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Comme j’ai de l’ordre, je recommande son âme à Dieu et je m’esbigne sans attendre de reçu.

J’atteins la lourde, je l’open menu et mon œil que l’on pourrait, sans crainte de tomber dans la convention, qualifier d’exercé s’insinue pour mater les pourtours et les alentours, y compris les abords et les environs. Je m’attends à découvrir un couloir de clinique, mais pas du tout. Une vaste étendue scintillante se présente à moi. Ça mesure au moins cent mètres de long sur cinquante de large et ça miroite à la lumière bleutée d’une immense rivière. Je sors de ma chambre, et c’est pour découvrir une alignée de portes semblables à la mienne. Tout est pénombreux, silencieux à l’extrême. Je relourde pour aller ouvrir la porte suivante. Elle donne sur un vestiaire comportant des tas de placards en fer. Je vais inventorier lesdits placards, tous sont vides, ce qui ne laisse pas que de m’atterrer vu que, vous l’avez peut-être oublié, je ne suis toujours vêtu que d’une veste de pyjama. C’est marrant d’avoir les clochettes qui dreling-drelinguent, mais dans la rue ça fait trop désordre. Si je ne me dégauchis pas d’urgence quelque chose ressemblant de près et de loin à un pantalon, je risque d’être alpagué pour attentat aux bonnes nurses suisses.

Toutes les portes donnent sur des vestiaires. Des vestiaires actuellement sans vêtements. Je finis par réaliser que je me trouve dans un skating. Cette grande étendue brillante, c’est de la glace, mes frères.

Je viens d’explorer, sans résultat, trois locaux déserts et je parviens à la limite d’un étroit couloir au fond duquel brille une lumière.

Je tends l’oreille : silence. Je perçois, affolant dans l’épais silence, le plop-plop-plop d’un robinet qui saigne du nez. Rien d’autre. En trottant menu, je bombe jusqu’à la pièce éclairée. Il s’agit d’un bureau pimpant et formiqueux, aux meubles Scandinaves, lequel comporte un petit compartiment servant de salle d’eau. Personne. Je me jette sur un grand meuble muni de portes coulissantes, avec, soudain, la certitude que je vais y dénicher des fringues. Est-ce la lumière qui me rend optimiste parce qu’elle donne tout de suite à ce local un air habité, une chaleur humaine ?

Je tire sur la poignée chromée. Effectivement, un survêtement bleu est accroché à un cintre. Je sais que vous ne me croirez pas si je vous donne ma parabole d’honneur qu’il est pile à ma taille, et pourtant, c’est la vérité, mes cailles. Je l’aurais acheté chez Oscar, boulevard de Champigny, qu’il ne m’irait pas mieux. C’est au point que je pourrais le passer pour me rendre à une réception à l’Élysée. Je le mets en un tournemain. Ouf ! C’est bon, lorsqu’on est debout — et, qui pis est, dans une patinoire —, de se claquemurer Coquette. Ma jambe traîne un peu, ça ronfle pas mal dans ma poitrine et j’ai une boulimie vachement excessive, mais dans l’ensemble, le mec est d’attaque. Sur le bureau se trouve une trousse médicale. Je l’explore et, à tout hasard, pique une lancette acérée.

Et maintenant, que vais-je faire ?

Un manteau de dame, à col de renard rouge, gît sur un dossier de chaise. Un sac à main repose sur la doublure. Je visite, avec cette belle impudeur qui scandalise tant les chaisières, le réticule[14], et j’y découvre un permis de conduire suisse au nom d’Hélène Bellemôte, demeurant rue des Petits-Français[15] à Môtier-Vully. J’enfouille le faf presto, de même que les quelque cinquante francs suisses qu’il contient. Des esprits chagrins objecteront qu’il n’y a généralement pas de poches dans un survêtement, ce à quoi je leur répondrai, avec le maximum de simplicité, que le mien en comporte, vu ?

Aussi prierai-je les sceptiques, les moustiques, les frénétiques, les bourriques, les pudiques, les druidiques, les anémiques, les arythmiques, les tombeurs-en-digue-digue et leur clique, de ne pas toujours m’objecter, de ne plus m’asticoter et de s’abstenir de me massicoter !

