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— Toujours rien, me répond-on.

Je dis à messieurs mes auxiliaires de me dégauchir coûte que coûte une photographie du personnage.

— Quand vous en aurez trouvé une, faites-la publier par toute la presse et envoyez un exemplaire aux sommiers.

On me dit d'ac. Je réponds O.K. Je frète une nouvelle tire et je fonce sur Paris, via Saint-Turluru.

Car je compte faire une halte à l'hôtel.

Le Vieux Donjon est en effervescence because le gag de ma tire incendiée. Je découvre une Félicie morte d'anxiété que je m'emploie à réconforter.

— Ça n'est pas moi qu'on visait, M'man, mais Béru. Les choses ont l'air de vouloir rigoler ce matin.

— Ah, tu trouves ! s'exclame la bonne chérie.

— Mais oui ; il faut que ça remue, c'est l'apathie qui est négative. Je vais à Paris pour une importante vérification. Toi, je vais te charger d'une enquête.

— Moi ! s’étonne ma brave femme de mère.

— Ecoute, M'man. La bombe dans la voiture, on l'a glissée sous la banquette entre le moment où j'ai sorti l'auto du garage et celui où nous y avons pris place. Il ne s'est pas écoulé dix minutes entre ces deux opérations. Essaie de savoir qui rôdait dans le secteur, qui a pu s'en approcher.

— Tu ne penses pas qu'on a pu glisser cette bombe pendant la nuit ?

— Sûrement pas. Qui donc pouvait prévoir notre heure de départ de l'hôtel puisque, en me couchant, je l'ignorais moi-même ? Crois-moi : le truc s'est passé à ce moment-là.

— Pourquoi ne fais-tu pas enquêter par tes inspecteurs ? insiste-t-elle.

Je lui souris.

— Pour une raison bien simple, M'man. Ici, c'est la brousse. Les gens redoutent la police. Plus ils ont la conscience nette plus ils en ont peur. Lorsqu'un flic se met à les questionner ils jouent bouche-cousue. Avec toi, ils seront en confiance et ils parleront. Tu saisis ?

— Je ferai l'impossible, promet Félicie.

Elle a droit pour ces bonnes paroles à la super-grande-bise-filiale de son grand garçon.

Une plombe et demie plus tard me voilà dans la capitale.

Il s'agit d'une pension de famille discrète, un peu bourgeoise, sise au fond d'une cour qui, chose curieuse, me rappelle par son atmosphère celle de l'hôtel particulier du défunt comte. Au bureau, je découvre une digne personne aux cheveux gris bleuté, entièrement vêtue de mauve.

Je demande après M. Laplume et elle me l'appelle au tubophone intérieur. J'attends mon collaborateur dans un salon garni de meubles d'osier qui se plaignent véhémentement lorsqu'on les utilise.

Laplume surgit, en manches de chemise.

— Alors, mon gars ? demandé-je, où en es-tu ?

— Au même point, penaude-t-il. J'ai bien essayé de faire des risettes à la dame, mais ça n'a pas rendu !

— Elle est sortie ?

— Non : elle écoute la radio dans sa chambre.

Je me balance un moment sur mon fauteuil, me demandant ce qu'il convient de faire. Laplume me touche l'épaule d'un doigt furtif.

— La voilà, souffle-t-il.

Je vois passer une gamine dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'on devrait l'éloigner des cardiaques. Belle à vous couper le souffle, à vous débrancher l'aorte, à vous mettre la moelle épinière en serpentin. Oh ! Cette personne, madoué !

Natacha Bannet, c'est une splendeur ambulante. Je me dresse, comme en état d'hypnose et je lui file le train.

Elle sort sur le boulevard avec le fils unique et préféré, de Félicie sur ses talons aiguilles. Paris sent Paris à ne plus en pouvoir. Il y a de la tendresse dans l'air. Biscotte, l'été la circulation automobile est faiblarde. C'est bon de musarder, avec les yeux braqués sur les mamelons d'une jolie fille. Ces mamelons-là valent ceux de Cavaillon, moi je vous le dis !

Elle descend le Port-Royal jusqu'au boulevard Saint-Michel, puis elle descend le boulevard Saint-Michel jusqu'au Dupont-Latin.

