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— Elle fonctionne avec du bois ? demanda Lauren.

— Si vous le voulez, vous trouverez même des bûches, à l’abri d’un appentis juste au-dehors, en passant par-derrière.

— Je veux rester dans la maison et continuer à la visiter, murmura-t-elle.

— Alors ressortez de la cuisine. Ouvrez la porte, juste en face.

Elle entra dans le salon. Un long piano dormait dans l’obscurité du lieu. Elle alluma la lumière et s’approcha assez près pour s’asseoir sur le tabouret.

— Je ne sais pas jouer.

— C’est un instrument particulier, rapporté d’un lointain pays ; si vous pensez très fort à une mélodie que vous aimez, il vous la jouera, mais uniquement si vous posez vos mains sur son clavier.

Lauren se concentra de toutes ses forces, et la partition du « Clair de lune » de Werther envahit sa tête.

Elle avait l’impression que quelqu’un jouait à côté d’elle, et plus elle se laissait entraîner dans le songe, plus la musique était profonde et présente. Elle visita ainsi chaque endroit, grimpant jusqu’à l’étage, allant de chambre en chambre ; et, petit à petit, les mots qui décrivaient la maison se transformaient en une multitude de détails qui inventaient une vie tout autour d’elle. Elle retourna dans la seule pièce qu’elle n’avait pas encore visitée. Elle entra dans le petit bureau, regarda le lit et frissonna, elle ouvrit les yeux, et la maison s’évanouit.

— Je crois que je l’ai perdue, dit-elle.

— Ce n’est pas grave, maintenant elle est à vous, vous pourrez y retourner quand vous voudrez, il vous suffira d’y penser.

— Je ne pourrais pas recommencer toute seule, je ne suis pas très douée pour les mondes imaginaires.

— Vous avez tort de ne pas vous faire confiance. Je trouve que pour une première fois vous vous êtes plutôt bien débrouillée.

— Alors c’est ça votre métier. Vous fermez les yeux et vous imaginez des lieux ?

— Non, j’imagine la vie qu’il y aura à l’intérieur, et c’est elle qui me suggère le reste.

— C’est une drôle de façon de travailler.

— C’est plutôt une façon drôle de travailler.

— Il faut que je vous laisse, les infirmières ne vont pas tarder à faire leur ronde.

— Vous reviendrez ?

— Si je le peux.

Elle se dirigea vers la porte de la chambre et se retourna juste avant de sortir.

— Merci pour cette visite, c’était bien, j’ai aimé ce moment.

— Moi aussi.

— Elle existe cette maison ?

— Tout à l’heure, vous l’avez vue ?

— Comme si j’y étais !

— Alors si elle existe dans votre imagination, c’est qu’elle est vraie.

— Vous avez une étrange façon de penser.

— À force de fermer les yeux sur ce qui les entoure, certains sont devenus aveugles sans même le savoir. Je me suis contenté d’apprendre à voir, même dans le noir.

— Je connais un hibou qui aurait bien besoin de vos conseils.

— Celui qui était dans votre blouse l’autre soir ?

— Vous vous souvenez ?

— Je n’ai pas eu l’occasion de fréquenter beaucoup de médecins, mais il est difficile d’en oublier un qui vous examine avec une peluche dans la poche.

— Il a peur du jour et son grand-père m’a demandé de le guérir.

— Il faudrait lui trouver une paire de lunettes de soleil pour enfant, j’en possédais une quand j’étais petit, c’est incroyable ce que l’on peut voir au travers.

— Comme quoi ?

— Des rêves, faits de pays imaginaires.

— Merci du conseil.

— Mais attention, quand vous aurez guéri votre hibou, dites-lui bien qu’il suffit de cesser de croire une seule seconde pour que le rêve se brise en mille morceaux.

— Je le lui dirai, comptez sur moi. Reposez-vous, maintenant.

Et Lauren sortit de la chambre.

Un clair de lune entrait par les persiennes. Arthur repoussa ses draps, et se rendit à la fenêtre. Il resta là, appuyé au rebord, à regarder les arbres du jardin, immobiles. Il n’avait aucune envie de suivre le conseil de son ami. Depuis trop longtemps il se nourrissait de patience, et rien n’avait pu le détacher du souvenir de cette femme, ni le temps ni les voyages peuplés d’autres regards. Bientôt il sortirait d’ici.

14.

Le week-end s’annonçait beau, pas un nuage ne venait troubler l’horizon. Tout était calme, comme si la ville se réveillait d’une nuit d’été trop courte. Pieds nus, les cheveux en bataille, vêtue d’un vieux pull-over qu’elle portait comme une robe légère, Lauren travaillait à son bureau, reprenant ses recherches là où elle les avait laissées la veille.

Elle continua jusqu’au milieu de la matinée, guettant l’heure du courrier. Elle attendait un ouvrage scientifique commandé depuis deux jours, elle le trouverait peut-être enfin dans sa boîte aux lettres. Elle traversa le salon, ouvrit la porte de son appartement et sursauta en poussant un cri.

— Je suis désolé, je ne voulais pas vous faire peur, dit Arthur, les mains croisées dans le dos. J’ai eu votre adresse grâce à Betty.

— Qu’est-ce que vous faites là ? demanda Lauren en tirant sur son pull.

— Je n’en sais trop rien moi-même.

— Ils n’auraient jamais dû vous laisser sortir, c’est beaucoup trop tôt, dit-elle en bafouillant.

— Je vous avoue que je ne leur ai pas vraiment donné le choix… vous me laissez entrer quand même ?

Elle lui céda le passage et lui proposa de s’installer dans le salon.

— J’arrive tout de suite ! lança-t-elle en s’enfuyant vers la salle de bains.

« J’ai l’air d’un Gremlin ! » se dit-elle en essayant de remettre un peu d’ordre dans ses cheveux. Elle se précipita dans le dressing et commença à se débattre avec les cintres.

— Tout va bien ? demanda Arthur, étonné du bruit qui émanait de la penderie.

— Vous voulez un café ? cria Lauren qui cherchait désespérément ce qu’elle allait bien pouvoir mettre.

Elle regarda de plus près un sweater et le jeta par terre, le chemisier blanc n’allait pas non plus, il virevolta en l’air, une petite robe ne tarda pas à le rejoindre. Seconde après seconde, un amas de vêtements s’empilait derrière elle.

Arthur avança au milieu du salon, il regarda tout autour de lui. Dieu que ce lieu lui était familier. Les étagères d’une bibliothèque en bois clair pliaient sous les ouvrages, elles finiraient par céder si Lauren complétait sa collection d’encyclopédies médicales. Arthur sourit en voyant qu’elle avait installé son bureau exactement là où il avait mis jadis sa table d’architecte.

À travers les portes entrouvertes, il devinait la chambre à coucher et le lit qui faisait face à la baie.

Il entendit Lauren toussoter dans son dos et se retourna. Elle portait un jean et un tee-shirt blanc.

— Ce café, avec lait et sucre, sans lait et avec sucre ou sans sucre et avec lait ? demanda-t-elle.

— Comme vous voudrez ! répondit Arthur.

Elle passa derrière le comptoir de la cuisine, l’eau fuyait du robinet, elle se mit à jaillir à grand jet.

— Je crois que j’ai un problème, dit-elle en tentant de contenir l’inondation entre ses mains.

Arthur lui indiqua aussitôt la vanne d’arrêt général dans le petit placard situé juste à côté d’elle. Lauren se précipita pour la fermer. Le visage éclaboussé, elle regarda fixement Arthur.