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Grâce à l’ami sésame, j’opère la lourde sans avoir besoin de lui faire une anesthésie et j’entre dans le domaine de Jean Brasseton.

Les accords d’un piano tombent dans la touffeur de la nuit africaine. Comme je m’aventure en direction de la crèche, une chose noire et silencieuse bondit dans ma direction. Un rayon de lune me renseigne : il s’agit d’un fauve. Mon sang ne fait qu’un tour, mais dans le mauvais sens. Je sens mes extrémités qui se solidifient. Voilà que je vais devoir défourailler sur le bestiau avant d’avoir pu m’approcher.

Mais soudain je reprends vie et mon doigt qui cherchait la gâchette de Tu-Tues s’arrête. Because le fauve s’est arrêté aussi. Il me fixe les narines froncées, les oreilles pointées en avant. C’est un guépard dressé.

— Minet, minet, je lui susurre pour l’amadouer.

Il ne bronche pas. Je commence de reculer tout doucement. Cet endoffé avance. Ses pattes élastiques ne font pas plus de bruit qu’une araignée arpentant sa toile. Je remarque par contre quelque chose : ses babines se retroussent de plus en plus et des chailles grosses comme des porte-manteaux, brillent à la lumière de la lune. Je vous parie ma première dent de lait contre le râtelier complet de Monsieur que ce chien de garde d’un nouveau genre s’apprête à me déguster tout cru. Il va briffer du San-Antonio nature si je le laisse faire. Heureusement, avec mon pétard à la main, je me sens moins vulnérable. Je le braque bien, entre les prunelles. Au moindre élan il reçoit la valda dans le bocal.

Me revoici à la porte. Je passe ma main gauche par derrière, et j’ouvre à tâtons. Pas une seconde je n’ai cessé de fixer le guépard. Maintenant il s’agit de lui jouer un court métrage de Charlot. Tu y es, San-A. ? Bon. La porte étant ouverte, je fais un saut en arrière, très brusque. L’animal marque un temps de surprise, puis il bondit à son tour. Moi, je vous le répète, je n’ai vu faire ce que je fais que par Chaplin, et lui avait tout le loisir de recommencer les prises de vues aussi souvent qu’il le jugeait bon. Au moment où le guépard saute, je fais une esquive de toréador. Ce gland franchit la grille. Il est surpris de ne pas me trouver devant lui et regarde à gauche puis à droite, sa queue fouettant l’air rageusement. Pendant ce temps, le gars San-A. qui possède les réflexes les mieux huilés de l’après-guerre, le gars San-A., répété-je, claque la porte, si bien que cette patate de guépard se trouve enfermé dehors, comme l’ivrogne qui faisait le tour de la grille de protection d’un arbre.

Tout autre qu’un guépard mettrait à profit cette liberté retrouvée. Pas lui ! Il veut rentrer chez le maîmaître, ce locdu ! Il est comme les hommes, il aime les chaînes. La férule, c’est son vice. Au lieu de retrouver la forêt natale et de se payer de baths petites femelles fringuées chez Révillon, cette crêpe voudrait pouvoir sonner à la grille pour qu’on lui rouvre la porte de sa cage.

Je voudrais bien que l’animal aille dans la nature. S’il se met à faire du foin ça risque de donner l’éveil et ça je ne le veux à aucun prix. Il me vient alors une idée, puisée à vrai dire, dans les fascicules illustrés qui enchantèrent mon enfance. Je sors ma boîte l’allumettes et je me mets à les gratter, l’une après l’autre, en les expédiant d’une pichenette en direction du fauve. Le guépard recule chaque fois un peu plus. Il prend une alouf embrasée sur le museau et se sauve brusquement ; sans doute vient-il de décider que les hommes ne sont décidément pas une fréquentation convenable.

Je me dirige vers le bungalow en rasant un buisson de cactées. Le piano continue d’égrener ses notes dans la nuit chaude. Ça me fait penser à la France, j’évoque des soirées de sous-préfecture en été. Je revois des terrasses de café, des chiens tranquilles flairant les murs gris de chez nous, des affiches déchirées… Et puis j’entends des gammes jouées par une main débutante…

Allons, San-A. pas de vague à l’âme !