Je pénètre à sa suite dans l'établissement brouhahateux. Il reste quelques étudiants au Latin quarter pendant l'été et ils suffisent à mettre le chantier dans les brasseries du coin. Quelques beaux Noirs accompagnés de belles blondes (c'est dans la nature des choses) et quelques belles brunes avec quelques beaux blonds (les choses étant ce que vous savez) pérorent en des langues multiples et variées. Ma Natacha se carre dans un coin tranquille, derrière l'escalier, et se met à commander une bouffe discrète, en rapport direct avec les conseils caloriques de « Elle Par chance », je trouve une table à côté de la sienne. J'ai une faim d'ogre, mais je me garde bien de commander du pantagruélique, ça ne ferait pas sérieux. Dans la vie faut jamais perdre le côté psychologique de la question : Il est malséant de claper du bourguignon lorsqu'on veut faire du rentre-dedans à une sœur qui se martyrise l'estom' avec le pamplemousse-jambon des régimeux. Je me farcis donc la pointure en dessus : crudités-grillade. Elle commande une demi-Evian, moi je me résous à un demi-pression. C'est neuf, raisonnable, pro-hépatique sinon épatant.

Et le manège commence. La Natacha ne m'aperçoit pas tout de suite et c'est dommage pour elle. S'il est des spectacles qui justifient pleinement l'activité des frères Lissac, c'est bien votre serviteur en train de faire son œil de velours !

La force de mon regard est telle, mon magnétisme si puissant que la belle souris finit par tourner sa jolie petite tête blonde de mon côté. Pas besoin de lui examiner le fond de l'iris pour comprendre que ça rend. Du coup, je me sens tout à fait bien et je pige ce qui me manquait à Bellecombe. C'était Paris ! Paris, son air capiteux, ses souris, son bruit, son odeur. Les vacances lénifiantes à Saint-Turluru m'avaient sclérosé. Ici, je retrouve mon tonus, ma vérité, mon allant. Je suis pareil à ces fleurs japonaises en papier qu'on jette dans un verre d'eau qu'elles finissent par emplir en un rien de temps. Je suis recroquevillé, comme un foie atteint de cirrhose, jetez-moi dans Paname et le miracle s'opère. Et comme ce matin il y a dans cet air de Pantruche une sorte d'espèce d'harmonie pré-établie, un marchand de billets de loterie radine. C'est le genre rat galeux avec des pellicules sur ses épaules. Il va de table en table. Ça ne carbure pas fort. Il fonce alors à celle de Natacha et se met à lui brader son bazar à tout va. Natacha refuse. Elle voudrait bien que le type lui foute la paix. Mais il s'accroche, opérant à l'insistance. Une belle fille esseulée, c'est la proie idéale. Il se fait insinuant. Il va jusqu'à lui déposer d'autour un billet devant son assiette. Alors, le chevalier Bavard, celui qui remplace le beurre et la cantharide, se lève et fonce sur l'importun.

— Puisque mademoiselle vous dit qu'elle ne veut pas de billets ! lui débité-je d'une voix impressionnante.

Il me regarde, bat de ses cils farineux et ronchonne.

— De quoi je me mêle !

Je lui cloque mille balles et je prends trois biffons sur sa planche à billets.

— Déguerpis !

Du coup il s'abstient de renauder et sort en essayant de récupérer sa dignité.

— Merci, me virgule la douce enfant.

Je lui souris et j'agite les trois billets devant elle.

— Voulez-vous parier que j'ai attrapé les numéros gagnants ?

— C'est bien possible !

— C'est toujours comme ça que la fortune arrive, il suffit de lire « Ici Paris » pour s'en convaincre. Si je gagne, on partage, d'accord ?

Et voilà : c'est parti comme en 14, les gars ! Quatre minutes plus tard, nous buvons le café de conserve (c'est du Nescafé), et un quart d'heure après nous déambulons sur le Saint-Michel. Cette gosse, elle est belle et elle sent bon. Sa tiédeur ressemble à celle du printemps. Mince, voilà que je deviens lyrique ! Faudra que je prenne un dépuratif !

Elle me dit qu'elle se prénomme Natacha, ce qui me surprend beaucoup. Elle est la fille d'un ancien diplomate russe, le duc Igor Bannetchkov mort récemment. Elle vit chichement de petites rentes et écrit un livre sur les conséquences de l'art moldo-valaque dans l'emballage moderne.