-être, pour retomber en pluie dans un champ de maïs de l’Iowa, en neige durant l’hiver sur une ville dans le Nord.

La somme de tous les chemins, songea-t-elle.

Elle souleva les pages envoyées par Orrin et se mit à les lire à voix haute.

32

Récit d’Isaac/Récit d’Orrin/La somme de tous les chemins

Je m’appelle Isaac Dvali, et voici ce qui s’est passé après la fin du monde.

À la fin, Vox m’appartenait. Ses habitants (que j’avais détestés) étaient morts (ce que je regrettais) et il ne restait plus de vivants que Turk Findley et l’impersona d’Allison Pearl.

Me reprochez-vous de détester Vox ?

Les Voxais m’avaient ressuscité quand je ne voulais rien d’autre que mourir. Ils m’avaient cru plus qu’humain alors que j’étais moins qu’humain. Je n’ai jamais obtenu d’eux que douleur et incompréhension.

J’avais été parmi les Hypothétiques, insistaient mes ravisseurs, les Hypothétiques m’avaient « touché »… mais ce n’était pas vrai. Parce que les Hypothétiques (tels que Vox les imaginait) n’existaient tout simplement pas.

Mon père m’avait créé pour que j’entende leurs conversations, les murmures qu’ils s’expédiaient entre les étoiles et les planètes, et j’avais appris que les Hypothétiques étaient un processus… une écologie, pas un organisme. J’aurais pu le dire à mes ravisseurs, sauf qu’ils n’auraient pas accepté cette vérité et qu’elle n’aurait rien changé.

Les Hypothétiques avaient déjà des milliards d’années au moment de leur première intervention dans l’histoire de l’humanité.

Ils provenaient de la première civilisation biologique consciente à apparaître dans la galaxie, bien longtemps avant que la Terre et son soleil se forment par accrétion de poussière interstellaire. Comme les premières pousses printanières dans un champ de blé, ces civilisations précurseurs étaient fragiles, vulnérables et seules. Aucune n’a survécu à l’épuisement et à l’effondrement écologique de sa planète-hôte.

Mais avant de mourir, elles ont lancé des flottes de machines autoreproductrices dans l’espace interstellaire. Des machines conçues pour explorer les étoiles proches et transmettre à leur base les données qu’elles récupéraient, ce qu’elles ont fait, patiemment, fidèlement, longtemps après la disparition de leurs créateurs. Elles allaient d’étoile en étoile, se disputant les rares éléments lourds, échangeant des modèles comportementaux et des fragments de code opératoire, se transformant et évoluant au fil du temps. Elles étaient intelligentes, en un sens, mais n’avaient jamais eu (et n’auraient jamais) conscience de leur propre existence.

Ce qui avait été lâché dans le vide désertique et les oasis étoilées de la galaxie était l’inexorable logique de la reproduction et de la sélection naturelle. Que suivaient le parasitisme, la prédation, la symbiose, l’interdépendance… le chaos, la complexité, la vie.

Je détestais les Voxais – comme ils agissaient collectivement, je pouvais les détester collectivement – à cause de leurs superstitions limbiques profondément enracinées, et parce qu’ils m’avaient tiré de l’indifférence de la mort pour me ramener dans la douleur de mon corps physique. Mais je ne pouvais pas détester Turk Findley ou la femme qui en était venue à s’appeler Allison Pearl.

Ils étaient brisés et imparfaits, tout comme moi. Comme moi, la volonté de Vox les avait créés ou faits venir. Et comme moi, ils s’étaient révélés davantage et moins que ce à quoi s’attendait Vox.

J’avais fait la connaissance de Turk dans le désert d’Équatoria, avant que lui ou moi traversions l’Arc temporel. Par ignorance ou par dépit, et pas tout à fait par accident, Turk avait autrefois tué un homme, et il avait bâti son existence sur les fondations de cette culpabilité. Ses meilleures actions étaient des gestes d’expiation. Il acceptait ses échecs comme une espèce de punition. Il avait soif d’un pardon qu’il ne pourrait jamais obtenir et cela l’a horrifié que le Coryphée lui propose ce pardon. Accepter celui-ci aurait déshonoré l’homme que Turk avait tué (il s’appelait Orrin Mather), et le peuple de Vox, en immergeant tous les sentiments de ce genre dans leur collectivité limbique fermée, s’était rendu monstrueux à ses yeux.