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— Asseyez-vous, je vous écoute.

Il contourne son burlingue ministre et s’accoude à son sous-main de maroquin.

— Monsieur le Consul, je me trouve ici depuis quelques heures en mission secrète. En compagnie de deux de mes inspecteurs, je devais enquêter sur certaines personnes étrangères dont le comportement a paru suspect à mes chefs. Or, mes hommes ont été kidnappés dans la soirée. Un mystérieux correspondant leur a fixé rendez-vous à Bokono en mon nom. Sans méfiance ils s’y sont rendus. Là une auto les attendait qui les a emmenés dans le cœur de la brousse.

Je me tais pour le laisser parler, mais il tarde à jacter, le diplomate. À mon avis il manque de chaleur. J’espérais un peu plus de compréhension et un esprit coopératif plus poussé.

— Voilà qui est fâcheux, fait-il.

Entre nous et la prochaine édition de France-Soir, j’avais déjà eu la même idée avant de carillonner à sa porte.

— Je voudrais faire quelque chose, vous vous en doutez, poursuis-je courageusement, mais dans ce malheureux pays déchiré par la guerre civile, j’avoue que je me sens perdu.

Il ôte ses lunettes et se met à les fourbir avec la pochette de soie de son smoking.

— Cher monsieur le Commissaire, une confidence en vaut une autre. Je viens moi-même d’arriver à Élisabethville et je fête ce soir mon entrée en fonctions avec les personnalités de la ville.

— Parmi elles, M. le Consul, n’y a-t-il pas un notable de la police ou de l’armée ? Quelqu’un qui puisse me permettre enfin de disposer d’une certaine force armée pour rechercher mes compagnons ?

Il hésite un instant.

— Attendez-moi ici, fait-il.

Puis, désignant avant de sortir une cave à liqueurs :

— Si vous voulez vous servir un verre.

Je veux que je veux. Il n’a pas fermé la porte que j’ai déjà sélectionné la boutanche de noir et blanc (dans ce pays c’est tout indiqué) et que je m’en vote une rasade à l’unanimité plus ma voix.

Le coup de remonte-moral me fait grand bien. Je me dis que tout n’est peut-être pas perdu. Mes deux compères se sont déjà trouvés dans des draps plus sales que leurs chemises et ils s’en sont (et Dalida) tirés.

Je me sers un nouveau gorgeon d’optimisme en bouteille et le Consul revient. Il tient à la main une feuille de papier sur laquelle quelques lignes d’écriture commencent de sécher. Il l’évente pour hâter cet assèchement.

— J’ai parmi mes invités le sous-directeur des mines de Kestadéssou. Il est au mieux, paraît-il, avec les services de police. Voici un mot de recommandation. Je lis :

« Prière de prêter assistance au porteur de la présente. Merci.

Van Danléwal.

— Merci, murmuré-je, je dois aller à l’hôtel de police avec ceci ?

— Oui. Inutile de leur apprendre qui vous êtes et ce que vous faites ici. Dites-leur que deux de vos amis ont voulu se promener en forêt et qu’ils n’ont pas reparu.

— Entendu !

Je prends congé du consul et je vais rejoindre mon brave chauffeur qui s’est endormi, le nez sur son volant.

Il se frotte les gobilles et me regarde comme s’il ne m’avait jamais vu.

— À la police ! enjoins-je. Et rapidos, mon lapin, y a du lait sur le gaz.

La permanence est faiblarde. Trois flics en uniforme pioncent sur des bancs de bois lorsque je m’annonce. Je demande à parler à leur chef et ils me font tout un tas de salades. La force d’inertie m’a l’air d’être la principale de ce bled. Au bout d’une demi-heure, un officier couleur de tunnel pas éclairé fait son apparition en bouclant son ceinturon. Il a l’air vanneur et de mauvais poil. Je lui raconte ma fable et lui bonnis que je suis un aminche de M. Van Danléwal. Comme preuve de ce que j’avance je lui montre le papier. Il l’épluche laborieusement. M’est avis que ce gars a appris à lire dans le marc de caoua.

