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— Va avec elle, je ne veux pas qu’elle reste seule ce soir.

Elle prit le bout de bois et le lança vers sa mère. Kali aboya et repartit en courant vers Emily Kline.

— Lauren ?

— Oui ?

— Personne n’y croyait plus, c’était un miracle.

— Je sais !

Sa mère se rapprocha de quelques pas.

— Les fleurs dans ton appartement, ce n’est pas moi qui te les avais offertes.

Lauren la regarda, intriguée. Mme Kline plongea la main dans sa poche et en sortit une petite carte froissée qu’elle tendit à sa fille.

Entre les pliures du papier, Lauren lut les deux mots qui y étaient inscrits.

Elle sourit et embrassa sa mère avant de s’éloigner en courant.

*

Les premières lueurs du jour irisaient la baie. Arthur était éveillé. Il se leva et s’aventura dans le couloir. Il arpentait le linoléum, sautant d’une dalle noire à une blanche comme sur un échiquier, qui n’en finissait pas.

L’infirmière d’étage sortit de sa vigie pour aller à sa rencontre. Arthur lui assura qu’il allait bien. Elle accueillit la nouvelle avec satisfaction et le raccompagna jusqu’à sa chambre. Il fallait qu’il soit encore patient, il sortirait à la fin de la semaine.

Dès qu’elle s’éclipsa, Arthur prit le combiné du téléphone, et composa un numéro.

Paul décrocha.

— Je te dérange ?

— Pas du tout, mentit Paul, je ne veux même pas regarder ma montre !

— C’est toi qui as raison ! dit Arthur, enthousiaste. Je vais rendre ses couleurs à cette maison, ravaler la façade, réparer les fenêtres, poncer et revernir tous les planchers, y compris ceux de la véranda ; on fera décaper les tomettes de la cuisine par l’artisan dont tu m’avais parlé, je vais tout restaurer, ce sera comme avant, même la balancelle va retrouver sa jeunesse.

Paul s’étira. Les yeux plissés de sommeil il regarda le réveil sur la table de nuit.

— Tu es en train de faire une réunion de chantier à 5 h 45 du matin ?

— Je vais reconstruire la toiture du garage en haut du jardin, replanter la roseraie et redonner vie à cet endroit.

— Tu vas faire tout ça là maintenant, ou ça peut attendre un petit peu ? demanda Paul de plus en plus énervé.

— Tu commences le chiffrage dès lundi, poursuivit Arthur enthousiaste, début des travaux dans un mois et je viendrai suivre l’avancement les week-ends, jusqu’à ce que tout soit achevé ! Tu m’aideras ?

— Je retourne dans mon rêve, si je croise un menuisier, je lui demande un devis et je te rappelle quand je me réveille, andouille !

Paul raccrocha.

— Qui était-ce ? interrogea Onega en se blottissant contre lui.

— Un fou !

*

L’après-midi s’alanguissait dans la chaleur de l’été. Lauren se gara derrière le parking réservé aux véhicules de police. Elle entra dans le commissariat et expliqua à l’officier de garde qu’elle cherchait à joindre un inspecteur à la retraite ; il répondait au nom de George Pilguez. Le policier désigna un banc en face de lui. Il décrocha son téléphone et composa un numéro.

Après quelques minutes de conversation, il griffonna une adresse sur son bloc-notes et fit signe à Lauren de se lever.

— Tenez, dit-il en lui tendant une feuille. Il vous attend.

*

La petite maison se trouvait à l’autre bout de la ville, entre la 15e et la 16e Rue. Lauren se gara dans l’allée. George Pilguez était dans son jardin, il cacha dans son dos le sécateur et les roses qu’il venait de couper.

— Vous avez grillé combien de feux ? dit-il en regardant sa montre. Je n’ai jamais réussi à faire ce temps-là, même avec ma sirène.

— Jolies fleurs ! répondit Lauren.

Gêné, l’inspecteur proposa à Lauren de s’asseoir sous la tonnelle.

