— Et l’autre équipe ?
— Une seconde égérie la dirigeait : Patricia Sam-Hart.
Le Dabe sursaute. Il a pâli. Et puis un beau sourire plein d’or miroite devant moi, comme un pâle rayon de soleil en hiver (oh, que je m’exprime délicatement !).
— Mais alors, San-A., cette exécution… à Cannes…
J’opine.
— Yes, Boss, j’ai défenestré une gredine, ce qui donne un peu d’oxygène à ma conscience. Patricia Sam-Hart avait forcé l’intimité de Simon Cutepley afin de préparer le terrain à l’Hyène qui devait se substituer au bonhomme, le moment venu. Grâce à Patricia, la chose a été rendue possible. Il a pu apprendre tous ses tics, tous ses goûts, ses habitudes, ses relations, ses inflexions. Elle enregistrait le Vieillard pour que l’Hyène pût apprendre sa voix. Lui fournissait des textes manuscrits du producteur pour que l’Hyène étudie et imite son écriture. Elle chipait ses vêtements, bref, grâce à cette fille, l’Hyène a investi Cutepley. Tout allait bien pour les affaires de votre Fantômas, patron, lorsque vous l’avez démasqué. Seulement (et là je biche comme un pou sur une poubelle) vous avez commis une erreur…
— Ah oui ? ronchonne le déchevelé.
— Oui. Lorsque vous avez barboté le verre de la fille pour vérifier les empreintes, VOUS AVEZ PRIS CELUI DE CUTEPLEY. Or, ce jour-là, l’Hyène commençait à faire des essais de transformation sous les apparences de sa future victime, lesquelles étaient faciles à prendre, vu la caricature ambulante du bonhomme. Votre erreur a tout déclenché, Boss ! Tout ! CAR SI VOUS AVIEZ PRIS LES EMPREINTES DE LA FILLE QUE VOUS SUSPECTIEZ ? VOUS N’AURIEZ PAS OBTENU CELLES DE L’HYENE !
Saisissant, quand on le raconte commak, hein, mes loutes ! c’est pourquoi j’ai demandé à l’imprimeur d’écrire cette phrase-clé dans un autre corps de caractères. Faut que ça jaillisse du texte ; que ça évidence impeccablement.
Il est indécis, le dirlo. Il se demande s’il doit apprécier son erreur ou au contraire en être vexé. À la fin il se décide pour le contentement et me déballe la formule dont se servent les chats lancés du troisième étage, pour retomber sur les pattes :
— Le dieu des policiers veille toujours, San-Antonio, ceci en est la preuve.
Gonflé, non ? Foutre Lourdes dans sa gourance pour la magnifier, c’est du grand art. Passez-moi l’encensoir que je lui virgule ma tournée !
— La mort brutale, tragique et prématurée de Patricia a mis la vérole dans le chantier. On a joué panique à bord, chez l’Hyène. Ils ont eu peur… Avant tout, il devait liquider la femme de chambre noire pour éviter que la police la cuisine. L’exécuteur des basses œuvres l’a noyée. Mais quand il a rendu compte de sa mission à son chef, celui-ci s’est foutu en colère. Il avait demandé à son boy scout de s’arranger pour que ça ait l’air accidentel. Un accident survenant dans la piscine d’une villa louée sous un faux blaze risquait de tout compromettre. Risquant le tout pour le tout, le gars est retourné chercher le cadavre. Une meilleure idée avait germé dans l’esprit de l’Hyène : faire disparaître la petite Noire pour mettre la police sur une fausse piste. Pendant qu’on la chercherait, notre homme aurait les coudées franches. Il a kidnappé Cutepley et l’a emmené en Suisse à bord de son avion particulier. Le cadavre de la femme de chambre faisait partie du voyage.
— Pourquoi ? demande le Vioque.
Je secoue la tête.
— N’oubliez pas que je ne vous fais pas un rapport officiel, patron, mais j’interprète quelques aveux susurrés par un moribond. À propos de la femme de chambre il m’est venu l’idée suivante : en conservant plusieurs jours le cadavre dans la glace, l’Hyène stoppait la décomposition. Par conséquent, si par la suite il le balançait dans le lac de Neuchâtel, on pourrait croire alors que la petite Katy avait été noyée récemment ; c’est là, je pense, que devait se refermer l’étau sur Chemugle-la-nave.
— Pas mal imaginé, complimente le Déboisé. En conclusion, c’est un faux Cutepley qui est allé en Suisse et qui a récupéré les fonds dissimulés par le vrai ?
— Exactement. Mais notre venue chez Chemugle a été signalée par le larbin italien qui était un comparse de la bande. Immédiatement l’attentat contre moi a été perpétré. On m’a mis sur la touche en attendant les décisions de l’Hyène, occupée alors à faire sa grande récolte.
— Et vous vous en êtes formidablement tiré, San-Antonio, déclare le Vieux. Comme je suis fier que ce soit un policier français qui ait mis fin aux agissements de ce criminel hors série !
— Et moi donc ! ricané-je.
Je me lève :
— Si vous voulez bien m’excuser, patron : on m’attend…
— Une dame ?
— Pour ne rien vous cacher, oui. Une Suissesse ! Ce sont les plus jolies filles de la planète.
— Je vous réitère mes compliments, sourit le Dragéifié.
Il me tend à nouveau la main. Au lieu d’y intégrer la mienne, je dépose dans le creux de sa paume une minuscule clé chromée.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? s’étonne mon supérieur hiératique.
— La clé de la consigne où j’ai déposé la valise contenant les cinquante millions suisses à l’aéroport de Genève.
Comme il ouvre de grands yeux, j’ajoute :
— Vous aviserez, moi, je n’ai pas pris le risque d’affronter les douaniers avec ce magot, je tiens trop à ma carrière.
Il éclate de rire.
Et son rire retentit encore dans la cage d’escalier au moment où je retrouve Mme veuve Chemugle qui m’attend sagement en bas, sur une banquette râpée.
Elle est venue à Paris pour se changer les idées.
Vous ne pouvez pas savoir ce que le noir lui va bien !