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— J’ai… très… mal… Blessé…

Un temps. Un long temps. J’ai de la pudeur, moi, vous me connaissez ? Questionner un agonisant, c’est pas honnête.

La voix du vieillard reprend…

— M’ont… endormi… de force… Et vous ?

Moi ? Moi, je suis un c… ! Voilà ! J’ai commis une des plus grosses erreurs d’aiguillage de ma brillante carrière. Au lieu de foncer en Suisse, fallait que je reste attaché à la personne de Cutepley. J’ai sauté sur la piste Chemugle, parce que c’était une piste du premier degré, une piste de flic routinier. Un cadavre dans une villa ! La villa louée par qui. M. Chemugle ? Vite, rencontrer M. Chemugle ! D’accord, fallait le faire, mais ne pas partir du lieu de travail de l’Hyène. Elle marnait à Cannes et à Antibes ? Fallait demeurer là-bas, eh, patate !

Dans mon auto-rage, je fais une confession publique (en petit comité toutefois) à Cutepley. Je lui raconte Patricia, l’erreur de mon vieux, la négresse dans la piscine, le voyage, mon accident, mes fausses blessures, le skating, la doctoresse…

Je lui dis tout, animé d’un intense besoin de m’humilier, de me flageller, de me meaculper.

Entend-il, seulement, ce pauvre débris ? Tantouse exténuée, réduite, détruite, finie ?

Oui, puisqu’il parvient à murmurer, rejoignant ainsi la déclaration du Boss :

— C’est le diable… Nous sommes perdus…

— Perdus, peut-être, mais nous serons vengés !

— Co… com… ment ?

— Deux de mes hommes sont venus ici. Ils ont découvert que l’accident avait été provoqué et se sont lancés sur une piste. Ce sont des policiers d’élite qui démasqueront l’Hyène !

Alors, mes amis, il se produit quelque chose de fantastique, d’inouï et, n’ayons pas peur des mots, d’ahurissant. Quelque chose qui fait chanceler la raison.

Simon Cutepley éclate de rire.

Il ne s’agit pas d’un rire fêlé ou chevroté, mais d’un gros rire copieux, sonore, vengeur.

— Bérurier et Pinaud, des policiers d’élite ! Mais vous délirez, mon cher !

Le vieillard se dresse. Ses liens qui n’étaient qu’entortillés à ses membres se déroulent comme des serpentins.

Je suis certain d’avoir les crins hérissés ! Dantesque comme vision ! Ce mourant qui prend vie et force. Cet entravé qui ne l’est plus. Ce vieillard qui devient jeune en trois mouvements : perruque arrachée, rides et blessures essuyées d’un revers de pochette. Le diable ! The king des diables !

J’ai devant moi un homme bien découplé, jeune, blond, au regard aigu, au nez aquilin.

— Mais que, mais qui, mais quoi, mais qu’est-ce ? lui dis-je, parce que, dans certaines circonstances, faut pas craindre de ne pas ressembler à un moulin à vent.

Il se masse les jointures.

— Puisque vous m’avez romantiquement appelé l’Hyène, jusqu’à présent, continuez !

Il va à la porte, cogne du poing et crie :

— Jo !

Des pas retentissent. On fourrage dans le cadenas.

— Pourquoi cette mascarade ? laissé-je glisser.

Il hausse les épaules.

— Je préfère toujours obtenir mes renseignements par la ruse plutôt que par la force.

— Vous ne pouviez pas les obtenir pendant que j’étais plâtré ?

— Nous vous avons fait parler pendant votre sommeil, cher commissaire. Mais depuis quelques heures vous vous êtes évadé et j’ignorais comment vous aviez mis à profit ce sursis. Lorsque nous avons découvert votre carnage de l’igloo, nous nous sommes lancés à vos trousses. C’est en nous rendant chez Hélène Bellemôte que nous avons eu la chance de…

Il se tait, car Chemugle et le dénommé Jo viennent d’entrer.

Chemugle semble très abattu.

— Alors, demande-t-il à l’Hyène, vous avez pu le faire parler ?

— Sans la moindre difficulté, ces Français sont tous des bavards, des hâbleurs qui ne demandent qu’à se raconter.

— C’est lui qui a tué Hélène ?

