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— Alors allons nous promener, la journée est magnifique et moi je n’ai pas du tout envie de vous laisser aller travailler.

Elle repoussa sa chaise et se leva.

— J’accepte la balade.

Le serveur hocha la tête quand elle quitta l’établissement.

Elle voulait marcher dans le parc du Presidio, elle aimait y flâner sous les grands séquoias. Souvent, elle descendait jusqu’à l’avancée de terre où vient s’ancrer l’une des piles du Golden Gate. Arthur connaissait bien l’endroit. De là, le pont suspendu s’étendait comme un trait dans le ciel entre la baie et l’océan.

Lauren devait récupérer sa chienne. Arthur promit de la retrouver là-bas. Lauren le quitta au bout de la jetée, il la regarda s’éloigner sans rien dire. Certains moments ont un goût d’éternité.

15.

Il l’attendait au pied du grand pont, assis sur un muret en brique. À cet endroit, les vagues de l’océan affrontaient celles de la baie, dans un combat qui durait depuis la nuit des temps.

— Je vous ai fait attendre ? s’excusa-t-elle.

— Où est Kali ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, maman n’était pas là. Vous connaissez son nom ?

— Venez, allons marcher de l’autre côté du pont, j’ai envie de voir l’océan, répondit Arthur.

Ils gravirent une colline et la redescendirent par son autre versant. En contrebas, la plage s’étendait sur des kilomètres.

Ils marchèrent le long de l’eau.

— Vous êtes différent, dit Lauren.

— De qui ?

— De personne en particulier.

— Alors ce n’est pas très difficile.

— Ne soyez pas idiot.

— Quelque chose chez moi vous gêne ?

— Non, rien ne me gêne, vous semblez toujours serein, c’est tout.

— C’est un défaut ?

— Non, mais c’est très déroutant, comme si rien n’avait l’air de vous poser de problème.

— J’aime chercher des solutions, c’est de famille, ma mère était comme moi.

— Vos parents vous manquent ?

— J’ai à peine eu le temps de connaître mon père. Maman avait un certain regard sur la vie, différent, comme vous dites.

Arthur s’agenouilla pour ramasser du sable.

— Un jour, dit-il, j’avais trouvé dans le jardin une pièce d’un dollar, je croyais être drôlement riche. J’ai couru vers elle, mon trésor serré dans la paume. Je le lui ai montré, j’étais si fier de ma découverte. Après m’avoir écouté lui dicter la liste de tout ce que j’allais acheter avec une telle fortune, elle a refermé mes doigts sur la pièce, retourné délicatement ma main et m’a demandé de l’ouvrir.

— Et alors ?

— Le dollar est tombé par terre. Maman m’a dit « voilà, c’est ce qui arrive quand on meurt, même à l’homme le plus riche de la terre. L’argent et le pouvoir ne nous survivent pas. L’homme n’invente l’éternité de son existence que dans les sentiments qu’il partage ». Et c’était vrai ; elle est morte hier, il y a des années de cela, depuis si longtemps que j’ai cessé d’en compter les mois sans en perdre un seul jour. Elle apparaît parfois dans l’instant d’un regard qu’elle m’a appris à poser sur les choses, sur un paysage, un vieillard qui traverse la rue en portant son histoire ; elle surgit dans un rayon de pluie, dans un reflet de lumière, au détour d’un mot dans une conversation, elle est mon immortelle.

Arthur laissa filer les grains de sable entre ses doigts. Il y a des chagrins d’amour que le temps n’efface pas et qui laissent aux sourires des cicatrices imparfaites.

Lauren s’approcha d’Arthur, elle prit son bras et l’aida à se relever, ils continuèrent à marcher sur la plage.

— Comment fait-on pour attendre quelqu’un aussi longtemps ?

— Pourquoi me reparlez-vous de ça ?

— Parce que cela m’intrigue.

— Nous avons vécu le début d’une histoire, elle était comme une promesse que la vie n’a pas tenue ; moi je tiens toujours mes promesses.

Lauren lâcha son bras, Arthur la regarda s’éloigner seule, vers la grève. Il attendit quelques instants pour la rejoindre, elle jouait à effleurer les vagues du bout du pied.

— J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?

— Non, murmura Lauren, au contraire. Je crois qu’il est temps que je rentre, j’ai vraiment du travail.

— Et ça ne peut pas attendre demain ?

— Demain ou cette après-midi, qu’est-ce que cela change ?

— Une envie peut tout changer, vous ne croyez pas ?

— Et de quoi avez-vous envie ?

— De continuer à marcher sur cette plage avec vous à accumuler les gaffes.

— Nous pourrions dîner ensemble ce soir ? suggéra Lauren.

Arthur plissa les yeux comme s’il hésitait. Elle lui donna une tape sur l’épaule.

— Je choisis l’endroit, dit-il en riant, juste pour vous prouver que tourisme et gastronomie ne font pas toujours mauvais ménage.

— Où allons-nous ?

— Au Cliff House, là-bas, dit-il en montrant au loin une falaise.

— J’habite cette ville depuis toujours et je n’y ai jamais mis les pieds !

— J’ai connu des Parisiens qui n’étaient jamais montés sur la tour Eiffel.

— Vous êtes déjà allé en France ? demanda-t-elle, les yeux émerveillés.

— À Paris, à Venise, à Tanger…

Et Arthur entraîna Lauren tout autour du monde, le temps de quelques pas que la mer montante effacerait derrière eux à la tombée du jour.

*

La salle aux boiseries sombres était presque vide. Lauren entra la première. Un maître d’hôtel en livrée vint l’accueillir. Elle demanda une table pour deux. Il lui suggéra d’attendre son hôte au bar. Étonnée, Lauren se retourna, Arthur avait disparu. Elle revint sur ses pas et le chercha dans l’escalier, elle le trouva sur la plus haute marche, il l’attendait, un sourire aux lèvres.

— Qu’est-ce que vous faites là ?

— La salle du bas est sinistre, celle-ci est beaucoup plus gaie.

— Vous trouvez ?

— Tout l’endroit est sinistre, n’est-ce pas ?

Lauren hocha la tête, partagée.

— C’est exactement ce que je me disais. Allons ailleurs.

— J’ai réservé auprès du maître d’hôtel ! dit-elle, gênée.

— Alors ne lui dites surtout rien, cette table sera la nôtre, nous essaierons de nous en souvenir toujours, ce sera là l’endroit où nous n’aurons pas partagé notre premier dîner !

Arthur entraîna Lauren sur le parking de l’établissement. Il lui demanda si elle voulait bien appeler un taxi. Il n’avait pas de téléphone sur lui. Lauren prit le sien et appela la compagnie.

Un quart d’heure plus tard, ils se firent déposer sur la jetée du Pier 39, décidés à tester tous les lieux à touristes de la ville. S’ils n’étaient pas trop fatigués, ils iraient même prendre un verre dans Chinatown, Arthur connaissait un immense bar où des autocars d’étrangers se déversaient du début à la fin de la soirée.

Ils marchaient sur les planches quand Lauren crut reconnaître Paul au loin, il était accoudé à la balustrade, en pleine conversation avec une ravissante jeune femme aux jambes infinies.

— Ce n’est pas votre ami ? demanda-t-elle.

— Si, c’est bien lui, répondit Arthur en faisant demi-tour.

Lauren le rejoignit.

— Vous ne voulez pas que nous allions le saluer ?

— Non, je ne tiens pas à interrompre leur tête-à-tête, venez, allons plutôt par là.

— C’est vous qui redoutez qu’ils nous voient ensemble ?