Выбрать главу

La vieille dame se pencha vers Mme Kline.

— Si ce jeune homme a sauvé votre fille, vous lui êtes redevable. Allez donc le trouver.

Et Rose replongea dans la lecture de son journal. Mme Kline attendit quelques instants, elle salua sa voisine de banc, appela Kali et s’éloigna dans l’allée du parc.

En rentrant, elle récupéra le bouquet de fleurs au pied des marches. L’appartement était désert. Elle arrangea les pivoines dans un vase qu’elle posa sur la table basse du salon et referma la porte derrière elle.

*

Les jours de la semaine s’écoulaient avec la régularité d’un métronome. Tous les matins, Lauren allait faire une longue promenade sous les arbres du parc du Presidio. Il lui arrivait de marcher jusqu’à la plage qui bordait le versant pacifique. Elle s’installait alors sur le sable et plongeait dans sa thèse qu’elle retrouvait chaque soir.

L’inspecteur Pilguez avait fini par s’adapter aux horaires de Nathalia. Chaque jour, à midi, ils partageaient un repas où se rencontraient leurs appétits, celui d’un petit déjeuner pour l’une, d’un déjeuner pour l’autre.

Au milieu d’une journée entrecoupée de réunions avec le bureau d’études et de visites de chantier, Paul retrouvait Onega qui l’attendait sur un banc au bout d’une jetée, face à la baie.

Miss Morrison emmenait Pablo profiter des belles après-midi d’été dans le petit parc situé près de chez elle. Il lui arrivait de croiser Mme Kline et reconnut un jour Lauren au chien qui suivait ses pas. Ce jeudi de grand soleil, elle fut tentée de l’aborder mais renonça finalement à distraire la jeune femme de sa lecture. Quand Lauren quitta l’allée centrale, elle la suivit d’un regard amusé.

Chaque début de soirée, George Pilguez déposait Nathalia devant le commissariat.

Juste avant de retrouver Onega pour dîner, Paul rendait visite à son ami ; il lui présentait esquisses et projets qu’Arthur corrigeait d’un trait de crayon ou amendait de quelques annotations sur les choix de coloris et de matériaux.

Ce vendredi, Fernstein se félicita de l’état de santé de son patient. Il lui ferait passer un scanner de contrôle dès qu’il y aurait un créneau de libre, et si, comme il en était convaincu, tout était normal, il signerait son bon de sortie. Plus rien ne justifiait qu’il occupe un lit d’hôpital. Ensuite, il faudrait être raisonnable quelque temps, mais la vie ne tarderait pas à reprendre son cours normal. Arthur le remercia de tous les soins qu’il lui avait apportés.

*

Paul était parti depuis longtemps, les couloirs ne résonnaient déjà plus des pas tumultueux de la journée, l’hôpital avait revêtu son habit de nuit. Arthur alluma le téléviseur perché sur une tablette en face de son lit. Il ouvrit le tiroir de sa table de nuit et prit son téléphone portable. Le regard perdu dans ses pensées, il fit dérouler les noms du répertoire et renonça à déranger son meilleur ami. Le téléphone lui échappa lentement de la main et roula sur les draps, sa tête glissa sur l’oreiller.

La porte s’entrebâilla, une interne entra dans la chambre. Elle se dirigea aussitôt au pied du lit et consulta le dossier médical. Arthur entrouvrit les yeux et la regarda, silencieux, elle semblait concentrée.

— Un problème ? dit-il.

— Non, répondit Lauren en relevant la tête.

— Que faites-vous ici ? demanda-t-il, stupéfait.

— Ne parlez pas si fort, chuchota Lauren.

— Pourquoi parler à voix basse ?

— J’ai mes raisons.

— Et elles sont secrètes ?

— Oui !

— Alors, il faut que je vous avoue, même à voix basse, que je suis content de vous voir.

— Moi aussi, enfin, je veux dire que je suis contente que vous alliez mieux. Je suis vraiment désolée de ne pas avoir diagnostiqué cette hémorragie au premier examen.

