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Le père de la petite fille se tut. Il se leva et avança jusqu’à la porte.

— Vous savez, là-bas, en Argentine, je construis des barrages, ce sont de grands ouvrages, mais ma fierté, c’était elle !

— Attendez ! dit Lauren, d’une voix douce.

Elle se pencha et regarda sous le lit. À l’ombre du sommier, un petit hibou blanc attendait, les ailes croisées. Elle prit la peluche et la tendit à Santiago. L’homme revint vers elle, il recueillit l’oiseau et caressa délicatement sa fourrure.

— Tenez, dit-il à Lauren en lui rendant le hibou blanc. Réparez-lui les yeux, vous êtes médecin, vous devriez pouvoir faire ça. Rendez-lui la liberté, faites qu’il n’ait plus jamais peur.

Il la salua et quitta la pièce. Lorsqu’il fut seul dans le couloir il serra contre lui le petit carton.

Le biper de Lauren vibrait, on la cherchait à l’accueil des Urgences. Elle se rendit dans la salle des infirmières d’étage et décrocha le téléphone. Betty remercia le ciel qu’elle soit encore dans les murs, le service ne désemplissait pas, elle avait besoin de renfort immédiat.

— Je descends tout de suite, dit Lauren en raccrochant.

Avant de sortir de la chambre, elle enfouit dans la poche de sa blouse un drôle de hibou ; la petite bête avait bien besoin de chaleur humaine, cette après-midi, elle avait perdu sa meilleure amie.

*

Arthur n’en pouvait plus d’attendre, il chercha son téléphone portable dans la poche droite de sa veste, mais il n’y avait plus de poche droite à sa veste.

Les yeux bandés, il essayait de deviner l’heure qu’il était. Paul allait être furieux, il se souvenait d’avoir déjà pensé aujourd’hui que Paul serait furieux mais il avait oublié pourquoi. Il se leva et avança à l’aveuglette vers la banque d’accueil. Betty se précipita à sa rencontre.

— Vous êtes impossible !

— J’ai horreur des hôpitaux.

— Bon, puisque vous êtes là, profitons-en pour remplir le questionnaire d’admission. Vous êtes déjà venu ?

— Pourquoi ? répondit Arthur, inquiet, qui se tenait au comptoir.

— Parce que si vos coordonnées sont déjà dans l’ordinateur, ça va plus vite.

Arthur répondit par la négative. Betty avait la mémoire des visages et, malgré le bandage qui recouvrait les yeux, les traits de cet homme lui disaient quelque chose. Peut-être l’avait-elle croisé ailleurs ? Et finalement peu lui importait, elle avait trop à faire pour réfléchir à cela maintenant.

Arthur voulait rentrer chez lui, l’attente n’avait que trop duré et il voulut se débarrasser de son pansement.

— Vous êtes débordés et moi je me sens vraiment bien, dit-il, je vais rentrer chez moi.

Betty lui immobilisa les mains sans ménagement.

— Essayez pour voir !

— Et qu’est-ce que je risque ? demanda Arthur presque amusé.

— La moindre petite douleur qui surgirait dans les six à douze mois et en cas de soins nécessaires vous pouvez faire une croix sur votre assurance ! Si vous franchissiez la porte de ce sas, ne serait-ce que pour aller allumer une cigarette dehors, je renverrais votre questionnaire en mentionnant que vous avez refusé de faire un bilan médical. Même pour une petite rage de dents votre compagnie vous dira d’aller vous faire voir.

— Je ne fume pas ! dit Arthur en reposant ses bras sur le comptoir.

— Je sais que c’est angoissant d’être dans le noir, mais soyez patient, voilà le docteur, elle vient de sortir de l’ascenseur derrière vous.

Lauren s’approcha de l’accueil. Depuis qu’elle avait quitté la chambre de Marcia, elle n’avait pu prononcer aucun mot. Elle prit le dossier des mains de l’infirmière et se plongea dans la lecture du rapport de l’ambulancier tout en guidant Arthur par le bras vers la salle numéro 4. Elle tira le rideau du box et l’aida à s’installer sur le lit. Dès qu’il fut allongé, elle commença à dérouler le bandage.

— Gardez les yeux fermés pour l’instant, dit-elle.

Les quelques mots qu’elle avait prononcés d’une voix pourtant apaisante avaient suffi à élancer le cœur d’Arthur. Elle retira les deux morceaux de gaze et souleva les paupières, inondant les yeux de sérum physiologique.

— Vous avez mal ?

— Non.

— Vous avez eu l’impression de recevoir un éclat ?

— Aucunement, ce pansement c’était une idée de l’ambulancier, je n’ai vraiment rien.

— Il a bien fait. Vous pouvez rouvrir les yeux maintenant !

Quelques secondes furent nécessaires pour dissiper le liquide. Quand la vision d’Arthur redevint nette, son cœur se mit à battre plus fort encore. Le vœu qu’il avait formulé sur la tombe de Lili venait de se réaliser.

— Ça va ? demanda Lauren, qui remarquait la pâleur sur le visage de son patient.

— Oui, dit-il la gorge serrée.

— Détendez-vous !

Lauren se pencha au-dessus de lui pour étudier les deux cornées à la loupe. Pendant qu’elle pratiquait cet examen, leurs visages étaient si proches que leurs lèvres se frôlaient presque.

— Vous n’avez absolument rien aux yeux, vous avez eu beaucoup de chance !

Et Arthur ne fit aucun commentaire…

— Pas de perte de connaissance ?

— Pas encore, non !

— C’était de l’humour ?

— Une vague tentative.

— Des migraines ?

— Non plus.

Lauren passa sa main sous le dos d’Arthur et palpa la colonne vertébrale.

— Aucune douleur ?

— Absolument rien.

— Vous avez une belle ecchymose à la lèvre. Ouvrez la bouche !

— C’est indispensable ?

— Puisque je viens de vous le demander.

Arthur s’exécuta, Lauren prit sa petite lampe.

— Oh là, il y a au moins cinq points à faire pour recoudre ça.

— Tant que ça ?

— C’était de l’humour aussi ! Un bain de bouche pendant quatre jours suffira amplement.

Elle désinfecta la blessure au front et en souda les bords avec un gel. Elle ouvrit ensuite un tiroir et déchira la pochette d’un pansement qu’elle colla sur la plaie.

— J’ai un peu mordu sur le sourcil, vous aurez un moment difficile à passer quand vous enlèverez ce sparadrap. Les autres coupures sont mineures, elles cicatriseront toutes seules. Je vais vous prescrire quelques jours d’un antibiotique à spectre large, juste en prévention.

Arthur boutonna le poignet de sa chemise et se redressa, il remercia Lauren.

— Pas si vite, dit-elle en le repoussant contre la table d’examen. Je dois aussi prendre votre tension.

Elle décrocha l’appareil de mesure de son support mural et le passa autour du bras d’Arthur. Le tensiomètre était automatique. Le brassard se gonflait et se dégonflait à intervalles réguliers. Quelques secondes suffirent pour que les chiffres s’inscrivent sur le cadran fixé à la tête de la table d’examens.

— Vous êtes sujet à de la tachycardie ? demanda Lauren.

— Non, répondit Arthur, très embarrassé.

— Pourtant vous faites une belle crise, votre cœur bat à plus de cent vingt pulsations par minute et votre tension est à dix-huit, ce qui est beaucoup trop élevé pour un homme de votre âge.

Arthur regarda Lauren, il cherchait une excuse à son cœur.