Le faux Cutepley claque des doigts à l’intention de son autre comparse. Ah, mes neveux, je ne suis pas au bout de mes surprises… Figurez-vous que Jo, l’Américain, prend dans sa poche une matraque noire, comme en ont les poulets à New York. Et tzaaoum ! il en file un coup abominable sur la nuque de Chemugle qui profite de l’occasion pour s’écrouler.

— Cet imbécile m’énervait avec ses questions, décide l’Hyène. Attache-le, Jo !

— Comment ! m’exclamé-je, il n’appartient pas à votre honorable établissement ?

Le jeune homme élégant me sourit.

— Je m’en voudrais d’engager des idiots de son espèce, riposte-t-il. Ce n’est qu’un pauvre pigeon qu’on menait par le bout du nez et auquel on faisait tout croire ! Un pantin dont Hélène se servait à sa guise en tirant les ficelles…

En attendant, les ficelles, le pantin en question les a autour des jambes et des poignets. Et c’est de la ligature solide, faites confiance à Jo, j’en sais quelque chose !

Lorsqu’il est saucissonné au point qu’un charcutier lyonnais l’accrocherait dans son étalage, l’Hyène et son comparse sortent. Mais avant de franchir le seuil, le diabolique personnage me lance.

— Adieu, San-Antonio ; vous allez sûrement avoir la Légion d’Honneur à titre posthume. Pensez-y, ça vous aidera à mourir, cocardier comme vous l’êtes !

CHAPITRE III

Toutes les pensées qui me tambourinent le citron, mes pauvres minets !

Pinaud, Béru… Il les a eus… Tués, bien sûr… Et moi ? Je ne reverrai plus ta rive douce et triste, France… Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? Ça vous aidera à mourir, vient-il de me dire… Je croyais, une praline dans la pomme d’escadrin, c’est tellement facile, expéditif. Faut croire qu’ils ont d’autres projets.

Je perçois un bruit d’eau contre les parois de la construction. Auraient-ils le culot de nous compisser avant de partir… Que non point. L’odeur qui me saute aux narines est éloquente. Essence. Compris. Nettoyage par le feu. Nous sommes dans un coin retiré du rivage. L’incendie passera inaperçu, et quand bien même il attirerait l’attention, nous serons grillés, Chemugle et moi, avant l’arrivée des secours. D’ailleurs, quels secours ? Se dérange-t-on en pleine nuit pour un hangar ? Être ligotés ainsi, c’est pas chrétien. Ou alors c’est sainte Blandine ! Sainte Blédine ! Les mains au dos… Liées serrées. Misère !

Ils ont apporté des jerrycans et ils aspergent tout le tour de la construction. On va avoir droit à un bath brasier. Ça me rappelle quand j’étais mouflet, à la campagne, dans un bled où, pour la Saint-Jean, on allumait des feux dans la campagne. On appelait ça « les ninières ». Toute la population se réunissait autour et les jeunes sautaient par-dessus les flammes. Ils cabriolaient en criant, franchissaient le brasier comme des démons, un bref instant illuminés, incendiés…

On voyait les feux des autres communes, à travers les collines. Ce que ça pouvait être chouette, ces embrasements à perte de vue, avec les cris, la joie qu’on savait autour…

Les traditions ! Est-ce un bien qu’elles se perdent ? Sans doute. C’est triste pour ceux qui les ont connues, mais il n’y a plus place en ce monde pour la poésie populaire. On est déjà trop nombreux. Tout va trop vite.

Je mate autour de moi. Chemugle est secoué d’un tremblement. Il se remet lentement de son coup de ronfionfion sur la calbasse. M’est avis que l’ami Jo l’a goupillonné de première.

Ne perds pas ton temps, San-Antonio ! Chaque seconde compte. Si je pouvais me libérer de ce pilier auquel je suis lié comme la chèvre de M. Seguin à son piquet ! Oh ! la bonne idée ! La chèvre de M. Seguin ! Qu’a-t-elle fait, la polissonne ? Elle a rongé son lien pour le trancher et s’est sauvée. Moi aussi, au lieu de ronger mon frein, je ferais mieux de ronger ma corde. Je rampe un peu afin de donner du mou à celle-ci et mes trente-deux quenottes entrent en scène pour le concert de musique de chanvre. À vrai dire, ce sont principalement les incisives qui sont à la peine. L’homme a la possibilité de concurrencer les rongeurs. C’est l’animal le plus complet de la création.