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En voilà une, sa mort n’a été que le commencement d’une aventure riche en péripéties. On la noie dans une piscine de Cap-d’Antibes après l’avoir revêtue d’un maillot de bain. Et puis on lui kidnappe la dépouille, et voilà que je la retrouve tout habillée sous la glace d’une patinoire suisse ! Mais c’est abasourdissant, cette histoire ! Si je continue d’accumuler les invraisemblances, vous finirez par mettre ma véracité en doute ; et ça, je ne le veux pas ! À aucun prix. Prenez-moi pour ce que vous voudrez, mais surtout pas pour un bluffeur, je pourrais pas le supporter. Quand le doute s’infiltre, c’est la chute des relations, mes gaillards. Le début de la décadence. Où irions-nous si on chiquait les sceptiques ?

Une supposition, que, lorsque je vous rencontre et que, vous ayant demandé si ça va, vous me dites, « très bien merci », j’aie des doutes, hein ? Imaginez qu’au lieu de vous croire, je me laisse aller à des incertitudes, à des méfiances tortueuses ? Que j’exige qu’on vous fasse une prise de sang, une analyse d’urine, qu’on vous potasse le cholestérol, qu’on vous ausculte, qu’on vous radiographie ? Ce serait vite électrique, nos relations, je pense ?

En conclusion, si je vous dis que c’est la petite Katy qui joue la fée des glaces, vous pouvez remiser cette affirmation dans le tiroir des faits positifs. On ne joue pas les Cinq Sous de Lazareff.

Maintenant, je quitte enfin ce skating de cauchemar, cette nécropole angoissante pour retrouver l’air pur de la nuit. Je me trouve au fond d’une vaste esplanade. Un jardin public silencieux et désert, où deux statues se silhouettent dans le clair de lune, s’étend entre l’igloo et la route brillamment éclairée.

J’aperçois une bagnole rangée devant le perron de l’établissement et je ne doute pas un instant qu’il ne s’agisse du véhicule de mon agresseur. C’est une petite Triumph Spitfire rouge. Les clés sont au tableau. Je m’installe au volant et je démarre, ivre de joie, de vie retrouvée, de planche de salut, et de fatigue aussi.

Je contourne le jardin et rejoins la grand-route. Je reconnais le stand d’un marchand d’autos.

Devant moi, le lac de Neuchâtel miroite entre les jeunes pousses des arbres en train de se rhabiller. Je vire à gauche et, en moins de rien, même pas, me revoilà à Saint-Biaise, ne vous en déplaise. Les façades obscures me laissent à penser qu’il est tard. J’ai omis de regarder l’heure à la montre du mort. Quand un zig est viande froide, on ne peut pas croire que quelque chose puisse encore vivre, sur lui, fût-ce le tic-tac d’une tocante. L’enseigne du Boccalino est éteinte. Je stoppe néanmoins devant le restaurant et je tabasse la porte avec d’autant plus d’énergie que des senteurs de parmesan continuent d’embaumer le secteur.

Au bout de quelques minutes, le sympathique visage du restaurateur se montre à une fenêtre du premier étage. Il était dans son premier sommeil, et il a le regard en code.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est moi qui ai eu un accident l’autre jour, patron ! fais-je. L’ami du gros lard qui a mis votre cuisine à sac.

— C’est pas possible ! Je vous croyais grièvement blessé ?

— Erreur de diagnostic, éludé-je, je m’excuse de vous importuner, mais il est indispensable que je vous parle.

— Un instant, fait-il.

J’attends avec confiance. Je me pose une nouvelle série de questions épineuses, les enfants. Je me demande si je vais bouffer de la viande ou de la charcutaille pour commencer, et si le patron acceptera de me faire réchauffer quelques restes de lasagne. Je me déglingue à toute pompe. Mes pauvres jambes sont en ouate et la faim qui me tenaille me donne l’impression d’être un vieux saule évidé. Y me reste plus que l’écorce, mes biches.

Une lumière, en bas. La porte s’ouvre. Dans sa robe de chambre blanche, à parements bleus, le maître du Boccalino ressemble à un champion de boxe.

Cette ressemblance est tellement frappante, qu’il me place un crochet à la mâchoire en cartilages pur fruit. Je m’abats à ses pieds, pas inconscient tout à fait, mais groggy au point de ne plus me rappeler si le traité d’Utrecht fut signé en 1713 ou en 3171.

— Ah non ! pas à moi, mon ami ! dit l’aubergiste en me shootant dans la main gauche.

La douleur m’éclabousse. J’ai envie de poser mon estomac sur le trottoir et de le retourner pour vérifier ce qu’il contient. Je ne sens plus ma pogne. Je regarde à terre, et je pige tout. À demi dans les vapes comme je me trouvais, je n’avais pas lâché le revolver du Hollandais. Tante et scie bien que le brave hôtelier a cru que je l’agressais.

Il me relève en m’empoignant par le colbak.

Rappelez-vous qu’il est pas dévitaminé le monsieur. Il m’examine à la lumière et a un sourcillement.

— Mais, en effet, c’est vous, murmure-t-il. Avec votre barbe…

Les gestes les plus élémentaires, on les oublie quelquefois. Si je vous disais que, depuis ma reprise de conscience au skating, je n’ai pas encore palpé mes joues. Trois jours de non-rasage, ça vous étoffe le piège. Hirsute, dans un survêtement, les pieds nus dans des souliers trop larges, un pétard à la main, je devais pas ressembler à l’ambassadeur de France à Berne.

— J’ai eu de très gros ennuis, monsieur Facchinetti, dis-je avec le coin de la bouche car il m’a fait éclater une lèvre. Si vous n’avez pas confiance, appelez la police, mais de grâce, laissez-moi entrer et servez-moi n’importe quoi à manger, voilà plus de trois jours que ma boîte à ragoût affiche relâche pour répétitions.

Il ramasse mon revolver, le glisse dans sa belle robe de chambre.

— Venez me raconter vos malheurs, décide-t-il.

Dans le restaurant vide et bien rangé, la fontaine lumineuse est au repos.

— Mon nom est San-Antonio, attaqué-je, et je suis commissaire spécial. On a essayé de me neutraliser, il n’est point temps encore de vous révéler où et comment, mais je dois agir promptement.

J’ai la main gauche toute bleue. Il est ennuyé, mon hôte. Ancien international de football, vous pensez, il a de beaux restes. Je trempe ma main douloureuse dans l’eau inerte de la vasque, tandis qu’il débouche une bouteille de chianti.

— Une assiette de jambon de Parme, pour commencer, avec des cornichons ? propose-t-il.

— Ce que vous voudrez, pourvu que ça se mange, réponds-je.

Je vide deux grands godets de vin, ce qui m’enveloppe positivement la cervelle dans une serviette chaude.

— Vous permettez que je téléphone ?

— Tout ce que vous voudrez. Ne m’en veuillez pas pour mon accueil, mais pas très loin d’ici il y a un pénitencier d’où les détenus s’évadent quelquefois…

Je lui dis, en caressant ma lèvre enflée, que je ne lui en veux pas le moins du monde, que c’était la moindre des choses et que tout le plaisir a été pour moi.

Je grelotte le Vieux à son domicile dont j’ai le numéro. Un numéro très particulier, mais que je m’abstiendrai de publier ici car je sais des salingues tourmenteurs qui s’amuseraient à réveiller le Tondu en pleine noye pour lui demander s’il aurait pas la clé du champ de tir dans le tiroir de sa cravate.