— Demain on fera une patrouille, décide-t-il.

Je bondis.

— Vous charriez, non ! Pendant ce temps on est en train d’écorcher vifs mes amis !

Ça ne le tourmente pas outre-mesure.

— On ne peut rien faire ce soir. La nuit c’est pas possible.

— Mais…

— Et puis je n’ai que ça comme effectifs !

Je jette un regard lamentable aux trois zigotos qui se sont presque rendormis. Effectivement c’est pas bézef. Je suis comme dans un piège à rats. Que faire ? Où aller ?

— Revenez demain, ajoute l’officier.

Je moule le gnaf sans même lui dire au revoir. Il me court après.

— Tenez, reprenez ça.

« Ça » c’est le dérisoire mot de recommandation de Van Danléwal. Ah, y a pas d’erreur, il a de l’autorité sur les autorités, ce brave homme. Je fourre mon bifton dans ma fouille et je regagne mon hôtel.

— Vous avez retrouvé vos amis ? demande le portier.

— Non.

— Ils finiront bien par rentrer, ils doivent faire la tournée des grands ducs…

Mince de tournée ! Si c’était ça, la fameuse tournée générale promise pour le ci-devant inspecteur principal Pinaud !

— Et vous, attaqué-je, pas de nouvelles de madame Vachanski ?

— Aucune…

Je surprends un petit éclat ironique dans son œil de portier. Je ne sais pourquoi ça me fout en rogne. Pas contre lui, mais contre moi-même. Je me dis que lorsqu’on est San-Antonio et qu’on possède ma réputation, on ne se balade pas de guichet d’hôtel en guichet de commissariat pour pleurnicher. On agit.

Afrique ou pas Afrique, forêt vierge ou non, j’en ai classe de me sentir dépasser par les événements.

— Appelez-moi un taxi !

— Le même, monsieur ? ironise le gars.

Je lui braque un regard si noir qu’il en a les poils de la poitrine qui dégringolent comme du duvet de pissenlit un jour de mistral.

— N’importe lequel, et ce sera pas la peine de l’envelopper, c’est pour consommer tout de suite.

— Bien monsieur, hoquette le galonné.

Je vais attendre le bahut sur le pas de la lourde.

J’ai les nerfs vachement radioactifs brusquement. Vous savez l’effet que les épinards produisent sur Mathurin Popeye ? Le regard moqueur du portier m’a fait le même. Je vais casser la cabane, annexer le Congo, m’emparer de l’Afrique. Parfaitement. Je vais te leur montrer à tous ces foies blancs combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux… un flic.

Il y a encore sept prunes bien mûres dans mon magasin de primeurs. Elles seront pour le premier qui me fera du contrecarre.

— C’est pour vous, M’sieur ?

Un nouveau chauffeur de taxi, mais qui ressemble au précédent comme deux gouttes de café, vient de surgir.

— C’est pour moi. À Kakahobarhi en vitesse ! Tu connais l’usine de M. Brasseton ?

— Oui, M’sieur.

— Eh bien, c’est là que je vais…

CHAPITRE VIII

La conserverie s’élève à droite de la route. En face, dans un magnifique parc, se dresse un bungalow tout blanc de style colonial.

— M’sieur Brasseton l’habite là, M’sieur.

— Merci.

— Faut vous attendre, M’sieur ?

— Non.

Je le paie avec cette générosité qui me vaut l’estime des gens pour lesquels le pourliche est une institution. Puis je fais mine d’aller carillonner à la porte fermant la propriété. Mais mon doigt ne fait qu’effleurer la sonnette. Le taxi repart et je demeure seulâbre dans le noir, à looker cette opulente maison où quelques fenêtres du bas sont encore éclairées.