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C'est vraiment de la cérémonie à grand spectacle, les gars ! En ce moment, Bellecombe vit une période d'exception. Depuis l'arrivée des Allemands en 40 et leur départ en 44 on n'avait pas connu des heures pareilles ! Il faut trois corbillards pour charrier les fleurs, les couronnes, les palmes et autres babioles. Un ancien-quelque-chose-à-béret marche devant le convoi, portant sur un coussin tendu de satin, les décorations de feu Monféal ; à savoir : la médaille commémorative des abonnés à Rustica et la croix d'honneur des remerciements anticipés.

La fanfare de Bellecombe suit, drapeau en berne, en jouant « Si tu n'en veux pas je la remets dans mon linceul » variante d'une marche allègre. C'est l'unique morceau que connaisse la fanfare, mais elle l'interprète sur un rythme extrêmement lent afin de la transformer en marche funèbre. Viennent alors des enfants : de chœur, de Marie, de Pétain, naturels, des écoles, de p…, de troupes, trouvés, légitimes, de salauds, du Bon Dieu et même martyrs. Après, c'est le clergé, ayant à sa tête Monseigneur Transept, archevêque de Moinillon-sur-Crosse et ses vicaires. Puis enfin : la vedette ! Monféal dans son beau corbillard des dimanches. La famille sous des voiles. Un oncle colonel soutient la veuve, malgré qu'elle eût déjà un produit de chez Scandai pour soutenir sa gorge et un notaire cacochyme pour soutenir ses intérêts. Il y a des larmes, à cause de la musique. Les parents éloignés se sont rapprochés du char funèbre. Les notables du patelin leur filent le train, graves, en se faisant regarder par la foule (probablement parce qu'ils ne peuvent plus se voir !). Ce sont ensuite les amis. Ils vantent les mérites du mort de la maison à l'église. De l'église au cimetière ils parleront de ses défauts, et du cimetière au bistrot de la place de ses vices inavouables. Et enfin, la longue chenille ondulante des anonymes, des sans grade, des partis-sans-laisser-d'adresse, des diminués moraux, des augmentés sociaux, des vacanciers, des vaccinés, des humiliés, des curieux, de tous ceux enfin qui assistent aux sépultures parce qu'il fait bon enterrer son prochain. Et qui marchent gaiement, en parlant fort et de tout, sans savoir qu'ils vont mourir demain ! L'inspecteur Martinet (il est à fouetter celui-là !) s'est joint à moi. Depuis l'affaire Lendoffé il me fait la cour pour essayer de se faire pardonner l'asphyxie de son client.

— Vous croyez que l'assassin est dans le cortège ? me demande-t-il.

— J'en suis absolument certain.

— En somme, si on pouvait embarquer tout ce populo…

— Oui, mais on ne peut pas !

La cérémonie n'en finit plus. La Collégiale de Bellecombe est trop petite pour contenir tout le monde. Heureusement qu'il y a plein de bistrots tout autour. On n'y trouve pas d'eau bénite, mais le vin est de première qualité et ceci compense cela. Nous en éclusons un gorgeon, Martinet et moi. Il y a un brouhaha terrible autour de nous. On se croirait un jour de Comice agricole.

— Vous semblez songeur, monsieur le commissaire.

— Je le suis.

Vous savez à quoi je pense, mes chéries ? Non, pour une fois ça n'est pas à vos dessous affriolants. J'évoque les paroles du Gros, lorsque nous étions dans le garage[1].

Il a pas le courant lumière dans le citron, Béru, et ça n'est pas le poids de son cerveau qui risque de fausser un pèse-lettres, mais parfois, il dit des choses sensées. Dans la vie, il n'y a que les c… qui soient capables d'en dire ! Les autres se mettent la calbombe en pas de vis ! Ils se tortillent la matière grise, ils brodent, ils blablatent, ils déforment. Le c…, lui, il dit ce qu'il pense vraiment et comme il pense juste il dit juste. N'entreprenez jamais rien de grave dans la vie sans avoir pris l'avis d'un c… ! C'est une grande règle que les grands hommes d'affaires connaissent et appliquent. Vous pouvez le remarquer : ils ont toujours des tas de c… autour d'eux. Des c… nobles, pour le standing de la maison ; des vieux c… pour son honorabilité ; et une infinité de pauvres c… pour porter le coton, le chapeau et la chance ! Les plus futés s'assurent même la collaboration de sales c… afin de cristalliser sur eux le mauvais esprit qui finit toujours par s'insinuer dans une communauté. Le c… c'est le microorganisme. Sans lui, l'univers serait en décomposition.

