Question.
— Vous aviez entendu les coups de feu ?
Réponse.
— Oui, mais je ne savais pas qu'il s'agissait de coups de feu.
— C'est instructif ? demande Bérurier.
— Passionnant comme du Tintin, fais-je, et je poursuis ma lecture du rapport.
Question.
— Qu'avez-vous pensé ?
Réponse.
— Quand les coups de feu ont éclaté, je tondais la pelouse avec la tondeuse à moteur. J'ai pris les coups de feu pour le bruit d'un tapis qu'on secoue, ou qu'on bat.
Question.
— Entre le moment où ces coups de feu ont retenti et le moment où le domestique vous a demandé d'aller chercher le médecin, quelqu'un est-il sorti de la maison ?
Réponse.
— Je n'ai vu personne ! Absolument personne !
Question.
— Qu'avez-vous fait alors ?
Réponse.
— Je suis allé sonner en face.
Question.
— Vous avez rencontré des gens en cours de route ?
Réponse.
— Oui, des voisins, des gens du quartier ! Je leur ai dit qu'il venait d'arriver un grand malheur à Monsieur le comte. C'est ce que Séraphin venait de me dire !
Le reste du rapport est du même tonneau. Mathieu Mathieu n'a vu personne sortir de la demeure. Du moins l'a-t-il prétendu.
Je fais signe à des inspecteurs d'approcher.
— Dites, les gars, vous avez questionné les gens alertés par le jardinier lorsqu'il allait quérir le toubib ?
— Oui, monsieur le commissaire.
— Qu'est-ce que ça donne ?
— Ils ont confirmé. Personne n'a entendu de coups de feu. Le Mathieu est sorti en courant et les a interpellés pour leur dire qu'il était arrivé un malheur à son patron.
— Il n'a pas précisé quel genre de malheur ?
— Non, puisque lui-même l'ignorait.
— O.K., merci !
Je me pince les deux yeux entre le pouce et l'index. Béru me tapote l'épaule.
— Dis voir, mec, on pourrait maintenant s'intéresser à la seconde affaire, pendant que la première se décante ?
— On pourrait, Béru, on pourrait !
Je donne des instructions afin que des recherches soient entreprises pour retrouver le jardinier. J'insiste en outre pour qu'on essaie de savoir qui téléphonait au comte au moment de sa mort.
— Tu crois que ce dernier détail a de l'importance ? s’informe le valeureux.
— Il peut en avoir. Le comte a été tué presque à bout portant. Et de face ! Il a vu son assassin ! Il aurait pu à cet instant lâcher une exclamation susceptible de nous fournir une indication.
— Jockey ! approuve Béru, je veux pas te flatter, San-A., mais t'en as dans le chou !
Cet hommage étant rendu à mes immenses qualités et à ma vive intelligence, nous nous rendons chez les Monféal, pour étudier de près le second volet de l'enquête !
CHAPITRE VI
Feu Georges Monféal était de son vivant conseiller financier. On dit que les conseillers ne sont pas les payeurs, pourtant m'est avis que celui-ci a payé chérot. Il habitait un appartement d'un étage dans le quartier résidentiel, non loin de chez le feu comte Gaétan de Martinet-Fauceau.
Une bonne, vêtue de noir, m'introduit auprès d'une veuve qui attend les livraisons du teinturier pour en faire autant. Cette dernière est une personne, encore jeune, encore blonde, encore bien roulée et qui n'est pas démunie de charmes. Elle a le chagrin digne mais sincère. J'aime assez.
Je me présente, je présente mon valeureux adjoint et je lui demande si elle veut bien répondre à une nouvelle série de questions.
Elle opine et me désigne des fauteuils crapauds (ce qui est le siège idéal pour Béru). J'en choisis un, Béru en choisit deux (un pour son dargif un autre pour ses nougats) et la dame s'assied dans le quatrième et dernier du lot (je dirais bien du Lot-et-Garonne, mais ça ne ferait pas sérieux à un moment où, précisément, le drame se noue).
