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Elle entra dans la cuisine, son cœur battait plus fort ; elle regarda autour d’elle, les yeux humides. Sur la table, une vieille cafetière italienne lui semblait familière. Elle hésita, prit l’objet et le caressa avant de le reposer.

La porte suivante ouvrait sur le salon. Un long piano dormait dans l’obscurité du lieu. Elle s’approcha d’un pas timide, s’assit sur le tabouret ; ses doigts posés sur le clavier délièrent les premières notes fragiles d’un « Clair de lune » de Werther. Elle s’agenouilla sur le tapis et fit flotter sa main sur les écheveaux de laine.

Elle revisitait chaque endroit, grimpant jusqu’à l’étage, courant de chambre en chambre ; et petit à petit les souvenirs de la maison se muaient en instants présents.

Un peu plus tard, elle descendit l’escalier et retourna dans le bureau. Elle regarda le lit, s’approcha pas à pas du placard et avança la main. À peine l’effleura-t-elle que la poignée se mit à tourner. Sous ses yeux, brillaient les deux serrures d’une petite valise noire.

Lauren s’assit en tailleur, elle fit glisser les deux loquets et le rabat s’ouvrit.

La valise débordait d’objets de toutes tailles, elle contenait des lettres, quelques photos, un avion en pâte de sel, un collier de coquillages, une cuillère en argent, des chaussons de bébé et une paire de lunettes de soleil d’enfant. Une enveloppe en feuille de Rives portait son prénom. Elle la prit dans ses mains, huma le papier, la décacheta et se mit à la lire.

Au fil des mots qu’elle découvrait d’une main tremblante, les fragments de souvenirs recomposaient enfin l’histoire…

Elle avança jusqu’au lit et posa sa tête sur l’oreiller, pour relire encore et encore la dernière page, qui disait :

… Ainsi se referme l’histoire, sur tes sourires et le temps d’une absence. J’entends encore tes doigts sur le piano de mon enfance. Je t’ai cherchée partout, même ailleurs. Je t’ai trouvée, où que je sois, je m’endors dans tes regards. Ta chair était ma chair. De nos moitiés, nous avions inventé des promesses ; ensemble nous étions nos demains. Je sais désormais que les rêves les plus fous s’écrivent à l’encre du cœur. J’ai vécu là où les souvenirs se forment à deux, à l’abri des regards, dans le secret d’une seule confidence où tu règnes encore.

Tu m’as donné ce que je ne soupçonnais pas, un temps où chaque seconde de toi comptera dans ma vie bien plus que toute autre seconde. J’étais de tous les villages, tu as inventé un monde. Te souviendras-tu, un jour ? Je t’ai aimée comme je n’imaginais pas que cela serait possible. Tu es entrée dans ma vie comme on entre en été.

Je ne ressens ni colère ni regrets. Les moments que tu m’as donnés portent un nom, l’émerveillement. Ils le portent encore, ils sont faits de ton éternité. Même sans toi, je ne serai plus jamais seul, puisque tu existes quelque part.

Arthur

Lauren ferma les yeux ; elle serra le papier contre elle. Bien plus tard, le sommeil qui avait manqué à la nuit arriva enfin.

*

Il était midi, une lumière dorée filtrait par les persiennes. Les pneus d’une voiture crissèrent sur le gravier, juste devant le porche. Lauren sursauta. Elle chercha aussitôt un endroit sûr pour se cacher.

*

— Je vais chercher la clé et je reviens t’ouvrir, dit Arthur en ouvrant la portière de la Saab.

— Tu ne veux pas que j’y aille, moi ? proposa Paul.

— Non, tu ne sauras pas ouvrir le volet, il y a une astuce.

Paul descendit de la voiture, il ouvrit le coffre et s’empara de la trousse à outils.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Arthur en s’éloignant.

— Je vais aller démonter le panneau « à vendre », il gâche la vue.

— Une minute et je t’ouvre, reprit Arthur en s’éloignant vers le volet clos.

— Prends tout ton temps, mon vieux ! répondit Paul, une clé anglaise à la main.

*

Arthur referma la fenêtre et alla récupérer la longue clé dans la valise noire. Il ouvrit la porte du placard et sursauta. Un petit hibou blanc tenu à bout de bras le fixait dans le noir, le regard à l’abri d’une paire de lunettes d’enfant, qu’Arthur reconnut aussitôt.

— Je crois qu’il est guéri, il n’aura plus jamais peur du jour, dit une voix timide cachée dans l’obscurité.

— Je veux bien le croire, ces lunettes, c’est moi qui les portais ; on y voit des merveilles en couleurs.

— Il paraît ! répondit Lauren.

— Je ne veux surtout pas être indiscret, mais qu’est-ce que vous faites là, tous les deux ?

Elle avança d’un pas et elle sortit de l’ombre.

— Ce que je vais vous dire n’est pas facile à entendre, impossible à admettre, mais si vous voulez bien écouter notre histoire, si tu veux bien me faire confiance, alors peut-être que tu finiras par me croire, et c’est très important, car maintenant je le sais, tu es la seule personne au monde avec qui je puisse partager ce secret.

Et Arthur entra enfin dans le placard…

Épilogue

Paul et Onega emménagèrent à Noël dans un appartement qui bordait la Marina.

Mme Kline gagna le tournoi de bridge de la ville, l’été suivant celui de l’État de Californie. Elle s’est mise au poker et, à l’heure où s’écrivent ces lignes, elle dispute la demi-finale des championnats nationaux à Las Vegas.

Le professeur Fernstein est mort dans la chambre d’un hôtel, à Paris. Norma l’a conduit en Normandie pour qu’il repose non loin de son oncle, tombé en terre de France un jour de juin 1944.

George Pilguez et Nathalia se sont mariés dans une petite chapelle de Venise. Chez Da Ivo, une merveilleuse petite trattoria, ils ont dîné sans le savoir en face du docteur Lorenzo Granelli. Ils poursuivent un long voyage en Europe. Le commissariat du 7e district aurait reçu récemment une carte postée d’Istanbul.

Miss Morrison a réussi l’impossible pari de fiancer Pablo à une femelle jack russell qui s’est révélée être, après naissance de leurs chiots, un fox terrier. Pablo élève deux de ses six enfants.

Betty est toujours infirmière en chef des Urgences du San Francisco Memorial Hospital.

Quant à Arthur et Lauren, ils ont demandé à ce qu’on ne les dérange pas…

Pendant quelque temps…

FIN