Si je fais un nouveau point (il faut le faire souvent, très souvent lorsqu’on navigue en plein brouillard) j’ajoute à mon résumé précédent les indications suivantes : on m’a évacué de la clinique pour me mener dans un palais de glace provisoirement fermé ; on m’a médicamenté fortement de manière que je vive trois jours en léthargie, et à la fin du troisième jour, une demoiselle Bellemôte avait à charge de me liquider à l’aide d’une piqûre de perlimpinpin. Insensé ! On continue de virevolter dans la dinguerie la plus totale. Est-ce que je me goure ? Que nenni ! Lorsque Béru est venu me voir, je me trouvais bel et bien dans une clinique, sinon le Gros s’en serait aperçu. Il est moins fufute qu’un pot de crème à raser, mais par lavedu pourtant au point de confondre un skating avec un hôpital. Donc on m’a piloté ici pour me supprimer. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait tout de suite ? Autre mystère… Ce sursis de trois jours me trouble plus encore que le reste. Attendrait-on un événement qui devait se produire alors que je me trouvais encore en vie ?

De toute manière, la lumière ne va pas tarder à jaillir, les gars. On va faire flamber les calbombes en grand ; je veux des illuminations de toute beauté, mes poules. Un vache flamboiement ! La vérité écrite au néon, en rouge vif, soulignée trois fois en jaune intense. Ah, merde pour les points d’interrogation qui nous ont fait tant de mal.

Cette fois, je vais arquer sur du solide. Finie, la banquise branlante. Le bon sol, façon beauceronne, je veux. Les gras alpages, les verts pâturages sous mes paturons. À qui appartient ce skating ? Le proprio, faut que j’aille le voir, que je fasse « chmolitz » avec lui, histoire de le tutoyer à poings fermés. Et aussi la nana qui s’est autopiquée. Et la clinique où j’étais primitivement et où un toubib m’a réputé cassé alors que j’étais entier et m’a plâtré alors que je pouvais faire le triple saut périlleux, sans péril.

Du solide ! Et j’aurai le concours des matuches suisses. La participation de l’armée. Les Suissagas, leurs flics, c’est loin d’être des crêpes. Méthodes modernes, laboratoire de first quality. Du chou, de l’obstination. Pas de fantaisistes comme chez nous ! Je remuerai le parlement fédéral si besoin. J’alerterai le colonel Musy. Un service (de renseignements) en vaut un autre ! On va étriller ce pot de goudron, bouter les mystères, les accrocher à nos lanternes enfin éclairées en chantant le « Ça va aller ».

Je cherche des lattes, il me manque plus qu’une quelconque paire de savates pour pouvoir sortir en ville. À travers les vitres dépolies du bureau, je vois qu’il fait nuit noire, dehors. Évidemment, la nuit est toujours dehors, de même que la neige, le vent, la pluie ou le soleil. Chez de grands écrivains, vous lisez des vachement doctorales phrases telles que : « La tempête faisait rage dehors », ou bien : « Dehors, le soleil balayait les ombres. » Pour eux, il existe vraiment un dedans ! Illuses, mes fils. Dedans, c’est une vue de l’esprit, une protection précaire que la nature tolère, comme la Chine rouge tolère Hong-Kong. Mais je vais vous le dire une bonne fois : il n’y a pas de dedans, à part nos âmes. Et encore sont-elles, elles aussi, une tolérance du dehors. Oh, puis classe ! Je vais pas vous casser les roustons à chaque coin de paragraphe. Vous diriez qu’il pontifie, San-A. Qu’il se prend pour un philosophe patenté ! J’ai beau farfouiller : pas de targettes, pas de chaussons, pas la plus humble paire de pataugas. Il s’en ira donc nu-pieds sur les routes helvétiques, le commissaire. Comme un bourgeois recalé !

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14

Car je n’ai pas peur que le réticule tue.

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15

Les petits-français sont des fromages frais, enveloppés dans du papier, et très appréciés en Suisse où on les consomme généralement avec de la crème fraîche, du sucre en poudre et une cuiller à dessert.