— Tu as des lunettes de soleil ? je demande à Martinet. Question quasi superflue : tous les inspecteurs en ont, ainsi que des gants beurre frais et des pochettes blanches.

J'arrache une page blanche à mon carnet et j'écris en lettres d'imprimerie :

BRAVO. BIEN JOUÉ. MAIS MAINTENANT IL FAUT QU'ON DISCUTE. FIXEZ-MOI UN RENDEZ-VOUS EN M'ECRIVANT MARTINET POSTE RESTANTE BELLECOMBE. DANS VOTRE INTERET FAITES VITE.

Je tends le feuillet à mon inspecteur. Il lit et me regarde sans piger.

— Qu'est-ce que ça veut dire, monsieur le commissaire ?

— A la sortie du cimetière, fais-je, il va y avoir une poignées-de-mains-party. En serrant la louche de la veuve, tu lui glisseras ce petit billet dans le creux de la paume.

— Mets tes lunettes avant, pour dissimuler un peu tes traits.

Il met un certain temps pour récupérer.

— Je ne comprends pas, excusez-moi, vous pensez que la veuve…

J'ai un soupir qui me vide les purgeurs.

— Je ne pense rien, j'essaie de m'en sortir… Ce que je fais est peut-être odieux, mais je suis décidé à tout mettre en œuvre et d'aller jusqu'au bout de l'ignominie s'il le faut.

Les cloches nous signalent la sortie du cortège. Tout le monde s'empresse. Nous voilà repartis à travers les rues apparemment quiètes de Bellecombe. Le cimetière est loin, Les cimetières sont toujours loin. En France du moins. On aime bien reléguer ses soucis derrière la porte.

Larmes blabla d'un zig qui trémole. Il a une moustache blanche, la Légion d'honneur et un œil de serre, c'est vous dire s'il fait sérieux.

On a droit à la vie édifiante de Monféal depuis l'école primaire. Tout y passe : ses bons points, sa première communion, son service héroïque pendant la guerre lorsqu'il vendait aux maquisards des fausses cartes d'alimentation. On passe en revue ses dons de visionnaire : n'a-t-il pas crié « Vive de Gaulle ! » en 1944. Un prophète ! Et son action sociale : Président du cercle pongiste, il a ouvert une souscription pour doter le club d'un ping-pong de compétition. Son action humaine aussi est célébrée ; deux enfants ! Faut les faire ! Les faire et les nourrir, ce qui n'est pas à la portée de toutes les bourses ! L'assistance est pétrifiée par une gigantesque émotion. D'un seul coup, trois mille personnes se mettent à le regretter, Monféal. On le pleure, on le déplore, on le renifle, on le toussote, on lui rend un solennel et vibrant hommage.

Le Moustachu en a son râtelier qui hoquette tout seul. Du coup, un vicaire décide une quête supplémentaire. C'était du grand homme, ce Monféal. Buter de la belle marchandise commak, c'est vraiment scandaleux. Mais l'homme au lampion bidon a confiance en la justice. Si la justice humaine ne parvenait pas à châtier le misérable, celle de Dieu s'occuperait de ses fesses ! Y’a du chaudron là-haut qui se prépare. La maison Satan fait rentrer de l'anthracite ! L'orateur en paume son œil de verre dans le gravier de l'allée. Il se baisse pour le ramasser, se trompe et finit par se carrer une capsule de Coca-Cola dans l'orbite.

Il continue. Rien ne peut l'arrêter. On l'a vacciné avec une aiguille de phono. C'est son jour de gloire. Il passe en soliste et c'est grisant. Et puis, dans un cimetière, personne n'ose lui crier « Ta Gueule ! » Alors, il en remet. Je demande qui c'est. Une dame-à-ruban-de-velours-autour-du-goitre me renseigne : il s'agit du vice-sous-président de l'Amicale des Compteurs à Gaz. Ça dure. Il fait comme le défunt : il s'éternise. Dans les rangs du clergé on chuchote pour savoir si une troisième quête s'impose. Le tiers état, lui, il a envie de rentrer chez lui. On en voit qui se débinent : des sournois ou des économiquement faibles qui n'ont pas suffisamment de calories pour tenir le coup.

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1

Dans la réalité, les crimes en vase clos n'existent pas, parce qu'ils sont impossibles.