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La réponse est glacée comme une stalactite qui se détache d’une banquise.

— Non ! La fausse Patricia était seule avec Simon Cutepley et le secrétaire de celui-ci. Je n’ai pas quitté son verre du regard, et, de plus, il y avait du rouge à lèvres sur la paroi du récipient. Je suis formel !

— En ce cas, excusez-moi. Il vous paraît donc possible que l’Hyène prenne les apparences d’une pin-up au point d’abuser son entourage ?

— Je ne me pose pas la question puisque cela EST, San-Antonio.

— Merci, monsieur le directeur. À bientôt.

Je raccroche avant qu’il ait eu le temps de me placer son couplet trémolesque sur la persévérance toujours récompensée, sur les jours qui se suivent et ne se ressemblent pas, et sur patience et longueur de temps, lesquels font mieux, vous ne l’ignorez point, que force ni que rage.

Le Mahousse a déjà débarrassé sa choucroutée. Il s’arrache des petits serpentins jaunes des ratiches qu’il regobe aimablement.

— J’ai continué de penser, m’assure-t-il.

— Pendant dix minutes consécutives ! m’écrié-je. Ça revient à dire que tu as battu ton record.

— Débloque pas, Mec. C’est pas le moment !

Se faire rabrouer par son inférieur hiérarchique, c’est un comble, hein ?

Le Magistral est en verve.

— Attardons-nous pas sur le fait de savoir comment s’y prend l’Hyène pour se glisser dans la peau des autres. Admettons qu’elle soye aussi fortiche que Fantômas…

— C’est cela, admettons, me résigné-je.

— Occupons-nous pas, non plus, de savoir si c’est un homme ou une gonzesse.

— C’est cela : me nous occupons pas !

— Mais retenons un fait primordial, Gars !

— C’est cela : retenons !

Il s’emporte :

— Décidément t’es le roi de la déconnanche, y a pas mèche de pousser sa gamberge jusqu’à sept mille tours avec tézigue !

— Pardonne, ô valeureux penseur, toi dont le cervelet supporte les plus hautes températures de l’esprit ; pardonne et poursuis !

Il se ramone les muqueuses, se penche hors du lit où il gît toujours, cachalot échoué sur un rivage de satin, et ramasse les reliefs de choucroute qu’il expulsa afin de se rendre audible au Vieux. C’est en les réintégrant qu’il profère ces paroles lourdes d’importance :

— D’après ce qu’a été défini, l’Hyène se propage toujours dans un coin où il va se passer quelque chose, non ?

— En effet.

— Conclusion, puisque sa présence dans l’hôtel a été démontrée par le Boss, c’est qu’il va se passer quelque chose !

Pas farineux comme raisonnement, hein ? Sa matière grise fait plus la colle que le caviar, à Béru, mais pardon ! il en sort du positif à l’occasion.

Je le considère avec un sérieux qui l’intimide.

— Tu ne penses pas, San-A. ?

— Attends ! À la faveur de ta démonstration, je réalise une chose : c’est qu’en fait IL S’EST PASSE QUELQUE CHOSE ! Miss Patricia Sam-Hart, la nièce d’un ambassadeur américain, est morte !

Il siffle, ce qui projette un morceau de peau de saucisse contre la soie de l’abat-jour.

— Tu tiens quéque chose, mon pote, tu tiens quéque chose !

— Quelque chose de bien fragile, lamenté-je.

— Tu trouves ?

— Pff ! Rocambolesque ! Il faudrait imaginer que l’Hyène voulait faire assassiner Patricia. Pour cela elle aurait pris ses apparences, se serait intentionnellement fait repérer par le Vieux, aurait su que les polices occidentales avaient décidé sa mise à mort pure et simple, et que… Non, trop compliqué, trop subtil…

Tout en bavassant, je me suis loqué. Je porte un bath complet crème, une chemise bleu clair avec une cravate bleu foncé et des souliers de daim made in Ritalerie.

