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Betty s’assit près de Lauren.

— Je t’écoute, dit-elle.

— Je sais que ce que je vais te demander va te paraître bizarre, mais est-il possible que le patient de la 307 ait échappé à ton attention au cours de la journée ? Je te jure que cela restera entre nous.

— Précise ta question ! répliqua Betty d’un ton presque indigné.

— Je ne sais pas, est-ce qu’il aurait pu mettre un polochon dans son lit pour faire croire à sa présence et disparaître quelques heures sans que tu t’en rendes compte, il a l’air très doué pour ça ?

Betty jeta un regard au bassinet posé près de la vasque et leva les yeux au ciel.

— J’ai honte pour toi, ma chérie !

Stern réapparut dans le box.

— Vous êtes absolument certaine que nous ne nous sommes pas vus quelque part ? J’ai fait un stage ici il y a cinq ans…

— Dehors ! ordonna Betty.

*

Le professeur Fernstein consulta sa montre.

— Cinquante-quatre minutes ! Vous pouvez le réveiller, dit Fernstein en s’éloignant de la table.

Le professeur salua l’anesthésiste et quitta le bloc opératoire de mauvaise humeur.

— Qu’est-ce qu’il a ? demanda Granelli.

— Il est fatigué en ce moment, répondit Norma d’une voix triste.

L’infirmière se chargea du pansement, pendant que Granelli ramenait Arthur à la vie.

Les portes de la cabine d’ascenseur s’ouvrirent sur le palier des Urgences. Fernstein traversa le couloir d’un pas pressé. Une voix dans un box attira son attention ; suspicieux, il passa la tête par le rideau et découvrit Lauren assise sur un lit en conversation avec Betty.

— Quelque chose vous a échappé ? L’accès à cet hôpital vous est interdit, bon sang ! Vous n’êtes pas encore réintégrée dans vos fonctions de médecin !

— Je me suis réintégrée toute seule en patiente.

Fernstein la regarda, dubitatif. Lauren leva fièrement la jambe en l’air, et Betty confirma au professeur qu’on venait de lui faire sept points de suture au talon. Fernstein grommela.

— Vous êtes vraiment capable de faire n’importe quoi pour le plaisir de me contrarier.

Lauren eut envie de répliquer mais Betty, qui tournait le dos au professeur, lui fit les gros yeux pour qu’elle se taise ; Fernstein avait déjà disparu, ses pas résonnaient dans le couloir. Il traversa le hall et prévint la standardiste d’un ton autoritaire qu’il rentrait chez lui ; il ne fallait plus le déranger, même si le gouverneur de Californie se cassait la gueule pendant sa gymnastique.

— Qu’est-ce que je lui ai fait ? demanda Lauren, secouée.

— Tu lui manques ! Depuis qu’il t’a mise à l’écart, il en a après la terre entière. Tout le monde l’emmerde ici, à part toi.

— Eh bien je préférerais lui manquer un peu moins, tu as entendu comment il m’a parlé ?

Betty récupéra les bandages inutilisés et commença à les ranger dans les tiroirs de la desserte.

— Là, ma chérie, on ne peut pas dire que tu manques de vocabulaire non plus ! Ton pansement est terminé, tu peux aller gambader où bon te semble, hormis dans les étages de cet hôpital.

— Tu crois qu’ils l’ont redescendu dans sa chambre ?

— Qui ? interrogea Betty d’une voix hypocrite en refermant la porte de l’armoire à pharmacie.

— Betty !…

— Je vais aller voir, si tu me jures que tu pars d’ici dès que j’ai eu ton renseignement.

Lauren promit d’un signe de la tête et Betty quitta la salle d’examens.

