— Moi j’ai une petite idée de ce qui t’arrive, tu veux que je t’explique ?
— Arrête de te moquer de moi, ce n’est pas aussi simple !
Betty éclata de rire.
— Je ne me moque pas, je trouve ça déroutant ; bon, je te laisse, je file me coucher. Ne fais pas de bêtises.
Elle prit une attelle et la posa sous le pied de Lauren.
— Voilà qui t’aidera à marcher. Passe à la pharmacie centrale chercher tes antibiotiques. Il y a une paire de béquilles dans le placard.
Betty disparut derrière le rideau, elle revint aussitôt.
— Et au cas où tu ne saurais plus te repérer dans cet hôpital, la pharmacie centrale est au premier sous-sol, ne te trompe pas avec le service de neurologie, ce sont les mêmes ascenseurs !
Lauren l’entendit s’éloigner dans le couloir.
*
Paul était devant le lit d’Arthur. Il ouvrit un sachet plein de croissants et de pains au chocolat.
— C’est moche de retourner au bloc opératoire en mon absence. J’espère qu’ils ont pu se débrouiller sans moi ! Comment te sens-tu ce matin ?
— Très bien, à part que j’en ai assez d’être ici. Toi, tu n’as pas bonne mine.
— Tu m’as fait passer une sale nuit.
*
Lauren prit le bloc d’ordonnances sur le comptoir et se prescrivit un antibiotique puissant. Elle signa la feuille et la tendit au préposé.
— Vous n’y allez pas de main morte, vous soignez une septicémie ?
— Mon cheval a une grosse fièvre !
— Avec ça, il devrait être remis sur ses sabots dans la journée !
L’employé se retira derrière ses rayonnages, il revint quelques instants plus tard, un flacon à la main.
— Allez-y doucement quand même, j’aime les animaux ; avec ça vous pourriez le tuer.
Lauren ne répondit pas, elle récupéra les médicaments et retourna vers les ascenseurs. Elle hésita avant d’appuyer sur le bouton du troisième étage. Au rez-de-chaussée, un technicien entra dans la cabine, poussant un appareil d’électroencéphalographie. L’écran était entouré d’une bande de plastique jaune.
— Quel étage ? demanda Lauren.
— Neurologie !
— Il est en panne ?
— Ces machines sont de plus en plus sophistiquées mais aussi de plus en plus capricieuses. Celle-ci a déroulé toute sa bobine de papier hier avec un tracé incompréhensible. Ce n’était plus de l’hyperactivité cérébrale mais le courant d’une centrale électrique qu’elle enregistrait. Les types de la maintenance ont passé trois heures dessus et ils disent qu’elle n’a rien ! Probablement des interférences.
*
— Qu’est-ce que tu faisais hier soir ? demanda Arthur.
— Je te trouve bien curieux, je dînais en compagnie d’une jeune femme.
Arthur regarda son ami d’un air inquisiteur.
— Onega, avoua Paul.
— Vous vous revoyez ?
— En quelque sorte.
— Tu as une drôle de voix.
— J’ai peur d’avoir fait une connerie.
— De quel genre ?
— Je lui ai donné les clés de chez moi.
Le visage d’Arthur s’éclaira, il aurait presque voulu taquiner Paul, mais son ami se leva et se posta devant la fenêtre, l’air soucieux.
— Tu le regrettes déjà ?
— J’ai peur de l’avoir effrayée, je suis peut-être allé un peu vite.
— Tu es tombé amoureux ?
— Ce n’est pas impossible.
— Alors fie-toi à ton instinct, si tu as fait ce pas c’est que tu en avais envie, et c’est ce qu’elle ressentira. Il n’y a pas de honte à partager ses sentiments, crois-moi.
— Alors tu penses que je n’ai pas eu tort ? demanda Paul, le visage plein d’espoir.
— Je ne t’ai jamais vu dans cet état, tu n’as aucune raison d’être inquiet !
