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Lauren posa sa main sur celle du policier. Son visage rayonnait.

— Moi aussi j’ai cru devenir folle. Un jour, je vous promets que je vous raconterai une histoire tout aussi incroyable, elle s’est passée le jour de la fête de la pêche au crabe.

Elle se hissa pour l’embrasser sur la joue et la voiture disparut dans la rue.

— Qu’est-ce qu’elle voulait ? demanda Nathalia qui venait d’apparaître devant la porte de la maison, le visage ensommeillé.

— C’est au sujet de cette vieille histoire.

— Ils ont rouvert l’enquête ?

— Elle, oui ! Allez viens, je vais te préparer ton petit déjeuner.

18.

Le jour suivant, Paul se présenta à l’hôpital en milieu de matinée. Arthur l’attendait dans sa chambre, déjà tout habillé.

— Tu en as mis du temps !

— Ça fait une heure que je suis en bas. Ils m’ont dit que tu ne pouvais pas sortir avant la visite des médecins, et la visite des médecins est à dix heures, alors je ne pouvais pas monter plus tôt.

— Ils sont déjà passés.

— Le vieux râleur n’est pas là ?

— Non, je ne l’ai pas vu depuis mon opération, c’est un de ses collègues qui s’occupe de moi. On y va ? Je n’en peux plus d’être ici.

Lauren traversait le hall d’un pas décidé. Elle inséra son badge dans le lecteur magnétique et passa derrière le comptoir de l’accueil. Betty releva la tête de ses dossiers.

— Où est Fernstein ? demanda-t-elle d’une voix déterminée.

— Je connaissais l’expression « aller au-devant des ennuis » mais toi tu y cours !

— Réponds à ma question !

— Je l’ai vu monter dans son bureau, il avait des papiers à prendre, il m’a dit qu’il repartait bientôt.

Lauren remercia Betty et se dirigea vers les ascenseurs.

*

Le professeur était assis derrière son bureau. Il rédigeait une lettre. On frappa à la porte. Il posa son stylo et se leva pour ouvrir. Lauren entra sans attendre.

— Je croyais que cet établissement vous était interdit pendant encore quelques jours ? J’ai peut-être dû mal compter, dit le professeur.

— Quelle serait la sanction infligée à un médecin qui mentirait à ses patients ?

— Tout dépend, si c’est dans l’intérêt du malade.

— Mais si c’était dans l’intérêt du médecin ?

— J’essaierai de comprendre ce qui l’a motivé.

— Et si le patient est aussi une de ses élèves ?

— Alors il perdrait toute crédibilité. Dans ce cas, je crois que je lui conseillerais de démissionner, ou de prendre sa retraite.

— Pourquoi m’avez-vous caché la vérité ?

— J’étais en train de vous l’écrire.

— Je suis en face de vous, alors parlez-moi !

— Vous songez probablement à cet hurluberlu qui passait ses journées dans votre chambre. Après avoir hésité à l’interner pour démence précoce, je me suis contenté de le neutraliser. Si je l’avais laissé vous raconter son histoire, vous auriez été capable de faire des séances d’hypnose pour en avoir le cœur net ! Je vous ai sortie du coma, ce n’était pas pour que vous y replongiez toute seule.

— Foutaise ! cria Lauren en tapant du poing sur le bureau du professeur Fernstein. Dites-moi la vérité !

— Vous la voulez vraiment, la vérité ? Je vous préviens qu’elle n’est pas facile à entendre.

— Pour qui ?

— Pour moi ! Pendant que je vous maintenais en vie dans mon hôpital, il prétendait vivre avec vous ailleurs ! Votre mère m’a assuré qu’il ne vous connaissait pas avant votre accident mais, quand il me parlait de vous, chacun de ses mots me prouvait le contraire. Vous voulez entendre la chose la plus incroyable ? Il était si convaincant que j’ai failli croire à cette fable.

— Et si c’était vrai ?

— C’est bien là le problème, ça m’aurait dépassé !

— C’est pour cela que vous m’avez menti tout ce temps ?

— Je ne vous ai pas menti, je vous ai protégée d’une vérité impossible à admettre.

— Vous m’avez sous-estimée !

— Ce serait bien la première fois, vous n’allez pas me le reprocher ?

— Pourquoi n’avez-vous pas essayé de comprendre ?

— Oh, et puis à quoi bon ! C’est moi qui me suis sous-estimé. Vous avez toute la vie devant vous pour ruiner votre carrière à élucider ce mystère. J’ai connu quelques étudiants brillants qui ont voulu faire progresser la médecine trop vite. Ils se sont tous brisé les reins. Vous réaliserez, un jour, que dans notre profession le génie ne se distingue pas en repoussant les limites du savoir, mais en réussissant à le faire à un rythme qui ne bouscule ni la morale ni l’ordre établi.

— Pourquoi avoir renoncé ?

— Parce que vous allez vivre longtemps et que je vais mourir bientôt. Simple équation de temps.

Lauren se tut. Elle regarda son vieux professeur, au bord des larmes.

— Je vous en supplie, épargnez-moi ça ! C’est pour cela que je préférais vous écrire. Nous avons passé de merveilleuses années ensemble, je ne vais pas vous laisser comme dernier souvenir celui d’un vieux professeur pathétique.

La jeune interne contourna le bureau et serra Fernstein contre elle. Il resta les bras ballants. Et puis, un peu gauche, il finit par enlacer son élève et chuchota à son oreille.

— Vous êtes ma fierté, ma plus grande réussite, ne renoncez jamais ! Tant que vous serez là je continuerai à vivre à travers vous. Plus tard, il faudra que vous enseigniez ; vous en avez l’envergure et le talent ; votre seul ennemi c’est votre caractère, mais avec le temps, ça s’arrangera ! Regardez, je ne m’en suis pas si mal sorti ; si vous m’aviez connu à votre âge ! Allez, maintenant partez d’ici sans vous retourner. Je veux bien pleurer à cause de vous mais je ne veux pas que vous vous en rendiez compte.

Lauren serra Fernstein de toutes ses forces.

— Comment je vais faire sans vous ? Avec qui je vais pouvoir m’engueuler ? dit-elle en sanglotant.

— Vous finirez bien par vous marier !

— Vous ne serez plus là lundi ?

— Je ne serai pas encore mort, mais je serai parti d’ici. Nous n’allons plus nous revoir, mais nous penserons souvent l’un à l’autre, j’en suis sûr.

— Je vous dois tellement de mercis.

— Non, dit Fernstein en s’éloignant un peu. Vous ne les devez qu’à vous-même. Ce que je vous ai appris, tout autre professeur vous l’aurait enseigné, c’est vous qui avez fait la différence. Si vous ne commettez pas les mêmes erreurs que moi, vous serez un grand médecin.

— Vous n’en avez commis aucune.

— J’ai fait attendre Norma bien trop longtemps, si je l’avais laissée entrer plus tôt dans ma vie, si j’étais entré dans la sienne, j’aurais été bien plus qu’un grand professeur.

Il lui tourna le dos et fit un signe de la main, il était temps qu’elle parte. Et comme promis, Lauren quitta son bureau sans se retourner.

*

Paul avait conduit Arthur chez lui. Dès que Miss Morrison apparut en compagnie de Pablo, il fila au bureau. La journée du vendredi était toujours trop courte et il avait une pile de dossiers en retard. Avant son départ, Arthur lui demanda une ultime faveur, quelque chose dont il rêvait depuis quelques jours.