— T’es bien bathouze, mon pote, admire mon compagnon. Pour qui t’est-ce que tu te loques façon mylord ?

— Pour une petite négresse, Gros.

— Oh, oui, la femme de chambre de Patricia Sam-Hart, celle à qui t’a fait le coup du rapprochement des peuples cette noye ?

— Yes, monsieur. C’est bien le diable si elle n’est pas au courant de cette affaire de substitution. Car enfin, elle est au service de Patricia. Il serait intéressant de savoir où se trouvait la vraie Patricia pendant que la fausse tortillait du popotin ici !

CHAPITRE IV

— Miss Katy Ferguson occupe une chambre du dernier étage, monsieur le commissaire, m’apprend le préposé auquel je viens d’exhiber ma carte (non postale, mais illustrée) ; seulement elle est sortie, ajoute-t-il en me montrant une clé au tableau.

— Il y a longtemps ?

— Je ne saurais vous le dire…

— Cette nuit, l’a-t-on prévenue que sa maîtresse avait… ?

— Avait eu un accident ? se hâte-t-il d’achever.

— Oui.

— Je l’ignore, je n’étais pas de service. On peut demander à mon collègue de nuit…

— C’est cela, demandez. Et essayez de savoir, par les garçons d’étage, à quelle heure elle est sortie. Une jolie Noire, que diable, ça ne passe pas plus inaperçu qu’une mouche dans une tasse de lait !

Pendant que l’intéressé tâche de se rendre intéressant, justement, nous nous abattons, le Gros et moi, dans les moelleux fauteuils du hall. J’attrape un journal, le journal du soir qui vient de sortir, puisqu’il est déjà onze heures du matin. Naturellement, c’est à la une, avec photo et manchette sur trois colonnes : « Une jeune milliardaire américaine se suicide à son hôtel en rentrant du Festival. » Suit un brouet classique… Des clichés, des métaphores… Patricia Sam-Hart, l’héritière du roi de la chaussette-en-tube ; nièce de l’ambassadeur en Boulimie ; une des reines du Festival. Elle avait assisté à la projection de « Fume, c’est du Belge  » et avait acclamé le film. Après la séance, elle avait assisté, en compagnie de Simon Cutepley, au petit raout offert par la production. Elle semblait en verve, avait beaucoup bu… Trop, car l’alcool avait sur elle des effets désastreux. Lorsqu’il lui arrivait de s’enivrer, elle devenait acerbe, sombre, emportée. Elle avait quitté la fête sans dire au revoir et était rentrée directement à son hôtel. Elle avait demandé qu’on ne la dérange pas, alléguant que la vie lui était insupportable… Et puis, un instant plus tard, comme l’écrit si joliment le reporter : « … C’était le drame ; dans un accès de dépression, la malheureuse enjambait la balustrade de son balcon. » Sa femme de chambre, interrogée par la police, devait confirmer que Patricia Sam-Hart ne supportait pas l’alcool, et que…

— Monsieur le commissaire, s’il vous plaît…

Je jette le canard. Un type est là, avec des yeux de batracien, gonflés de sommeil.

— Vous vouliez savoir si on a prévenu la jeune Noire ? Oui, immédiatement après le drame, l’inspecteur du commissariat a demandé à lui parler et je l’ai moi-même appelée par téléphone…

— Ensuite ?

— On lui a appris le drame. Elle a beaucoup pleuré. L’inspecteur l’a longuement interrogée dans le petit salon.

— Et après ?

— Après, elle est remontée dans sa chambre.

— Vous ne savez pas quand elle est repartie ?

— Très tôt, il devait être sept heures ce matin. Elle m’a remis sa clé en me disant qu’elle venait de recevoir une convocation de la police, et elle m’a demandé le chemin du commissariat.

— Ah bon, fais-je, soulagé. Je vous remercie.

Comme je sais vivre, bien qu’étant flic, je lui glisse un sacotin dans le creux de la pogne.