— Elle ne m’a pas téléphoné.
— Depuis combien de temps ?
Paul regarda sa montre.
— Deux heures.
— Tout ce temps-là ? Tu es gravement atteint ! Laisse-lui le temps de profiter de ton geste, et puis aussi de libérer sa ligne de téléphone, elle doit appeler toutes ses copines pour leur dire qu’elle a réussi à faire craquer le célibataire le plus coriace de San Francisco.
— Oui, ben, fais le mariole, j’aimerais t’y voir ; je ne sais pas du tout ce qui m’arrive, j’ai chaud, j’ai froid, j’ai les mains moites, j’ai mal au ventre et je manque de salive.
— Tu es amoureux !
— Je savais bien que je n’étais pas fait pour ça, ça me rend malade.
— Tu verras, les effets secondaires sont magnifiques.
Une interne passait devant la vitre de la chambre, Paul écarquilla les yeux.
— Je vous dérange ? demanda Lauren en entrant dans la pièce.
— Non, dit Paul.
Il s’apprêtait justement à aller chercher un café au distributeur. Il en proposa un à Arthur, Lauren répondit à sa place que ce n’était pas recommandé. Paul s’éclipsa.
— Vous êtes blessée ? s’inquiéta Arthur.
— Un accident stupide, confia Lauren en décrochant la feuille de soins au pied du lit.
Arthur regarda l’attelle.
— Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
— Une indigestion à la fête du crabe !
— Et on peut se casser le pied comme ça ?
— Ce n’est qu’une méchante coupure.
— Ils vous ont pincée ?
— Vous n’avez aucune idée de ce que je vous raconte, n’est-ce pas ?
— Pas vraiment, mais si vous voulez bien m’en dire un peu plus…
— Et vous, comment s’est déroulée votre nuit ?
— Assez agitée.
— Vous avez quitté votre lit ? demanda Lauren, pleine d’espoir.
— Je m’y suis plutôt enfoncé ; mon cerveau a surchauffé à ce qu’il paraît, ils ont dû me remonter au bloc en urgence.
Lauren le regarda attentivement.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Arthur. Vous allez l’air étrange.
— Non, rien, c’est idiot.
— Il y a un problème avec mes résultats ?
— Non, rassurez-vous, ça n’a rien à voir, dit-elle d’une voix douce.
— Alors de quoi s’agit-il ?
Elle s’appuya à la rambarde du lit.
— Vous n’avez aucun souvenir de…
— De quoi ? l’interrompit Arthur, fébrile.
— Non, c’est vraiment ridicule, ça n’a aucun sens.
— Dites-le-moi quand même ! insista Arthur.
Lauren se dirigea vers la fenêtre.
— Je ne bois jamais d’alcool, et là, je crois que j’ai pris la plus grande cuite de ma vie !
Arthur restait silencieux, elle se retourna, et les mots sortirent de sa gorge sans même qu’elle puisse les retenir.
— Ce que je voudrais vous dire n’est pas facile à entendre…
Une femme entra dans la pièce, portant une immense gerbe de fleurs qui masquait son visage. Elle posa le bouquet sur la table roulante et avança jusqu’au lit.
— Mon Dieu que j’ai eu peur ! dit Carol-Ann en prenant Arthur dans ses bras.
Lauren regarda l’anneau serti de diamants que la femme portait à l’annulaire de la main gauche.
— C’était absurde, murmura Lauren, je voulais juste prendre de vos nouvelles, je vous laisse avec votre fiancée.
Carol-Ann serrait Arthur encore plus fort, elle caressa ses joues.
— Tu sais que dans certains pays, on appartient pour toujours à celui qui vous a sauvé la vie !
— Carol-Ann, tu m’étouffes.
La jeune femme, un peu confuse, desserra son étreinte, elle se redressa et ajusta sa jupe. Arthur chercha le regard de Lauren mais elle n’était déjà plus là.