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« Vous ne croyez pas en Dieu ? »

« La question ne s’est jamais posée. Nous nous sommes toujours souvenus de nos origines. »

« Vous avez évolué. Nous avons été créés. »

« Par un virus. »

« Par un virus que Dieu a créé pour nous créer. »

« Alors vous êtes croyant, vous aussi. »

« Je comprends la croyance. »

« Non – vous désirez la croyance. »

« Je la désire assez pour me comporter comme si je croyais. C’est peut-être cela, la foi. »

« Ou la folie volontaire. »

Il se trouva que Valentine et Jakt n’étaient pas venus seuls dans le vaisseau de Miro. Plikt était venue elle aussi, sans y avoir été invitée, et s’était installée dans un méchant petit réduit où l’on n’avait même pas la place de s’étendre complètement. Dans ce voyage, elle était l’exception – ni membre de la famille ni membre de l’équipage, rien qu’une amie. Plikt avait été l’une des étudiantes d’Ender lorsqu’il était porte-parole des morts sur Trondheim. Elle avait deviné par ses propres moyens qu’Andrew Wiggin le Porte-Parole des Morts et le célèbre Ender Wiggin n’étaient qu’une seule et même personne.

Valentine n’arrivait pas à comprendre ce qui avait poussé cette brillante jeune femme à s’attacher à ce point à Ender Wiggin. Parfois, elle se disait : C’est peut-être ainsi que commencent certaines religions. Le fondateur ne demande pas de disciples ; ils s’imposent à lui.

En tout cas, depuis qu’Ender avait quitté Trondheim, Plikt était restée avec Valentine et sa famille comme préceptrice des enfants et collaboratrice de Valentine, ne cessant d’attendre le jour où la famille partirait rejoindre Ender – jour dont Plikt était la seule à savoir qu’il viendrait.

Pendant la deuxième moitié du voyage vers Lusitania, ils firent donc le trajet à quatre dans le vaisseau de Miro : Valentine, Miro, Jakt et Plikt. Du moins, c’est ce que Valentine avait cru, au début. Ce ne fut que le troisième jour après le rendez-vous qu’elle apprit l’existence du cinquième passager qui ne les avait jamais quittés.

Ce jour-là, comme toujours, ils s’étaient réunis tous les quatre sur la passerelle. Il n’y avait pas d’autre endroit possible. Ils étaient sur un cargo : à part la passerelle et les couchettes, il n’y avait qu’une minuscule cuisine et des toilettes. Toute la place disponible était destinée à la cargaison, pas à des humains – pas dans des conditions de confort normales.

Toutefois, Valentine ne regrettait pas cette atteinte à sa solitude. Elle réduisait à présent la cadence de production de ses essais subversifs : elle avait l’impression qu’il était plus important d’apprendre à connaître Miro et, à travers lui, Lusitania, ses habitants, les pequeninos et, tout particulièrement, la famille de Miro – car Ender avait épousé Novinha, la mère de Miro. C’était le genre de renseignement que Valentine excellait à glaner – elle ne pouvait pas avoir été historienne et biographe si longtemps sans avoir appris à tirer d’un minimum d’indices le maximum d’informations.

Elle avait découvert un sujet de choix en la personne de Miro lui-même. Il était amer, irrité, frustré et plein de haine envers son corps mutilé, mais tout cela était compréhensible – son infortune ne datait que de quelques mois et il était encore en train d’essayer de se redéfinir. Valentine ne se faisait pas de souci pour l’avenir de Miro – elle voyait bien qu’il était plein de volonté, qu’il n’était pas le genre d’homme à se laisser facilement abattre. Il s’adapterait et s’épanouirait.

Valentine s’intéressait surtout à la manière dont il pensait. C’était comme si les limitations de son corps avaient libéré son esprit. Lorsqu’il avait été blessé, il avait d’abord été presque totalement paralysé. Ne pouvant plus bouger, il ne lui restait qu’à penser. Bien sûr, il avait passé le plus clair de son temps à déplorer ses handicaps, ses erreurs, l’avenir qu’il ne pourrait plus avoir. Mais il avait aussi passé de nombreuses heures à songer aux problèmes auxquels les gens actifs ne pensent presque jamais. Et c’était ce que Valentine tentait de tirer de lui en ce troisième jour passé avec lui.