— Que puis-je faire pour vous ?

— Pourquoi ne l’avez-vous pas arrêté ?

— J’ai dû rater quelque chose, je n’ai pas compris votre question.

— L’architecte ! Je sais que c’est vous qui m’avez ramenée à l’hôpital.

Le vieil inspecteur regarda Lauren et s’assit en grimaçant.

— Vous voulez une limonade ?

— J’aimerais mieux que vous répondiez à ma question.

— Deux ans de retraite et le monde tourne déjà à l’envers. Les toubibs qui interrogent les flics, on aura tout vu !

— La réponse est si embarrassante que ça ?

— Tout dépend de ce que vous savez et de ce que vous ne savez pas.

— Je sais à peu près tout !

— Alors pourquoi êtes-vous là ?

— J’ai horreur de l’à-peu-près !

— Je savais bien que je vous trouvais sympathique ! Je vais chercher ces rafraîchissements et je reviens.

Il posa les roses dans l’évier de la cuisine et se débarrassa de son tablier. Après avoir sorti deux canettes de soda du réfrigérateur, il fit une courte halte devant la glace du couloir, le temps de remettre un peu en ordre les derniers cheveux qui lui restaient.

— Elles sont fraîches ! dit-il en s’asseyant à la table.

Lauren le remercia.

— Votre mère n’a pas porté plainte, je n’avais aucune raison de le coffrer votre architecte !

— Pour un enlèvement, l’État aurait dû se porter partie civile, n’est-ce pas ? demanda Lauren en buvant une gorgée de limonade.

— Oui, mais nous avons eu un petit problème, le dossier s’est égaré. Vous savez ce que c’est, les commissariats sont parfois très en désordre !

— Vous ne voulez pas m’aider, n’est-ce pas ?

— Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous cherchiez !

— Je cherche à comprendre.

— La seule chose à comprendre, c’est que ce type vous a sauvé la vie.

— Pourquoi a-t-il fait ça ?

— Ce n’est pas à moi de vous répondre. Posez-lui la question. Vous l’avez sous la main… c’est votre patient.

— Il ne veut rien me dire.

— Il a ses raisons, j’imagine.

— Et quelles sont les vôtres ?

— Je suis comme vous, docteur, tenu au secret professionnel. Je doute qu’au moment de prendre votre retraite vous vous libériez de cette obligation.

— Je veux juste connaître ses motivations.

— Vous sauver la vie ne vous suffit pas ? Vous faites bien ça tous les jours pour des inconnus… vous n’allez pas lui en vouloir d’avoir voulu essayer une fois !

Lauren abandonnait la partie.

Elle remercia l’inspecteur pour son accueil et se dirigea vers sa voiture. Pilguez la suivit.

— Oubliez ma leçon de morale, c’était de l’esbroufe. Je ne peux pas vous raconter ce que je sais, vous me prendriez pour un fou, vous êtes médecin, moi un vieil homme, je ne tiens pas du tout à me faire embarquer par les services sociaux.

— Je suis tenue au secret professionnel, souvenez-vous !

L’inspecteur la jaugea. Il se pencha à la portière pour raconter l’aventure la plus folle qu’il avait vécue de sa vie ; l’histoire commençait une nuit d’été, dans une maison au bord de la mer, dans la baie de Carmel…

— Qu’est-ce que je peux vous dire d’autre ? poursuivit Pilguez, il faisait trente degrés dehors et presque autant au-dedans. Et j’ai frissonné, docteur ! Vous dormiez dans le lit de ce petit bureau, tout près de l’endroit où nous nous trouvions, et pendant qu’il me racontait son histoire abracadabrante, j’ai senti votre présence, tantôt à ses côtés, parfois même comme si vous étiez assise près de moi. Alors je l’ai cru. Probablement parce que j’en avais envie. Ce n’est pas la première fois que je repense à cette affaire. Mais comment vous expliquer ? Elle a changé mon regard, et peut-être même un peu ma vie. Alors tant pis si vous me prenez pour un vieux cinglé.