Fernstein traversa le parking. La douleur le saisit à nouveau, à quelques mètres de son véhicule. C’était la première fois qu’elle s’était manifestée au cours d’une opération. Il savait que Norma avait deviné sur ses traits la morsure qui le saisissait au bas du ventre. Les six minutes qu’il avait gagnées sur l’intervention ne furent pas salvatrices que pour son patient. De grosses gouttes perlaient à son front, sa vue se troublait un peu plus à chaque pas. Un goût de métal envahit son palais. Plié en deux, il porta la main à la bouche ; une quinte de toux et le sang coula entre ses doigts. Quelques mètres encore, Fernstein priait pour que le gardien ne le voie pas. Il s’adossa à la portière et chercha dans sa poche le petit boîtier qui en commandait l’ouverture. Réunissant le peu de forces qui lui restait, il s’assit derrière le volant et attendit que la crise passe. Le paysage disparut derrière un voile sombre.

*

Betty n’était pas là. Lauren se faufila dans le couloir et claudiqua vers le vestiaire. Elle ouvrit un casier et emprunta la première blouse qu’elle trouva avant de ressortir aussi discrètement qu’elle était entrée. Elle ouvrit une porte de service, traversa un long corridor où filait une multitude de tuyaux au-dessus de sa tête et réapparut au service de pédiatrie, dans une autre aile de l’immeuble. Elle emprunta les ascenseurs ouest du bâtiment jusqu’au troisième étage, reprit une coursive technique en sens inverse et se retrouva enfin dans le service de neurologie. Elle s’arrêta devant la porte de la chambre 307.

*

Paul se leva d’un bond, le visage pétri d’inquiétude. Mais le sourire de Betty qui venait vers lui était apaisant.

— Le pire est derrière nous, dit-elle.

L’intervention s’était bien déroulée, Arthur se reposait déjà dans sa chambre, il n’était même pas resté en réanimation. L’incident de ce soir n’était qu’un petit trouble postopératoire sans conséquence. Il pourrait lui rendre visite dès le lendemain. Paul aurait voulu rester toute la nuit à ses côtés, mais Betty le rassura à nouveau, il n’y avait aucune raison de continuer à s’inquiéter. Elle avait son numéro et l’appellerait s’il arrivait quoi que ce soit.

— Mais vous me promettez qu’il ne peut plus rien se passer de grave ? demanda Paul d’une voix fébrile.

— Viens, dit Onega en le prenant par le bras, rentrons.

— Tout est sous contrôle, affirma Betty, allez vous reposer, vous avez une mine de papier mâché, une bonne nuit de sommeil vous fera le plus grand bien. Je veille sur lui.

Paul prit la main de l’infirmière et la secoua énergiquement, se confondant en mercis et en excuses.

Onega dut presque le tirer de force vers la sortie.

— Si j’avais su, j’aurais choisi le rôle du meilleur ami ! Tu es bien plus démonstratif dans ce domaine ! dit-elle en traversant le parking.

— Mais je n’ai jamais eu l’occasion de m’occuper de toi malade, répondit-il avec une mauvaise foi redoutable en lui ouvrant la portière.

Paul s’installa derrière le volant et regarda d’un air perplexe la voiture stationnée à côté de la sienne.

— Tu ne démarres pas ? demanda Onega.

— Regarde ce type à droite, il n’a pas l’air d’aller bien.

— Nous sommes sur le parking d’un hôpital, et tu n’es pas médecin ! Ton tonnelet de Saint-Bernard est vide pour ce soir, rentrons.

La Saab quitta son emplacement et disparut à l’angle de la rue.

*

Lauren poussa la porte et entra dans la pièce. La chambre silencieuse était plongée dans une semi-obscurité. Arthur entrouvrit les yeux, il sembla lui sourire et se rendormit aussitôt. Elle avança au pied du lit et le regarda, attentive. Quelques mots de Santiago surgirent de sa mémoire ; en quittant la chambre de sa petite fille, l’homme aux cheveux blancs s’était retourné une dernière fois pour dire en espagnol : « Si la vie était comme un long sommeil, le sentiment en serait la rive. » Lauren avança dans la pénombre, elle se pencha à l’oreille d’Arthur et murmura :