— La plupart des gens n’y pensent pas sérieusement, dit Valentine, mais vous, si.

— J’y pense, mais ça ne veut pas dire que je sache quoi que ce soit, dit Miro.

Elle s’était finalement accoutumée à sa voix, même si son débit était à l’occasion d’une lenteur affolante. Il fallait parfois faire vraiment des efforts pour ne pas montrer de signes d’inattention.

— La nature de l’univers, dit Jakt.

— Les sources de la vie, dit Valentine. Vous avez dit que vous aviez pensé à ce que signifiait le fait d’être en vie, et je veux savoir à quoi vous avez pensé au juste.

— Je me suis demandé comment fonctionne l’univers et pourquoi nous y sommes tous, dit Miro en riant. C’est dément, non ?

— Je suis resté coincé tout seul au milieu de la banquise dans un bateau de pêche pendant deux semaines, en plein blizzard et sans chauffage, dit Jakt. Je ne crois pas que vous puissiez trouver quelque chose qui puisse encore m’épater, moi.

Valentine sourit. Jack n’était pas un intellectuel, et sa philosophie se résumait généralement à maintenir la cohésion dans son équipage et à prendre beaucoup de poisson. Mais il savait que Valentine voulait faire sortir Miro de son silence. Aussi contribuait-il à mettre le jeune homme à l’aise en lui faisant savoir qu’il l’avait pris au sérieux.

Et il était important que ce soit Jakt qui le fasse, car Valentine, tout comme Jakt, avait vu à quel point Miro observait son mari. Jakt était peut-être vieux, mais ses bras, ses jambes et son dos étaient encore ceux d’un pêcheur, et la souplesse de son corps était manifeste dans ses moindres mouvements. Miro y avait même fait, indirectement, une allusion élogieuse :

— Vous êtes bâti comme un homme de vingt ans.

Valentine avait deviné le corollaire ironique que Miro devait avoir eu à l’esprit : et moi, qui suis jeune, j’ai le corps d’un vieillard arthritique de quatre-vingt-dix ans. Jakt signifiait donc quelque chose pour Miro – il représentait l’avenir que Miro ne pourrait jamais avoir. Admiration et ressentiment : Miro aurait eu du mal à parler ouvertement devant Jakt si celui-ci n’avait pas pris soin de ne prodiguer à Miro que des marques de respect et d’intérêt.

Plikt, bien sûr, restait à sa place, ne disant mot, repliée sur elle-même, effectivement invisible.

— Allons-y, dit Miro. Des spéculations sur la nature de la réalité et de l’âme.

— S’agit-il de théologie ou de métaphysique ? demanda Valentine.

— De métaphysique, essentiellement, dit Miro. Et de physique. Je ne suis spécialiste ni de l’une ni de l’autre, et ce n’est pas le genre d’histoires vécues que vous me demandiez tantôt.

— Je ne sais pas toujours ce que je veux des gens.

— Très bien, dit Miro.

Il reprit deux fois sa respiration, comme s’il essayait de trouver par où commencer, puis dit :

— Vous avez entendu parler du couplage philotique ?

— Je sais ce que tout le monde sait, dit Valentine. Et je sais qu’en deux mille cinq cents ans on n’a abouti à rien avec parce qu’on ne peut pas faire d’expériences dessus.

C’était une vieille découverte, qui datait du temps où les savants tentaient désespérément de rattraper la technologie. Les jeunes étudiants en physique apprenaient par cœur des formules comme : « Les philotes sont les éléments constitutifs de toute matière et énergie. Les philotes n’ont ni masse ni inertie. On ne connaît des philotes que l’emplacement, la durée et la connexion. » Et tout le monde savait que c’étaient les connexions philotiques – l’entrelacement des rayons philotiques – qui faisaient fonctionner les ansibles, permettant ainsi une communication instantanée entre planètes et vaisseaux interstellaires à des années-lumière de distance. Mais personne ne savait pourquoi ça marchait, et, comme il était impossible de « manipuler » les philotes, il était presque impossible de faire des expériences sur eux. On ne pouvait que les observer, et encore, uniquement au travers de leurs connexions.