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— Et pourquoi cela ? demanda Granelli en vérifiant les constantes vitales sur ses moniteurs.

— J’ai mes raisons, dit le vieux professeur.

*

Enfiler un jean ne fut pas une simple affaire. Un pull passé à même la peau, un pied chaussé, l’autre nu, Lauren referma la porte de son appartement. L’escalier lui semblait soudain des plus inamical. Au second palier, la douleur se fit bien trop vive pour continuer debout. Elle s’assit sur les marches et se laissa glisser comme sur la pente d’une journée chaotique. Elle claudiqua jusqu’à sa voiture et actionna la télécommande du garage. Sous un ciel d’orage, la vieille Triumph filait vers le San Francisco Memorial Hospital. Chaque fois qu’il lui fallait changer de vitesse, la douleur l’élançait à en perdre conscience.

Elle ouvrit la vitre à la recherche d’un peu d’air frais.

*

La Saab de Paul descendait California Street à vive allure. Depuis qu’ils avaient quitté le restaurant, il n’avait pas dit un mot. Onega posa sa main sur sa jambe et caressa doucement sa cuisse.

— Ne t’inquiète pas, ce n’est peut-être pas si grave que cela.

Paul ne répondit pas, il bifurqua sur Market Street et remonta vers la 20e Rue. Tous deux dînaient au sommet de la tour de la Bank of America quand le portable de Paul avait sonné. Une infirmière l’avait prévenu que l’état de santé d’Arthur Ashby s’était aggravé, le patient n’était pas en mesure d’accepter l’intervention qu’il devait subir. Paul figurant sur sa fiche d’admission, il fallait qu’il vienne aussitôt que possible signer l’autorisation d’intervention chirurgicale. Il avait donné son accord par téléphone et, après avoir quitté précipitamment le restaurant, il filait dans la nuit en compagnie d’Onega.

*

La Triumph se rangea sous l’auvent du hall des Urgences ; un officier de sécurité s’approcha de la portière pour indiquer à la conductrice qu’elle ne pouvait pas stationner à cet endroit. Lauren eut à peine le temps de répondre qu’elle était interne de l’hôpital, et blessée. L’agent demanda de l’assistance dans son talkie-walkie, Lauren venait de s’évanouir.

*

Granelli se pencha sur son moniteur de contrôle, Fernstein remarqua aussitôt l’inquiétude qui figeait les traits de l’anesthésiste.

— Vous avez un problème ? interrogea le chirurgien.

— Une légère arythmie ventriculaire, plus vite vous aurez fini et mieux ce sera, je souhaiterais le réveiller dès que possible.

— Je fais de mon mieux, cher collègue.

Derrière la vitre, Betty, qui avait réussi à se faire remplacer quelques minutes, ne perdait rien de ce qui se déroulait dans la salle d’opération. Elle regarda sa montre, Lauren ne tarderait pas à arriver.

*

Paul entra dans le hall des Urgences, il se présenta à l’accueil. L’hôtesse le pria de bien vouloir patienter dans la salle d’attente. L’infirmière en chef était montée dans les étages, elle ne tarderait pas à revenir. Onega l’enlaça par la taille et l’entraîna vers une chaise. Elle le laissa quelques instants et inséra une pièce dans la fente du distributeur de boissons chaudes. Elle choisit un café court sans sucre et rejoignit Paul, le gobelet à la main.

— Tiens, dit-elle de sa belle voix éraillée, tu n’as pas eu le temps d’en prendre au restaurant.

— Je suis désolé pour cette soirée, dit Paul en relevant la tête, triste.

— Tu n’as pas à être désolé, et puis ce poisson n’était pas très bon.

— C’est vrai ? demanda Paul, l’air inquiet.

— Non. Mais ici ou ailleurs, nous passons quand même la nuit ensemble. Bois, ça va être froid.

— Il a fallu que cela arrive le seul jour où je n’ai pas pu venir le voir !

