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Et Miro, Grego, Quara, Ela, Olhado : ne sont-ils pas mes enfants aussi ? Ne puis-je aussi prétendre avoir contribué à leur création, même s’ils furent issus de l’amour de Libo et du corps de Novinha bien avant que je débarque ici ?

La nuit était totale lorsqu’il retrouva la jeune Val, bien qu’il ne pût comprendre pourquoi il la cherchait. Elle était chez Olhado, avec Plikt, mais tandis que Plikt s’appuyait contre un mur obscurci, avec un regard indéchiffrable, Val était au milieu des enfants d’Olhado et jouait avec eux.

Evidemment qu’elle joue avec eux, songea Ender. C’est encore une enfant, malgré toute l’expérience que mes souvenirs ont pu lui transmettre.

Mais tandis qu’il les regardait, immobile sur le seuil, il se rendit compte qu’elle ne jouait pas vraiment avec tous les enfants. C’était Nimbo qui retenait son attention.

Le garçon qui s’était brûlé, au propre et au figuré, la nuit de l’émeute. Le jeu auquel jouaient les enfants était relativement simple, mais il les empêchait de se parler. Et pourtant, il y avait entre Val et Nimbo une éloquente communication. Le sourire de Val rayonnait d’une chaleur qui n’était pas celle d’une femme qui encourage un amant, mais plutôt celle qu’une sœur donne à un frère dans un message silencieux d’amour et de confiance.

Elle est en train de le guérir, songea Ender. Tout comme Valentine m’a guéri, il y a bien longtemps. Pas avec des mots. Avec sa seule présence.

Se pourrait-il que je l’aie créée en lui conservant ce talent intact ? Y avait-il autant de vérité et de force dans ma vision de sa personne ? Alors peut-être que Peter aussi a en lui tout ce qu’a eu mon vrai frère – tout ce qui était dangereux et épouvantable, mais aussi tout ce qui a créé un ordre nouveau.

Il avait beau essayer, il n’arrivait pas à le croire. Val savait peut-être guérir d’un regard, mais Peter n’avait rien de tel en lui. C’était le visage qu’Ender, bien des années auparavant, avait vu dans un miroir du Fantasy Game, dans un salon des horreurs où il était mort cent fois avant de pouvoir finalement assimiler la personnalité de Peter et poursuivre la partie.

J’ai pris sa personnalité et j’ai détruit toute une race. Je l’ai assimilé pour commettre le xénocide. Depuis tout ce temps, je croyais que je l’avais évacué de mon esprit. Qu’il était parti. Mais il ne m’abandonnera jamais.

L’idée de se retirer du monde et de rejoindre l’ordre des Enfants de l’Esprit du Christ avait de quoi le séduire. Peut-être qu’en ce lieu Novinha et lui pourraient ensemble se débarrasser des démons qui les habitaient depuis si longtemps. Novinha n’avait jamais été si reposée que ce soir-là.

Val s’aperçut de la présence d’Ender et s’approcha de lui.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? dit-elle.

— Je te cherchais.

— Plikt et moi-même passons la nuit chez Olhado.

Elle coula un regard en direction de Nimbo et sourit.

Sans réfléchir, le gamin lui sourit de toutes ses dents.

— Jane dit que tu pars avec le vaisseau, dit doucement Ender.

— Si Peter peut contenir Jane en lui-même, alors moi aussi. Miro part avec moi. À la recherche de planètes habitables.

— Seulement si tu le veux, dit Ender.

— Sois sérieux, dit-elle. Depuis quand ne fais-tu que ce que tu veux ? Je ferai ce qu’il faut faire et que je suis la seule à pouvoir faire.

Il acquiesça silencieusement.

— C’est tout ce que tu voulais ? demanda-t-elle.

— Je crois, dit-il avec un nouveau hochement de tête.

— Ou alors es-tu venu parce que tu voudrais être l’enfant que tu étais la dernière fois que tu as vu une fille avec ce visage-ci ?