— Votre mari avait-il des ennemis, madame ?
Question classique, me direz-vous ? Je n'en disconviens pas. Mais il est bon de ne pas dépayser le client de prime abord.
— Quand on fait de la politique on en a fatalement, répond-elle. C'est dans la nature des choses ! Mais peut-on appeler des ennemis les gens qui ne partagent pas vos opinions ?
Pas bête, cette dame.
— Certes non, admets-je.
Elle requiert l'avis de Bérurier et ne l’obtient pas vu que le Gros s'est endormi.
— La veille de… du drame, M. Monféal a organisé une réunion électorale ; cette dernière fut-elle houleuse ?
— Absolument pas.
Elle hoche la tête.
— Au contraire, on se serait cru dans un salon entre gens de bonne compagnie.
— Bon, arrivons-en alors aux faits. Parlez-moi de ce qui s'est passé, en prenant les choses par le commencement. Qui s'est levé en premier ?
— Maria, notre soubrette.
— C'est elle qui m'a ouvert la porte ?
— Oui.
Que je vous affranchisse au passage sur le sujet : Maria c'est une gaillarde de quarante piges, bien en chair, et qui paraît à peu près aussi intelligente qu'une potée auvergnate.
— A quelle heure s'est-elle levée ?
— Six heures.
— Qu'a-t-elle fait alors ?
— Elle a toqué la porte de notre chambre pour réveiller mon mari qui avait du travail à préparer. Puis elle est allée faire le café.
— Et quel a été le comportement de votre mari ?
— Il s'est levé, a passé sa robe de chambre et il est allé prendre les journaux sur le paillasson où le marchand les dépose. Puis il les a lus aux toilettes, ainsi qu'il avait coutume de le faire ! Drôle d'endroit pour opérer sa revue de presse !
— Et ensuite ?
— Il est allé à la cuisine prendre son bol de café quotidien.
Elle rougit et balbutie.
— Il prenait toujours son petit déjeuner à la cuisine. Il a été élevé à la campagne, comprenez-vous, et…
— Il n'y a pas de mal, rassuré-je. Il paraîtrait que le roi Séoud d'Arabie en fait autant. Ensuite ?
— Il s'est enfermé dans son bureau et a travaillé jusqu'à huit heures.
— Et pendant ce temps ?
— Pendant ce temps, je me suis levée, j'ai fait ma toilette, j'ai réveillé les enfants et me suis occupée de leur petit déjeuner.
— Continuez !
— Vers huit heures, donc, mon mari est sorti de son bureau et m'a dit qu'il allait prendre un bain. Il m'a avertie parce que, précisément, la porte de la salle de bains ne fermait plus au verrou et qu'il ne voulait pas que les enfants risquent d'entrer à l'improviste.
— Et pendant ce temps ? Insisté-je.
— J'ai couvert les confitures de Maria.
Elle explique :
— Elle les avait faites la veille. Mais on ne les couvre que le lendemain…
J'adresse un souvenir fervent à Félicie et je réprime un sourire.
— Je connais la technique, dis-je : le papier sulfurisé trempé dans du lait…
Elle aussi réprime un sourire. La vie continue, avec ses joies, ses peines, ses rôtis de veau, ses obligations et ses gags.
— Je vous en prie, poursuivez…
— Lorsque nous avons eu terminé…
Elle se cache les yeux ! Un sanglot rauque lui échappe.
Je me lève.
— Je voudrais que vous me laissiez visiter l'appartement, madame.
— Je vous en prie !
Je retourne dans le hall, la jeune veuve sur les talons.
— Cette porte est fermée dans le courant de la journée ?
— Non, vous voyez ; il suffit de tirer le loquet. Seulement, on ne peut pas ouvrir depuis le palier si la chaîne n'est pas fixée.