Je m’approche d’une baie ouverte. Un rideau de tulle frissonne doucement. Ses plis ondulent au gré d’un courant d’air timide. À travers le voilage j’ai une vue d’ensemble de la pièce. Il s’agit d’un vaste living richement meublé. Un piano à queue en occupe une partie.

Au clavier, se tient une petite femme rabougrie. Elle n’a pas d’âge avoué. On peut lui donner de trente à cent dix ans selon son degré de générosité. Ce qu’elle joue est vague, biscornu. C’est pourquoi j’ai pensé que c’était une petite fille qui jouait. J’écoute un moment les notes qui coulent au bout de ses doigts, me demandant si c’est « Au clair de la lune » ou bien « Elle me fait Pouêt-pouêt » que la pianiste essaie d’interpréter, puis je contourne le bungalow à la recherche d’une issue moins voyante que cette baie éclairée.

Pour les rouscailleurs qui sont parmi vous ; pour les diminués ; pour ceux qui ont la matière grise plus grise que les autres ; pour les bilieux, les constipés, les névrosés, je pense que le moment est venu d’expliquer les raisons de cette visite tardive à un monsieur que je ne connais pas encore. Je vais essayer de le faire en bon ( !) français, si vous ne pigez pas je recommencerai mes explications en patois dauphinois. Asseyez-vous, sucez des allumettes pour avoir plus de phosphore, ne jouez pas avec les bretelles de soutien-gorge des dames, déchaussez-vous si vos cors vous tracassent et surtout n’interrompez pas l’orateur car vous risqueriez de choper un kilo de baffe avec cartilages sur la vitrine. O.K. ?

Alors voilà. Comment se présente l’affaire au départ ? Un certain Sufler va dans une soirée congolaise de Paris pour connaître une madame Vachanski que quelqu’un que nous appellerons « X » jusqu’à nouvel ordre doit lui désigner. Cette dame court un danger puisqu’elle est protégée par un garde du corps armé. Vous me filez le train, les potes, je ne vais pas trop vite ? Dites-le franchement, quand on a comme vous un cerveau qui fonctionne avec des béquilles on a droit à des ménagements. Non, ça colle ? Bon.

À priori on pourrait croire qu’il va arriver un turbin à madame Maria Vachanski, pas vrai ? Eh ben non. C’est pour le monsieur qui s’intéressait à elle, c’est-à-dire pour Hans Sufler que ça se passe mal. Cézigue est buté. Et il est buté dans la maison inoccupée d’un certain Brasseton, industriel établi à son compte et au Congo.

Le Congo constitue dans cette affaire une sorte de dénominateur commun. L’homme assassiné s’apprêtait à y venir. L’homme chez qui il logeait provisoirement l’habite. La dame Vachanski y rapplique en compagnie de celui qui vraisemblablement lui sert d’ange gardien. Et naturellement le célèbre policier lancé sur l’affaire s’y pointe à tire d’ailes, escorté de son brain-trust. Ça carbure toujours ? J’ai des oreillers pour les ceuss qu’ont la coquille fragile, vous savez ? Bien vrai ? D’ac, je poursuis.

En résumant les choses par une formule quasiment algébrique sur les bords, je dirais que nous assistons à une guerre déclarée entre deux groupes. Le premier se compose de Mme Vachanski et de James Hadley ; le second de feu Sufler, de Jean Brasseton et du « X » dont au sujet de qui à propos duquel il a été causé plus z’haut.

Une partie serrée se joue sur la malheureuse terre Congolaise ex-Belge. À mon avis, et si j’en crois mon flair (pourquoi ne croirai-je point t’en lui !) mon arrivée inopinée a failli faire louper quelque chose. Le groupe Vachanski avait besoin d’avoir les coudées franches et n’a pas hésité à employer les grands moyens pour nous écarter, mes hommes et moi, de sa trajectoire. Or, si j’admets le bien fondé de mon raisonnement, cette lutte Vachanski-Brasseton arrivant dans une phase aiguë, je peux espérer retrouver Maria Vachanski très vite en surveillant Brasseton. L’ayant retrouvée, elle pourra me dire ce qu’il est advenu de mes équipiers. Voilà ? Un peu d’Aspirine ? Non ? Parfait !