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— Je suis un peu hypocondriaque, et l’hôpital me terrorise.

— Mon ex tournait de l’œil rien qu’en voyant ma blouse.

— Votre ex ?

— Aucune importance.

— Et votre actuel, il supporte le stéthoscope ?

— J’aimerais quand même mieux que vous consultiez un cardiologue, je peux en biper un si vous le souhaitez.

— C’est inutile, dit Arthur d’une voix chevrotante. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive ; enfin dans un hôpital, c’est la première fois ; lorsque je présente des concours, j’ai la poitrine qui s’emballe un peu, je suis sujet au trac.

— Qu’est-ce que vous faites comme métier pour présenter encore des concours ? questionna Lauren, amusée, en rédigeant une ordonnance.

Arthur hésita avant de répondre. Il profitait de ce qu’elle était concentrée sur sa feuille pour la regarder, silencieux et attentif. Lauren n’avait pas changé, à part la coiffure peut-être. La petite cicatrice qu’il avait tant aimée sur son front avait presque disparu. Et toujours ce même regard, indescriptible et fier. Il reconnaissait chaque expression de son visage, comme le mouvement de l’arc de Cupidon, sous son nez, quand elle parlait. La beauté de son sourire le ramenait aux souvenirs heureux. Était-il possible que quelqu’un vous manque à ce point ? Le brassard se regonfla aussitôt et de nouveaux chiffres s’affichèrent. Lauren releva la tête pour les consulter.

— Je suis architecte.

— Et vous travaillez aussi le week-end ?

— Parfois même la nuit, nous sommes toujours « charrette ».

— Je sais de quoi vous parlez !

Arthur se redressa sur la table.

— Vous avez connu un architecte ? demanda-t-il d’une voix fébrile.

— Pas que je m’en souvienne, non, mais je parlais de mon métier, nous avons cela en commun, travailler sans compter les heures.

— Et que fait votre ami ?

— Cela fait deux fois que vous me demandez si je suis célibataire… Votre cœur bat beaucoup trop vite, je préférerais vous faire examiner par un de mes collègues.

Arthur arracha le brassard du tensiomètre et se releva.

— Là, c’est vous qui êtes angoissée !

Il voulait rentrer se reposer. Demain tout irait bien. Il promit de faire vérifier sa tension dans les prochains jours, et s’il y avait quoi que ce soit d’anormal, il consulterait aussitôt.

— C’est une promesse ? insista Lauren.

Arthur supplia le ciel qu’elle cesse de le regarder ainsi. Si son cœur n’explosait pas d’une minute à l’autre, il la prendrait dans ses bras pour lui dire qu’il était fou d’elle, qu’il était impossible de revivre dans la même ville, et de ne pas se parler. Il lui raconterait tout, en imaginant qu’il ait le temps de le faire avant qu’elle n’appelle la sécurité et le fasse interner pour de bon. Il prit sa veste, ou plutôt ce qu’il en restait, se refusa à la passer devant elle et la remercia. Il sortait du box quand il l’entendit l’appeler dans son dos.

— Arthur ?

Cette fois, il sentit pulser son cœur jusque dans sa tête. Il se retourna.

— C’est bien votre prénom, n’est-ce pas ?

— Oui, articula-t-il d’une bouche qui ne contenait plus de salive.

— Votre ordonnance ! dit Lauren en lui tendant la feuille rose.

— Merci, répondit Arthur en prenant le papier.

— Vous m’avez déjà remerciée. Mettez votre veste, à cette heure les soirées sont fraîches et votre organisme a eu sa dose d’agressions pour aujourd’hui.

Arthur enfila une manche maladroitement, juste avant de s’en aller il se retourna et regarda longuement Lauren.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

— Vous avez un hibou dans la poche, dit-il avec un sourire triste aux lèvres.

Et Arthur quitta le box.

Alors qu’il traversait le hall, Betty l’appela de derrière la vitre. Il revint vers elle, hébété.

