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— Vous appelez cela « sonner fort » ? dit Miss Morrison.

— Je ne voulais pas vous déranger, auriez-vous du sel ?

Miss Morrison le regarda, consternée.

— J’ai du mal à croire que les hommes utilisent encore des ficelles aussi grosses pour draguer !

L’inquiétude se lisait dans les yeux d’Arthur. La vieille dame éclata d’un rire franc.

— Vous devriez voir votre tête ! Entrez, les épices sont dans la panière près de l’évier, dit-elle en désignant la kitchenette attenante au salon. Prenez tout ce dont vous avez besoin, je vous laisse, je suis très occupée.

Et elle se dépêcha d’aller retrouver sa place dans le gros fauteuil, face à la télévision. Arthur passa derrière le comptoir, et regarda, intrigué, la chevelure blanche de Miss Morrison qui s’agitait derrière le dosseret du fauteuil.

— Bon, mon petit, vous restez, vous partez, vous faites ce que vous voulez mais sans bruit. Dans une minute, Bruce Lee va faire un Kata incroyable et mettre une bonne raclée à ce petit chef de triade qui commence à me taper sur les nerfs.

La vieille dame lui fit signe de s’installer dans le fauteuil voisin, en silence !

— À la fin de cette scène prenez l’assiette de viande froide dans le frigo et venez regarder la fin du film avec moi, vous n’allez pas le regretter ! Et puis un dîner à deux, c’est toujours meilleur que tout seul !

*

L’homme sanglé à la table d’intervention souffrait de multiples fractures aux jambes ; à observer les traits blêmes de son visage, « souffrir » était le mot juste.

Lauren ouvrit l’armoire à pharmacie pour s’emparer d’une petite ampoule en verre et d’une seringue.

— Je ne supporte pas les piqûres, gémit son patient.

— Vous avez les deux jambes cassées et une aiguille vous fait peur ? Les hommes me surprendront toujours !

— Qu’est-ce que vous m’injectez ?

— Le plus vieux remède du monde pour lutter contre la douleur.

— C’est toxique ?

— La douleur provoque stress, tachycardie, hypertension et des traces mnésiques irréversibles… croyez-moi, elle est plus nocive que quelques milligrammes de morphine.

— Mnésique ?

— Quel est votre métier, monsieur Kowack ?

— Garagiste !

— Alors je vous propose un marché, faites-moi confiance pour votre santé et le jour où je vous amènerai ma Triumph, je vous laisserai lui faire tout ce que vous voudrez.

Lauren enfonça l’aiguille dans le cathéter et appuya sur le piston de la seringue. En libérant l’alcaloïde dans son sang, elle allait délivrer Francis Kowack de son supplice. Le liquide opiacé pénétra la veine basilique, dès qu’il atteignit le tronc cérébral, il inhiba aussitôt le message neurologique de la douleur. Lauren s’assit sur un petit tabouret à roulettes et épongea le front de son patient, surveillant sa respiration. Il s’apaisait.

— On appelle ce produit morphine en référence à Morphée, alors, reposez-vous maintenant ! Vous avez eu beaucoup de chance.

Kowack leva les yeux au ciel.

— Je faisais mes courses tranquillement, marmonna l’homme. J’ai été renversé par un camion au rayon des surgelés, mes jambes sont en morceaux, quelle est exactement la définition de la chance dans votre profession ?

— Que vous ne soyez pas dans le box juste à côté !

Le rideau de la salle d’examens glissa sur son rail. Le professeur Fernstein avait son air des mauvais jours.

— Je croyais que vous étiez de repos ce week-end ? dit Fernstein.

— La croyance est une affaire de religion ! répondit Lauren du tac au tac. Je ne faisais que passer mais comme vous pouvez le constater ce n’est pas le travail qui manque, ajouta-t-elle en poursuivant son examen.

— Le travail manque rarement dans un service d’Urgences. En jouant avec votre santé vous jouez aussi avec celle de vos patients. Combien d’heures de garde avez-vous effectuées cette semaine ? Je ne vois pas pourquoi je vous pose cette question, vous allez encore me rétorquer que quand on aime on ne compte pas, dit Fernstein en sortant du box, furieux.

— C’est le cas, grommela Lauren en apposant son stéthoscope sur la poitrine du garagiste qui la regardait, terrorisé. Rassurez-vous, je suis toujours en pleine forme, et lui toujours bougon comme ça.

Betty entra à son tour.

— Je m’occupe de lui, dit-elle à Lauren. On a besoin de toi à côté, on est vraiment débordés !

Lauren se leva et demanda à l’infirmière de téléphoner à sa mère. Elle allait rester là toute la nuit et il faudrait que quelqu’un prenne soin de sa chienne Kali.

*

Miss Morrison était en train de laver les assiettes, Arthur s’était assoupi dans le canapé.

— Je crois qu’il est grand temps d’aller vous coucher.

— Je le crois aussi, dit Arthur en s’étirant. Merci pour cette soirée.

— Bienvenue au 212 Pacific Street. Je suis d’une nature souvent trop discrète, mais si vous avez besoin de quoi que ce soit vous pouvez toujours sonner à ma porte.

Alors qu’il quittait les lieux, Arthur remarqua un petit chien blanc et noir allongé sous la table.

— C’est Pablo, dit Miss Morrison, quand on le regarde comme ça, on croirait qu’il est mort mais il se contente de dormir, c’est son activité préférée. D’ailleurs il est temps que je le réveille pour aller le promener.

— Vous voulez que je m’en occupe ?

— Allez plutôt vous coucher, dans l’état dans lequel vous êtes, j’ai peur de vous retrouver tous les deux demain matin en train de ronfler au pied d’un arbre.

Arthur la salua et rentra chez lui. Il aurait voulu faire encore un peu de rangement mais la fatigue eut raison de son élan.

Allongé sur le lit, mains sous la tête, il regarda par la porte entrebâillée de la chambre. Les cartons empilés dans le salon ravivaient le souvenir d’une nuit, où en d’autres temps il s’installait au dernier étage d’une maison victorienne, non loin d’ici.

*

Il était deux heures du matin passées et l’infirmière en chef cherchait Lauren. Le hall des Urgences avait enfin fini par se vider. Profitant de cette accalmie, Betty décida d’aller réapprovisionner les armoires à pharmacie des salles d’examens. Elle remonta le couloir et tira le rideau du dernier box. Recroquevillée sur le lit, Lauren dormait du sommeil du juste. Betty referma le voile et s’éloigna en hochant la tête.

2.

Arthur s’éveilla vers midi. La douceur d’un soleil au zénith entrait par la fenêtre du salon. Il se prépara un petit déjeuner sommaire et appela Paul sur son portable.

— Salut Baloo, dit son ami en décrochant, tu as fait le tour du cadran à ce que je vois.

Paul lui proposa d’aller déjeuner, mais Arthur avait un autre projet en tête.

— En résumé, dit Paul, j’ai le choix entre te laisser partir à pied à Carmel ou t’y conduire ?

— Même pas ! Je voudrais passer récupérer la Ford au garage de ton beau-père et que nous allions là-bas ensemble.

— Elle n’a pas roulé depuis la nuit des temps ta voiture, tu veux passer le week-end sur l’autoroute à attendre une dépanneuse ?

Mais Arthur lui fit remarquer que le break avait connu de plus longs sommeils et puis il connaissait la passion du beau-père de Paul pour les voitures anciennes, il avait dû la bichonner.