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Ces vers appris à l'école primaire hantent mon subconscient. Je me réveille tout à fait. Il fait jour et un vent terrible souffle sur Saint Turluru-le-Haut. Je ne sais pas qui a semé ce vent-là, mais en tout cas il récolte la tempête, le venticulteur ! Et même, comme ça doit être une bonne année, il peut espérer un ouragan. Les chalutiers doivent chahuter vers Terre-Neuve ! La morue va encore augmenter, les gars !

Les volets de l'hôtel donnent de grandes gifles à la façade. Des morceaux de branchages se plaquent aux vitres après avoir longtemps tourbillonné dans le ciel tourmenté. Chouette été ! Vous m'en remettrez deux autres de côté, c'est pour offrir à mon percepteur ! Ce serait formide de voir voltiger des feuilles d'impôt dans cette tornade ! La bonniche de l'hôtel crie parce que le fil d'étendage s'est fait la malle avec son chargement de nappes et de serviettes. Bath cerf-volant, et qui doit amuser les mômes de l'école.

Je mate l'heure à mon horloge personnelle. Il est sept plombes of the morning. Je me douche, me rase, me lotionne, me vêts et me dirige vers la salle à manger.

L'ex-adjudant Morbleut est déjà debout. Sa moustache bien cirée luit comme une queue d'otarie. Il paraît aussi joyeux qu'une épidémie de choléra.

— Déjà levé ? je demande.

Il hausse les épaules.

— Moi, c'est quatre heures tous les jours, tranche-t-il ; y’a que le matin qu'on peut faire du bon travail !

— Sauf si on est veilleur de nuit. objecté-je doucement.

— Je voulais dire dans notre métier, mon garçon. Vous avez du nouveau ?

— Pas encore !

— Je m'en doutais. Vous autres, les jeunots, vous faites des enquêtes comme le jeu des sept erreurs : avec un crayon et du papier.

La rouquine qui a pu récupérer son cerf-volant nous sert le petit déjeuner.

— Votre subordonné m'a posé un rude lapin, hier soir ! attaque Morbleut.

— Il était chargé de mission, Bérurier. excusé-je.

— Et en attendant, pour la belote, je me suis mis la ceinture.

— Lui aussi. Pouffé-je.

Le bigophone retentit en coulisse.

— Tiens, fait l'adjudant, il fonctionne encore, celui-là !

Un Béru en pyjama, tout amolli par le sommeil, paraît, superbe et triomphant.

— Bon appétit, messieurs ! fait-il.

— Salut, Ruy Blas ! réponds-je.

Le Gros se gratouille l'entre-jambe.

— Il fait un vent à décorner un gendarme, observe-t-il.

— Dites-donc, proteste Morbleut, je n'apprécie pas beaucoup ce genre de plaisanterie !

— Mande pardon, s'excuse le Gros, effaré, je causais pour dire. Y’avait aucune alluvion à vous !

— Je l'espère, mon ami, je l'espère. Mme Morbleut a toujours eu une vie privée irréprochable.

La rouquine se pointe.

— Monsieur le commissaire ; hèle-t-elle. C'est pour vous le téléphone. Mais qu'est-ce qu'on entend mal alors ! Oh là là, ce qu'on entend mal !

— Avec un siphon pareil, ça n'a rien d'étonnant, explique le Mastar. Les nanas qui vont mettre des jupes gonflantes aujourd'hui, elles feront de la recette, je vous le dis !

Je vais cueillir le combiné qui pendouille au bout de son fil dans la cabine vitrée.

— Allo !

Une voix en pointillé me demande si je suis le commissaire San-Antonio. On pêche une syllabe sur deux avec cette tempête.

— Oui, oui, oui, oui ! réponds-je, en espérant que mon interlocuteur parviendra à s'en farcir un.

— … faut…niez… suite !

— Il faut que je vienne de suite ?

— … veau… ame… s'est pro…

— Je dois amener de l'Aspro ?

— Non ! Nouveau… s'est produit !

Je glapis.

— Un fait nouveau ? Vous dites qu'un fait nouveau s'est produit ?