Paroles blessantes – au-delà de ce que Peter lui avait infligé en lisant dans son cœur. La compassion de Val était plus douloureuse que le mépris de Peter.

Elle avait dû voir son expression peinée, et la comprendre de travers. Il était soulagé de voir qu’elle pouvait se méprendre. Il me reste encore un peu d’intimité, alors.

— Tu as honte de moi ? demanda-t-elle.

— Je suis gêné, dit-il, de voir mon inconscient dans le domaine public. Mais je n’ai pas honte. Pas de toi.

Il regarda Nimbo, puis se retourna vers elle.

— Reste ici et termine ce que tu as commencé.

— C’est un brave garçon, dit-elle avec un mince sourire. Il avait cru faire quelque chose de bien.

— Oui, dit Ender. Mais ça lui a complètement échappé.

— Il ne savait pas ce qu’il faisait, dit-elle. Comment peut-on vous reprocher vos actes quand vous n’en comprenez pas les conséquences ?

Il savait qu’elle parlait tout autant de lui, Ender le Xénocide, que de Nimbo.

— On ne subit pas les reproches, répondit-il. Mais on conserve la responsabilité de ses actes. Pour guérir les blessures qu’on a infligées.

— Oui, dit-elle. Les blessures que tu as infligées. Mais pas toutes les blessures du monde.

— Oh ? demanda-t-il. Et pourquoi pas ? Parce que tu as l’intention de toutes les guérir toi-même ?

Elle rit d’un rire léger d’adolescente.

— Tu n’as pas changé, Andrew, dit-elle. Depuis tout ce temps.

Il lui sourit, l’étreignit doucement et la renvoya dans la lumière de la pièce. Il se retourna vers le ciel nocturne et rentra chez lui. Il y avait assez de clarté stellaire pour qu’il retrouve son chemin, mais il trébucha et se perdit plusieurs fois.

— Tu pleures, lui dit Jane à l’oreille.

— C’est un si beau jour de bonheur !

— C’est vrai, tu sais. Tu dois être le seul à t’apitoyer sur toi ce soir.

— Très bien, dit Ender. Si je suis le seul, alors il y en a au moins un.

— Et moi, alors ? Je ne suis rien pour toi ? En plus, notre relation a toujours été chaste.

— La chasteté, j’en ai eu plus qu’assez dans ma vie, rétorqua-t-il. Je n’en redemandais pas.

— Tout le monde finit par être chaste. Tout le monde finit par se mettre hors d’atteinte de tous les péchés mortels.

— Mais je ne suis pas mort. Pas encore. C’est vrai, non ?

— Tu as l’impression d’être au ciel ? demanda-t-elle.

Il rit sans conviction.

— Alors tu ne peux pas être mort.

— Tu oublies une chose, dit-il. Ça pourrait très bien être l’enfer.

— Vraiment ? demanda-t-elle.

Il songea à tout ce qui avait été accompli. Les virus d’Ela. La guérison de Miro. La relation de sympathie entre Val et Nimbo. Le sourire de la paix sur le visage de Novinha. Les pequeninos en liesse tandis que leur liberté se répandait sur leur planète. Il savait que le virocide se diffusait en spirale dans la prairie de capim qui entourait la colonie ; il devait déjà avoir atteint d’autres forêts. Impuissante, la descolada cédait la place à la muette et passive recolada. Rien de tout cela ne pouvait se passer en enfer.

— Je crois que je suis encore vivant, dit-il.

— Et moi aussi, dit-elle. Ce n’est pas rien. Peter et Val ne sont pas les seuls à avoir jailli de ton esprit.

— C’est vrai, dit-il.

— Mais nous sommes tous les deux vivants, même si nous avons devant nous des temps difficiles.

Il se rappela ce qui attendait Jane, la mutilation mentale qui surviendrait dans quelques semaines seulement, et il eut honte d’avoir déploré ses propres malheurs.