Je lui claque l'épaule.
— Merci, Gros. Je vais accréditer la thèse de l'accident, ça fera diversion. Et si c'est un meurtre j'aurai au moins les coudées plus franches pour travailler !
CHAPITRE XII
Je tube au Vieux les conclusions béruréennes après les avoir faites miennes. Mais le tondu les réfute.
— Vous espérez vraiment faire croire une telle foutaise aux journalistes ?
— Pourtant, monsieur le directeur…
— Et le public, San-Antonio, pour qui le prenez-vous ? Maintenant tous les candidats de Bellecombe sont morts et vous allez essayer de noyer le poisson ! Je vous dis qu'il s'agit d'une série de meurtres dus à un fou sanguinaire ! Je veux l'assassin ! Car il existe bien au moins un assassin dans toutes ces affaires, oui ?
— Sans aucun doute, monsieur le directeur !
Il hurle à s'en faire péter le stradivarius :
— Alors, trouvez-le ! Et vite !
Bing ! Il a raccroché. Donner sa démission en un pareil instant manquerait de panache. Ce serait la solution du foireux, donc pas la mienne. Et pourtant, j'aimerais l'écrire sur parchemin et la faire bouffer au Vieux !
Vers midi trente, alors que je vide scotch sur scotch dans un bistrot proche du commissariat, un inspecteur vient m'annoncer que Laplume a téléphoné de Paris. Il aurait trouvé une piste concernant la personne qui téléphonait au comte au moment de sa mort. Il rappellera dans l'après-midi. Ça me met un peu de baume sur le battant.
Bérurier et Morbleut rappliquent. Ils paraissent fort surexcités. Morbleut, qui a cuvé sa première peinture, me semble parfaitement conditionné pour en prendre une deuxième Cette fois, ils attaquent à l'apéro de marque : Cinzano, priez pour eux !
— On a une idée formide à te soumettre, annonce Sa Majesté !
— Pas possible ! béé-je. Deux dans la même journée et tu survis ?
— Moule avec tes alluvions, c'est sérieux. L'adjudant Morbleut fait chorus.
— Très sérieux, renchérit-il.
Béru lampe son verre, garde un instant le breuvage dans la bouche afin de le mieux brumer. Ce faisant, il produit un bruit de bain de pieds. Puis il avale et déclare :
— Tu connais la nouvelle ?
— Non, fais-je ; ici, elles vont tellement vite que j'ai renoncé à les suivre.
— Les partis politiques ont décidé de ne plus présenter de candidat tant qu'on n'aura pas agrafé l'assassin !
— Je les comprends un peu. Comment le sais-tu ?
Il extrait de sa profonde une édition spéciale de La Pensée Bellecombaise. Elle ne comporte qu'un feuillet, mais qui n'est pas gentil pour la police. Un titre gros comme le nom d'un aéroport écrit sur le toit de ses hangars me pète à la figure :
C'est toujours mauvais quand un titre commence par « Citoyens » à la une d'un canard ! Le texte qui suit n'est qu'un flacon de vitriol jeté à la face de la police. La Pensée Bellecombaise nous traite d'incapables, et de bien d'autres trucs moins aimables. Elle annonce effectivement que les partis politiques, en signe de protestation, ont pris la décision de ne plus présenter de candidats avant la solution de l'affaire.
— Alors, où est votre fameuse idée dans tout cela ? demandé-je.
— Elle est de moi ! affirme Morbleut.
Béru se renfrogne.
— Sois pas scrétaire, Popaul ! On l'a eue ensemble !
— Ensemble, mais l'un après l'autre ! ricane Morbleut.
— Popaul, si tu me cherches tu vas me trouver ! prophétise le Mahousse. Je suis pas le genre de gentèlemane qui tire les couvertures, mais cette fois je suis certain qu'on la eue ensemble, cette idée !
— Si vous me la disiez, tonnerre de Zeus ! trépigné-je.
— Eh bien, voilà ! font-ils en chœur.
