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— Faites vite, nous décollons dans quatre minutes.

— Puis-je vous demander, commandant, de faire charger mon second équipier dans l’appareil ?

— Volontiers. Vous avez une curieuse équipe.

Je m’abstiens de répondre, primo parce que je suis pressé, deuxio parce que je suis vexé. Je tape un deux cents mètres jusqu’au bureau où m’attend un appareil téléphonique décroché.

La voix du Vieux se faufile dans mes trompes d’Eustache.

— San-Antonio ?

— Lui-même, patron.

— Je viens d’obtenir un renseignement d’Élisabethville. Mme Vachanski est descendue à l’Hôtel Albert 1er. Voilà qui va dès l’arrivée écourter vos recherches.

— Merci. C’est d’autant plus intéressant que le mort de la villa Dupont avait une réservation dans ce même hôtel.

— Bon voyage.

Je raccroche et pique un nouveau sprint en direction de l’appareil. On n’attend vraiment plus que moi pour commencer. Des employés me font signe de me remuer le baigneur. J’escalade l’escadrin comme un dingue et je m’abats dans les bras d’un steward en uniforme, en déplorant in petto que ce ne soit pas une hôtesse de l’air.

— Mon second collaborateur est à bord ? demandé-je dès que j’ai pu récupérer suffisamment d’oxygène.

— Oui, monsieur le commissaire.

Le steward me désigne le révérend Pinuche, effondré dans un fauteuil, avec, en guise de bagage, un bronze d’art de vingt kilos représentant une Diane apprivoiseuse coiffée d’un ignoble chapeau mou.

— Mais ! Mais c’est, pas lui, haleté-je.

Le steward ouvre des coquards immenses.

— Quand j’ai demandé qui accompagnait le commissaire San-Antonio, ce monsieur a crié : « moi ! moi ! ».

Brave Pinuche ! Du fond de sa biture, il a eu ce réflexe de fidélité !

Je m’apprête à lui faire évacuer le zinc rapides, mais je suis pris de court.

— Asseyez-vous vite et attachez votre ceinture ! m’enjoint le steward, il est trop tard maintenant, nous devons laisser la piste.

J’obéis. Dans le fond c’est marrant, non ? Pinaud, le jour de sa retraite, partant pour l’une des plus lointaines de nos enquêtes !

L’Afrique dévide sous nous le mirage coloré de ses terres couleur de feu (cette phrase pour vous prouver qu’en révisant mes accords des participes je pourrais décrocher le Goncourt). Pinuche s’éveille, bâille et me sourit gentiment.

— Tiens, on a pris l’autobus pour aller à Vincennes ? remarque-t-il.

Il s’étire.

— On a drôlement picolé, hein ?

Il regarde autour de lui, aperçoit Béru et déclare :

— Ma femme est avec les autres ?

— Oui, réponds-je.

— Elle a dû filer devant pour ouvrir le bistrot ?

— Vraisemblablement.

— J’offre une tournée générale…

— Merci !

Mon laconisme le surprend.

— T’as pas l’air en forme ce matin, la G.D.B. ?

— Y a de ça.

— Où sommes-nous ? murmure-t-il en regardant par un hublot.

— On va arriver à la station Tombouctou, mais ce n’est pas notre arrêt.

Pinuche n’y voit que du bleu. Puis il penche la tête et ce qu’il aperçoit, six mille mètres plus bas, il l’a déjà vu sur un couvercle de dattes.

— Mais, San-A. ! bredouille-t-il. Mais… Mais…

— Arrête de bêler, papa. Un voyage au Congo, c’est un chouette début de retraite, non ? Ce sera notre virée d’adieu en quelque sorte.

Je lui explique la nature de la méprise. Il caresse tristement le derrière d’airain de la Diane chamoisante.

— Moi qui voulais offrir une tournée générale, bredouille-t-il.

— Tu l’offriras à Élisabethville.

Il s’épanouit.

— Farceur ! Tu m’avais dit qu’on allait au Congo !

— Ben oui.