— Signez et vous êtes libre, dit-elle en lui présentant un gros cahier noir.

Arthur parapha le registre des Urgences.

— Vous êtes certain que vous allez bien ? s’enquit l’infirmière en chef. Vous avez l’air sonné.

— C’est bien possible, répondit-il en s’éloignant.

Arthur guettait un taxi devant le sas des Urgences, et depuis la guérite où Betty classait ses fiches d’admissions, Lauren le regardait sans qu’il s’en aperçoive.

— Tu ne trouves pas qu’il lui ressemble un peu ?

— Je ne sais pas de qui tu parles, répondit l’infirmière, la tête plongée dans ses dossiers. Par moments, je me demande si nous travaillons dans un hôpital ou dans une administration.

— Les deux, je crois. Regarde-le vite et dis-moi comment tu le trouves. Il est plutôt pas mal non ?

Betty souleva ses lunettes, elle jeta un regard bref et replongea dans ses papiers. Un véhicule de la Yellow Cab Company venait de s’arrêter, Arthur grimpa à bord et la voiture s’éloigna.

— Aucun rapport ! dit Betty.

— Tu l’as regardé deux secondes !

— Oui mais c’est la centième fois que tu me demandes ça, alors j’ai de l’entraînement, et puis je t’ai déjà dit que j’avais un don pour la mémoire des visages. Si c’était ton type, je l’aurais tout de suite reconnu, je n’étais pas dans le coma, moi.

Lauren prit une pile de feuilles et aida l’infirmière dans son classement.

— Tout à l’heure, pendant que je l’examinais, j’ai eu un vrai doute.

— Pourquoi ne lui as-tu pas posé la question ?

— Je me vois bien dire à un patient : « Pendant que je sortais du coma, vous n’auriez pas passé quinze jours assis au pied de mon lit, par le plus grand des hasards ? »

Betty rit de bonne grâce.

— Je crois que je l’ai encore rêvé cette nuit. Mais au réveil je n’arrive jamais à me souvenir de ses traits.

— Si c’était lui, il t’aurait reconnue. Tu as vingt « clients » qui t’attendent, tu devrais te sortir ces idées de la tête et aller travailler. Et puis tourne la page, tu as quelqu’un dans ta vie, non ?

— Mais tu es certaine que ce n’était pas lui ? insista Lauren à voix basse.

— Tout à fait !

— Parle-moi encore de lui.

Betty abandonna sa pile de documents et pivota sur son tabouret.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise !

— C’est quand même incroyable, s’insurgea Lauren. Un service entier a côtoyé cet homme pendant deux semaines et je n’arrive pas à trouver une seule personne qui sache quoi que ce soit de lui.

— Il faut croire qu’il était d’un naturel discret ! grommela Betty en agrafant une liasse de feuilles roses.

— Et personne ne se demandait ce qu’il faisait là ?

— À partir du moment où ta mère tolérait sa présence, nous n’avions pas à nous en mêler. Tout le monde ici pensait que c’était un de tes amis, ton petit ami même ! Tu as fait des jalouses à l’étage. Il y en a plus d’une qui te l’aurait bien piqué.

— Maman pense que c’était un patient, Fernstein que c’était un parent de la famille et toi qu’il était mon petit ami. Décidément, personne n’arrive à se mettre d’accord.

Betty toussota, et se leva pour prendre une ramette de papier. Elle laissa retomber ses lunettes sur son nez et regarda Lauren d’un air grave.

— Toi aussi tu étais là !

— Qu’est-ce que vous cherchez à me cacher, tous ?

Masquant son embarras, l’infirmière replongea la tête dans sa paperasserie.

— Rien du tout ! Je sais que ça paraît bizarre mais la seule chose incroyable, c’est que tu t’en sois sortie sans séquelles et tu devrais remercier le ciel au lieu de t’entêter à t’inventer des mystères.