Ils se taisent, se regardent en flics de faïence, et avec le même synchronisme murmurent :
— Tu permets !
Et très vite, tandis que Morbleut s'offre une goulée d'oxygène, Béru me lâche :
— Je vais me présenter, Mec !
— Te présenter où ?
— Aux élections. Et c'est Popaul ici présent qui sera mon adjoint !
Tandis que la commotion me fait l'effet d'une pincée de poivre moulu dans les narines ; Sa Majesté poursuit.
— Faut qu'on en sorte, non ? Si c'est un fou qui a décidé de buter les candidats, il essaiera de m'avoir. Seulement, pour avoir Béru, faut pas oublier de se lever de bonne heure et de mettre en guise de flanelle son gilet antiballes !
Je refais surface tant bien que mal. D'une voix barboteuse j'articule :
— Ainsi, tu vas te présenter…
— Oui, Môssieur.
— C'est génial, décide Morbleut. Et pour vous, pour nous tous gens de police, qu'elle publicité ! Quelle réhabilitation aux yeux du public ! Un inspecteur s'offre en holocauste à la furie du sinistre meurtrier !
— Un inspecteur PRINCIPAL ! tonne Béru.
— Si tu veux, concède l'autre.
Mon premier instant de désarroi passé, j'examine la proposition saugrenue à tête — non pas reposée — mais lucide !
— Et pourquoi pas ! fais-je soudain. Faudra que tu retiennes la date d'aujourd'hui, Béru. C'était ta grande journée phosphorescente ! Allons faire le nécessaire.
— Pour commencer, déclare le Gros, je vais chez l'imprimeur pour les affiches !
— Je t'aiderai à les rédiger, promet Popaul. J'ai toujours eu un beau style. Si je te disais qu'au dernier endroit où j'étais, l'instituteur du pays lisait mes rapports à ses élèves pour les estimuler !
Bellecombais, Bellecombaises !
On n'est pas ce que vous croyez !
La preuve, c'est que moi, Bérurier Alexandre-Benoît, inspecteur principal, je lance un défi à l'assassin de Bellecombe en me présentant à vos suffrages ! S'il veut m'empêcher de candider qu'il y vienne !
La politique, je m'ai toujours assis dessus, et sans coussins ! C'est pourquoi je me présente pour un parti nouveau, (moi et l'ex-adjudant Paul Morbleut mon adjoint, on est ses fondateurs et les membres virils : le P.A.F : parti Amélioré Français).
Ce soir, dans la salle des réunions, on vous définira notre programme. Venez nombreux, l'assassin y compris !
Et surtout : Votez BERURIER !!!
Je ne sais pas s'il existe des collectionneurs d'affiches. Je suppose que oui. Alors, qu'ils prennent le premier train venu pour se ruer à Bellecombe. L'affiche électorale de Béru est une pièce de collection dès sa sortie des presses ! D'ailleurs, la population se rue dessus.
L'effet ne se fait pas attendre. Moins d'une heure après que les murs de Bellecombe soient recouverts de cette prose intempestive, le bigophone retentit. C'est le Vieux ! Oh ! Cette sortie de plein air, jolies mesdames ! Il s'en étrangle, le Tondu ! Il dit que nous sommes devenus fous. Que le ministère de l'intérieur ne pourra pas survivre à une histoire pareille ! La police meurt de ridicule. Il va démissionner, écrire une lettre ouverte dans le « Figaro », que sais-je ! Que sait-il !
Il veut parler à Béru, mais il est impossible de mettre la main sur ce dernier. Il est entré en loge dans une quelconque arrière salle de troquet avec son « adjoint » et dans la fièvre, les deux compères préparent leur réunion publique de la soirée.
J'exprime ma navrance au Vieux puis, quand il a déversé des torrents de bile et des bonbonnes de fiel, je raccroche en me demandant pourquoi je n'ai pas choisi de me faire marin, épicier, marchand de bagnoles ou poseur de passages cloutés au lieu d'entrer dans la Rousse ! Pour me changer les idées, je vais à l'enterrement de Monféal.