Onega passa sa main dans la chevelure ébouriffée de Paul, elle le caressa avec une infinie tendresse. Il la regardait avec l’air d’un enfant oublié au milieu d’un monde d’adultes.

— Je ne peux pas le perdre, je n’ai que lui.

Onega encaissa le coup sans rien dire, elle s’assit à ses côtés et le prit au creux de ses bras.

— Il y a un chant chez nous qui dit que tant que l’on pense à une personne, elle ne meurt jamais, alors pense à lui et pas à ton chagrin.

*

Le docteur Stern entra dans le box numéro 2, il avança jusqu’au lit et prit la feuille d’admission de sa patiente.

— Votre visage m’est familier, dit-il.

— Je travaille ici, répondit Lauren.

— Oui, mais moi je viens d’arriver, j’étais encore résident à Boston vendredi dernier.

— Alors nous ne nous sommes jamais vus, je suis en congé forcé depuis huit jours et je n’ai jamais mis les pieds là-bas.

— À propos de pied, le vôtre est dans un sale état, comment vous êtes-vous fait cette blessure ?

— Bêtement !

— Mais encore ?

— En marchant sur un verre… à pied !

— Et le contenu de ce verre est dans votre estomac ?

— En quelque sorte.

— Vos analyses sont éloquentes, j’ai quand même réussi à trouver un peu de sang dans votre alcool.

— Il ne faut rien exagérer, dit Lauren en essayant de se redresser, je n’ai bu que quelques gorgées de bordeaux.

La tête lui tourna, elle sentit son cœur se soulever et l’interne eut juste le temps de lui présenter le bassinet. Il lui tendit un mouchoir en papier et sourit.

— J’en doute, chère collègue, d’après les résultats du labo que j’ai devant moi, je dirais que vous avez aussi ingurgité la moitié des crabes de la baie et une bonne bouteille de cabernet sauvignon à vous toute seule. Très mauvaise idée de mélanger ces deux couleurs dans la même soirée. Rouge sur blanc tout fout le camp !

— Qu’est-ce que vous venez de dire ? demanda Lauren.

— Moi rien, votre estomac, en revanche…

Lauren s’allongea et prit sa tête entre ses mains, ne comprenant plus rien de ce qu’il lui arrivait.

— Il faut que je sorte d’ici au plus vite.

— Je vais faire de mon mieux, reprit Stern, mais je dois d’abord vous recoudre et aussi vous faire un rappel antitétanique. Vous préférez une anesthésie locale ou…

Lauren l’interrompit pour le sommer de refermer cette plaie au plus vite. Le jeune résident s’empara d’un kit de suture et prit place sur le petit tabouret à côté d’elle. Il resserrait son troisième point quand Betty entra dans le box.

— Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda l’infirmière en chef.

— Une cuite, je crois ! répondit Stern à sa place.

— Sale blessure, reprit Betty en regardant le pied que Stern opérait.

— Comment va-t-il ? demanda Lauren en ignorant l’interne.

— Je redescends à l’instant du bloc, ce n’est pas encore gagné mais je pense qu’il va s’en sortir.

— Que s’est-il passé ?

— Sudation encéphalique postopératoire, on a retiré les drains trop tôt.

— Betty, je peux te poser une question ?

— Ai-je vraiment le choix ?

Lauren saisit le poignet du docteur Stern et le pria de les laisser seules quelques instants. Le résident tenait à terminer d’abord son travail. Betty lui enleva l’aiguille des doigts, elle finirait de suturer elle-même. Il y avait dans le hall des Urgences une foule de patients qui avaient plus besoin de ses compétences que Lauren.

Stern regarda Betty. Il abandonna son tabouret, après tout, elle n’avait qu’à se charger du pansement et du rappel de tétanos. Les infirmières en chef des services hospitaliers avaient une certaine autorité sur les jeunes résidents.