— Élisabethville, c’est en Seine-et-Oise !

CHAPITRE V

Lorsque notre coucou s’est enfin posé sur la piste d’Élisabethville, le brave, l’honorable, le retraité Pinaud découvre qu’il existe deux Élisabethville. Des Noirs en pantalon de coutil beige et chemisette blanche à manches courtes s’activent autour de notre Caravelle modèle réduit.

À la douane, j’ai quelques difficultés à faire passer le Révérend, car j’avais rempli le visa au nom de Mathias, mais fort heureusement je tombe sur un fonctionnaire qui me connaît de réputation et les choses s’arrangent.

Nous frétons un taxi. C’est une rutilante chignole américaine, conduite par un chauffeur noir en short bleu. Nous nous y répandons tous les quatre : Béru, Pinuchet, Diane et moi, le fils chéri de Félicie, ma brave femme de mère (présentement en vacances chez sa cousine Adèle).

— Hôtel Albert 1er ! dis-je.

Le pilote fait un démarrage sur les enjoliveurs et nous entraîne dans un paysage katangais magnifique. La flore est fabuleuse : des tiffosis-congénitaux, des cordonus-lombilicalus en fleurs, des gougnafiés géants, des trouvuduvucavus-épineux, des cryptogrammes à lianes, des stradivarius nains, des hermaphoridites à lupus, des cubitus à moelle et des résédas. Vous imaginez cette débauche florale ?

La route se transforme peu à peu en rue de banlieue. Maintenant elle est bordée de cases : la case de l’oncle Tom, la case de l’Amiral, etc… Bientôt, ce sont des buildings superbes et généreux, de vraies rues avec des signaux lumineux, des magasins de luxe, bref, tout ce qui fait qu’une ville est une grande ville. Sur tout cela, le soleil.

L’Hôtel Albert 1er se dresse dans une avenue bordée de palmiers. C’est un vaste bâtiment aux lignes harmonieuses.

Des grooms galonnés comme des caporaux haïtiens poussent la porte-tambour qui leur sert de ventilateur. Nous entrons dans l’ordre suivant : Moi, San-Antonio, puis Pinuche et Diane, Béru ferme la marche. Le Gros n’en casse pas une depuis le départ. Il a la bouche en fond de cage de perroquet et ça le rend taciturne. Sa barbe a poussé, ses ecchymoses ont violacé, ses yeux se sont injectés de sang et il a la démarche pesante d’un éléphant qui viendrait de faire le tour de l’Asie avec le roi Farouk comme cornac.

Je m’élance vers la réception. Mon nom suffit à défricher la situation.

— On a téléphoné de Paris pour nous annoncer votre arrivée, monsieur le Président, me dit un gars qui ressemblerait à Mao Tsé-toung s’il ne ressemblait déjà à Jeanne Fusier Gir.

Monsieur le président ! Voilà du 9 et du raisonnable. Une idée du vioque encore. Je pige l’astuce. Il veut me signifier ainsi que je dois garder l’anonymat.

Le Gros qui la tenait hermétiquement close persifle :

— Président de mes…

Heureusement, Pinaud en éternuant (il vient d’attraper un chaud et froid) lâche Diane qui choit sur les nougats du Gros. Béru pousse une clameur que les gens de l’hôtel prennent pour un exercice d’alerte.

— Espèce de vieil enviandé, hurle-t-il, tu pouvais pas la laisser à Paris ta gonzesse en ferraille.

Pinaud pincé répond :

— Je te serais reconnaissant de respecter les œuvres d’art. On n’insulte pas une pièce comme celle-ci.

Il récupère son monument et l’examine.

— Ça y est, larmoie-t-il, le chamois a une oreille cassée !

— Ça te fera toujours ça de moins à charrier, hé, épave !

— Répète ! lance le Fossile.

— Un mec qu’est à la retraite c’est une épave, et je pèse mes mots !

— Pèse-les bien, parce que je suis prêt à t’attenter un procès en diffamation. Ça pourrait te coûter ta carrière. N’oublie pas que je ne suis plus dans…