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La petite fille sortit de son abri et se dirigea du mieux qu’elle le pouvait vers sa table de nuit. Elle prit une coupelle et un verre qu’elle avait cachés là. Une fois réinstallée sous le sommier, elle présenta fièrement une fraise à son hibou et dit d’une voix déterminée « voilà le rouge » « et puis ça c’est le vert », dit-elle en avançant le verre de menthe. « Tu vois, comme les couleurs sentent bon ! Si tu veux, tu peux goûter, moi je n’ai pas le droit, c’est à cause de l’opération, je dois avoir le ventre vide. »

Lauren avança vers le lit.

— À qui parles-tu ? demanda-t-elle à Marcia.

— Je savais que tu étais là. Je parle à un ami, mais je ne peux pas te le montrer, il se cache tout le temps parce qu’il a peur de la lumière et qu’il a peur des gens aussi.

— Comment s’appelle-t-il ?

— Emilio ! Mais toi tu ne peux pas entendre ce qu’il dit.

— Pourquoi ?

— Tu ne peux pas comprendre.

Lauren s’agenouilla.

— Je peux venir sous le lit avec toi ?

— Si tu n’as pas peur du noir.

La petite fille s’écarta et laissa Lauren se faufiler sous le sommier.

— Je peux l’emmener avec moi là-haut ?

— Non, c’est un vieux règlement idiot, les animaux ne sont pas admis dans les salles d’opération, mais ne t’inquiète pas, un jour tout cela changera.

*

La journée s’annonçait radieuse. Arthur avait préféré marcher jusqu’à son cabinet d’architecture sur Jackson Street. Paul l’attendait dans la rue.

— Alors ? lui demanda Paul dont le visage hilare venait d’apparaître dans l’entrebâillement de la porte.

— Alors quoi ? interrogea Arthur en appuyant sur le bouton de la machine à café.

— Combien de temps pour le chien ?

— Vingt minutes !

— J’envie tes soirées, mon vieux ! J’ai eu nos deux amies de Carmel au téléphone, elles sont rentrées et assez partantes pour un dîner à quatre ce soir, amène le toutou si tu as peur de t’ennuyer.

Paul tapota sur le cadran de sa montre, il était temps de partir. Tous deux avaient rendez-vous chez un important client de leur étude.

*

Lauren entra dans le sas de stérilisation. Bras tendus, elle enfila la blouse que lui présentait une infirmière. Une fois passées les manches, elle noua les cordons dans son dos et avança vers la vasque en acier. Le trac au ventre, la jeune neurochirurgienne commença le nettoyage minutieux de ses mains. Après les avoir séchées, l’infirmière lui saupoudra les paumes de talc et ouvrit une paire de gants stériles que Lauren passa aussitôt. Le calot bleu pâle posé sur sa tête, le masque sur sa bouche, elle inspira à fond et entra dans la salle d’opération.

Assis derrière son pupitre, Adam Peterson, spécialiste en neuro-imagerie fonctionnelle, contrôlait le bon fonctionnement du système d’échographie préopératoire. Les clichés IRM du cerveau de Marcia étaient déjà dans la machine. En comparant ces images à celles qui seraient acquises en temps réel par l’échographe, l’ordinateur pourrait établir avec précision la portion de la tumeur enlevée au cours de l’opération.

*

Au fil du processus, le système d’imagerie renseigné par Adam délivrerait de nouvelles images, révisées, du cerveau de la petite fille. Le professeur Fernstein entra quelques minutes plus tard, accompagné de son confrère, le docteur Richard Lalonde, qui avait fait le déplacement depuis Montréal.

Le docteur Lalonde salua l’équipe, s’installa derrière l’appareil de neuronavigation et en saisit les deux poignées. Manipulés savamment par le chirurgien, les bras mécaniques couplés à l’ordinateur principal trancheraient au millimètre près la masse tumorale. Tout au long de l’intervention, la précision de l’acte chirurgical serait critique. Une infime déviation de trajectoire pouvait priver Marcia de la parole ou de la capacité de marcher, et, à l’inverse, un excès de prudence rendrait l’opération vaine. Silencieuse et concentrée, Lauren revoyait dans sa tête chaque détail de la procédure qui ne tarderait pas à débuter et pour laquelle elle se préparait sans relâche depuis plusieurs semaines.

Apprêtée dans une salle voisine, Marcia arriva enfin au bloc, allongée sur un lit civière. Les infirmières l’installèrent avec beaucoup d’attention sur la table d’opération. La poche de perfusion reliée à son bras fut suspendue à la perche.

Norma, la doyenne des infirmières de l’hôpital, raconta à Marcia qu’elle venait d’adopter un bébé panda.

— Et vous l’avez ramené comment ? Vous avez eu le droit ? demanda Marcia.

— Non, répondit Norma en riant, il va rester chez lui, en Chine, mais c’est nous qui donnons de quoi le soigner jusqu’à ce qu’il puisse être sevré.

Norma ajouta qu’elle n’avait pas réussi à trouver un prénom à l’animal ; quel nom fallait-il donner à un panda ?

Pendant que la petite fille réfléchissait à la question, Norma relia les pastilles collées sur son thorax à l’électrocardiographe et le médecin anesthésiste piqua une minuscule aiguille à son index. Cette sonde lui permettrait de contrôler en temps réel la saturation des gaz sanguins de sa patiente. Il fit une injection dans la poche de perfusion et assura à Marcia qu’elle pourrait réfléchir au nom du panda après l’opération, il fallait maintenant compter avec lui jusqu’à dix. L’anesthésique descendit le long du cathéter et pénétra dans la veine. Marcia s’endormit entre les chiffres deux et trois. Le réanimateur vérifia aussitôt les constantes vitales sur les différents moniteurs. Norma referma le cerclage sur le front de Marcia afin de prévenir tout mouvement de sa tête.

Tel le chef d’un orchestre savant, le professeur Fernstein fit un tour d’horizon de son équipe. Depuis son poste, chaque intervenant répondit qu’il était prêt. Fernstein donna le signal au docteur Lalonde et ce dernier appuya alors sur les poignées de l’appareil de neuronavigation, sous le regard attentif de Lauren.

L’incision initiale fut pratiquée à 9 h 27, un voyage de douze heures dans les régions les plus profondes du cerveau d’une enfant venait de débuter.

*

Le projet présenté par Paul et Arthur semblait plaire à leurs clients. Les directeurs du consortium qui les faisaient concourir pour la réalisation d’un nouveau siège social étaient réunis autour de l’immense table en acajou de la salle du conseil. Après qu’Arthur eut détaillé toute la matinée les perspectives du futur hall d’entrée, celles des espaces de réunion et des parties communes, Paul prit la relève à midi. Il commentait dessins et tableaux projetés sur un écran derrière son dos. Lorsque la pendule accrochée au mur de la salle indiqua seize heures, le président de séance remercia les deux architectes pour le travail qu’ils avaient accompli. Les membres du directoire se réuniraient d’ici à la fin de la semaine pour décider lequel des deux projets finalistes remporterait le marché.

Arthur et Paul se levèrent et saluèrent leurs hôtes avant de prendre congé. Dans l’ascenseur, Paul bâilla longuement.

— Je crois qu’on s’en est bien tiré, non ?

— Probablement, répondit Arthur à voix basse.

— Quelque chose te tracasse ? questionna son ami.

— Tu crois qu’ils vendent des laisses extensibles chez Macy’s ?