— Vous n’avez aucune raison de vous en vouloir. Je crois que je ne vous ai pas beaucoup facilité la tâche, dit Arthur.

— Vous étiez si pressé de partir !

— L’obsession du travail, un jour ça me tuera !

— Vous êtes architecte, c’est ça ?

— C’est ça !

— C’est un métier très pointu, beaucoup de mathématiques !

— Oui, enfin comme en médecine à la fac, et puis après on laisse les autres faire les maths pour vous.

— Les autres ?

— Les calculs de portances, de résistances, tout ça c’est surtout le boulot des ingénieurs !

— Et que font les architectes pendant que les ingénieurs bossent ?

— Ils rêvent !

— Et vous rêvez à quoi ?

Arthur regarda longuement Lauren, il sourit et pointa du doigt l’angle de la chambre.

— Avancez jusqu’à la fenêtre.

— Pour quoi faire ? s’étonna Lauren.

— Un petit voyage.

— Un petit voyage à la fenêtre ?

— Non, un petit voyage depuis la fenêtre !

Elle obéit, un sourire presque moqueur au coin des lèvres.

— Et maintenant ?

— Ouvrez-la ?

— Quoi ?

— La fenêtre !

Et Lauren fit exactement ce qu’Arthur lui avait demandé.

— Que voyez-vous ? demanda-t-il en chuchotant toujours.

— Un arbre ! répondit-elle.

— Décrivez-le-moi.

— Comment ça ?

— Il est grand ?

— Il est haut comme deux étages, mais il a de grandes feuilles vertes.

— Alors fermez les yeux.

Lauren se prit au jeu et la voix d’Arthur la rejoignit dans une obscurité improvisée.

— Les branches sont immobiles, à cette heure de la journée, les vents de la mer ne sont pas encore levés. Approchez-vous du tronc, les cigales se cachent souvent dans les recoins d’écorces. Au pied de l’arbre s’étend un tapis d’épines de pin. Elles sont roussies par le soleil. Maintenant, regardez tout autour de vous. Vous êtes dans un grand jardin, il est parsemé de larges bandes de terre ocre plantées de quelques pins parasols. À votre gauche vous en verrez des argentés, à droite des séquoias, devant des grenadiers et un peu plus loin des caroubiers qui semblent couler jusqu’à l’océan. Empruntez le petit escalier de pierre qui borde le chemin. Les marches sont irrégulières, mais ne craignez rien, la pente est douce. Regardez sur votre droite, vous devinez les restes d’une roseraie, maintenant ? Arrêtez-vous en bas, et regardez devant vous.

Et Arthur inventait un univers, fait juste de mots ; Lauren vit la maison aux volets clos qu’il lui décrivait. Elle avança vers le perron, grimpa les marches et s’arrêta sous la véranda. En contrebas, l’océan semblait vouloir briser les rochers, les vagues charriaient des amas d’algues mariées à des entrelacs d’épines. Le vent soufflait dans ses cheveux, elle eut presque envie de les repousser en arrière.

Elle contourna la maison, et suivit à la lettre les instructions d’Arthur qui la guidait pas à pas dans son pays imaginaire. Sa main effleurait la façade, à la recherche d’une petite cale, au bas d’un volet. Elle fit comme il disait et la retira du bout des doigts. Le panneau de bois s’ouvrit et elle crut même l’entendre grincer sur ses gonds. Elle souleva la fenêtre à guillotine en déboîtant légèrement le châssis qui accepta de coulisser sur ses cordeaux.

— Ne vous arrêtez pas dans cette pièce, elle est trop sombre, traversez-la, vous arriverez dans le couloir.

Elle avançait à pas lents, derrière les murs, chaque pièce paraissait contenir un secret. Elle entra dans la cuisine. Sur la table, il y avait une vieille cafetière italienne, on y faisait un excellent café, et devant elle, une cuisinière comme on en trouvait autrefois dans les vieilles demeures.