— Oui…

— Mais parlez, sapristi !

Le gars parle. En vain. Maintenant, notre conversation c'est de la purée de voyelles. Je raccroche.

— Allez, Gros, mugis-je, en route ! Paraîtrait qu'il y a du nouveau.

— Quel nouveau ?

— Pas pu saisir ce que me racontait le gars. Je fonce, tu me rejoindras avec ton D.C.4. Et surtout, n'oublie pas de mettre la ceinture de sécurité. Avec ce vent, c'est plus prudent !

CHAPITRE X

Au commissariat, il y a la foule de l'avant-veille. On se bouscule au portillon. Mon arrivée fait taire tout le monde. Des journalistes me matent à la dérobée en riant sous Rolleiflex. Je file dans le bureau du commissaire local. Il n'a pas pris le temps de se raser, lui. Il ressemble à une poire moisie.

— C'est terrible, balbutie-t-il, terrible.

— Que se passe-t-il, mon cher confrère ?

— Le candidat indépendant… Il est mort cette nuit !

Je trépigne.

— Comment ? Vous dites ? C'est une blague !

— Hélas, hélas, hélas !..

— Qu'est-ce qui est arrivé ?

Il secoue sa pauvre tronche accablée.

— Attendez, l'un des inspecteurs chargés de sa surveillance va vous le dire…

Il appelle :

— Martinet !

L'incriminé arrive d'un trait comme une hirondelle. Mais une hirondelle qui ne ferait pas le printemps, ça se lit sur sa bouteille catastrophée.

— Alors, vous vous êtes laissé pigeonner ! clamé-je.

Il bredouille :

— C'est-à-dire, monsieur le commissaire !

— C'est-à-dire quoi ? Racontez-moi un peu les faits !

— Eh bien, voilà… Après sa conférence, M. Lendoffé est allé prendre un verre à l'hôtel du Commerce et de la Hausse des Prix en compagnie d'un groupe d'amis. Ils ont sablé le champagne.

— Vous étiez dans la salle ?

— Oui, moi et Miradort. Tout s'est bien passé. Après, M. Lendoffé est rentré à son domicile. Il nous a ouvert la porte de la maison pour nous faire rentrer dans l'hall où moi et Miradort on dort !

— Pourquoi dites-vous qu'il vous a fait rentrer ?

— Il nous a ouvert la porte. Lui il rentrait sa bagnole dans son garage situé sous la maison et il remontait directement à sa chambre par un escalier de service.

Je bondis.

— Et vous ne l'avez pas escorté jusqu'au garage ?

— Mais si ! se rebiffe Martinet. C'est moi qui lui ai ouvert la porte du garage et qui ai donné la lumière. Puis, je suis allé vérifier si la porte du fond était bien fermée ; elle l'était. M. Lendoffé est entré avec la voiture, j'ai refermé la porte derrière lui et je suis retourné dans l'hall après avoir contourné la maison… Moi et Miradort on a dormi Jusqu'au petit matin. Et la bonne est venue nous réveiller en criant que Monsieur n'était pas rentré ni que son lit n'avait pas été défait. On a fouillé partout. Et on a retrouvé M. Lendoffé dans son garage, mort asphyxié par les gaz d'échappement.

— Ah, vraiment !

— Le moteur de l'auto ne tournait plus, faute d'essence. Mais le garage était noir, de gaz. Pour y entrer, on a été obligé d'enfoncer la petite porte qui fait communiquer le garage aux appartements privés.

— Parce que la grande porte Mischler était fermée de l'intérieur ?

— Parfaitement, m’sieur le commissaire.

Je me tourne vers mon collègue du cru.

— Un médecin a-t-il examiné le cadavre ?

— Il est en train.

Je me cramponne le bol avec désespoir.

Un défunt de plus. Riche collection, n'est-ce pas, les gars ? Cette fois, l'enquête est sur la voie… de garage, précisément. Comme pour me confirmer ce funeste pressentiment, le tubophone retentit. C'est le Vieux qui m'appelle depuis Pantruche. Comment est-il déjà au courant de l'affaire ? Mystère et boule de gomme !