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Un très léger accent belge.

Je me lance dans l’arène :

— Je suis un ami de Brasseton.

— Ah, bon ?

— Je ne sais pas si vous êtes au courant de ce qui s’est passé la semaine dernière pendant votre séjour à Paris ?

Son silence est crispé. On devine l’homme sur ses gardes.

— Allô ? fais-je, manière de donner une relance à l’entretien.

J’ai alors l’idée du siècle. Si je fixe rancard à cet homme dans un endroit neutre, il se méfiera.

— Je suis chez Jean, actuellement, il faudrait que vous veniez m’y rejoindre…

— Jean est avec vous ?

Je jette un furtif regard à l’image du colonial.

— Justement, Jean est mort !

— Quoi !

Je ne pense pas qu’il me berlure. L’exclamation est trop spontanée, trop véhémente.

— C’est pourquoi je vous appelle. Venez vite, il faut que nous examinions la situation.

— Très bien, j’arrive.

Il va raccrocher, mais il demande encore :

— Le guépard ?

— Je l’ai enfermé.

— À tout de suite.

Il raccroche et bibi aussi. Comme j’achève ce geste, je perçois un léger frôlement dans mon dos. Au moment où je me retourne, quelque chose siffle. Avant d’achever ma volte-face je fais un saut de côté, d’instinct. Et je prends sur l’épaule gauche un gnon terrible. Je regarde : la vieille cinglée est là, armée d’une barre de fer beaucoup plus conséquente qu’un bâton de sucre d’orge.

Son visage est révulsé par une noire fureur. Elle a les yeux qui lui pendent sur les joues, les chailles crochetées, la mâchoire tordue. Si je n’avais pas exécuté ce pas de danse je serai mort à l’heure qu’il est. Comme est mort James Hadley. Car maintenant il n’y a plus de doute : c’est la vioque qui se l’est fait. La voilà qui redresse la barre de fer pour essayer de m’assaisonner.

Malgré mon épaule endolorie (je ne sens plus mon bras gauche) je lui bondis dessus. La mêlée est confuse, la lutte ardente et noire. Cette sexagénaire est douée d’une force peu commune. Elle écume littéralement. J’ai toutes les peines du monde à lui arracher sa baguette magique.

J’y parviens tout de même et je balance la vieille dame dans un fauteuil profond.

— Ça vous prend souvent d’administrer des somnifères pareils, madame Brasseton ?

J’assiste alors à un phénomène étrange. Ce visage convulsé s’apaise ; ce masque de la fureur, cette statue de la haine deviennent peu à peu calmes et doux.

— Pourquoi vouliez-vous me faire du mal, madame Brasseton ?

Elle me sourit aimablement.

— Parce que je croyais que vous veniez voler le diamant de Jeannot, me dit-elle.

— Quel diamant ?

— Le diamant, vous savez bien…

— Non, je ne sais pas.

Elle chevrote un rire incrédule, puis tout de go, murmure :

— Vous prendrez bien quelque chose ?

— Merci, j’ai failli prendre et ça me suffit. Dites, madame Brasseton, si vous alliez au dodo ?

— J’attends mon petit. Il est à Paris et il va bientôt rentrer.

— Il ne rentrera que demain, vous devriez aller dormir, comme ça vous seriez en pleine forme pour l’accueillir. Hmm ?

Je profite de l’hésitation qu’elle parait manifester.

— Allez, venez, je vais vous conduire à votre chambre.

Docile, elle se lève.

Nous grimpons au premier. Elle pénètre automatiquement dans une pièce ; la force de l’habitude, c’est quelque chose. La chambre est meublée en ancien, sans doute sont-ce les meubles que Mme Brasseton mère possédait en Europe ?

Je m’empare de la clé, mine de rien, et je serre la louche de la vieille folle.

— Dormez bien, à demain !

J’évacue la piaule et je la ferme à clé. Si elle veut filer, elle sera obligée de sauter par la fenêtre. Comme le perron de la crèche se situe exactement au-dessous, elle serait, le cas échéant, dans l’impossibilité de nuire.

Puisque je me trouve à the first floor, je décide d’opérer une rapide inspection des lieux. Je vais de chambre en chambre, jetant un coup d’œil hâtif après avoir éclairé, et repartant. Comme j’arrive au fond du couloir devant la dernière porte, je stoppe comme une fourmi devant un trait tracé à la craie.

Quelque chose de rouge filtre sous la porte.

Et moi qui vous entretiens, moi San-A., j’en ai trop vu pendant ma carrière pour douter un seul bout d’instant que ça soit du sang.

Je délourde lentement. La porte obéit. Lumière ! Le spectacle n’est pas fameux. Faudrait rembourser, mais l’honnêteté se perd. Un superbe garçon noir, âgé d’à peine vingt ans, est allongé sur le plancher. On lui a filé un demi-chargeur de valdas dans la poitrine à l’emplacement supposé du cœur et il est mort au point que la statue équestre de Jeanne d’Arc, rue des Pyramides, semblerait plus vivante que lui. Le pauvre gars s’est vidé de son raisin et ça constitue un méchant tapis irrégulier.

Vous parlez d’une hécatombe dans cette maison !

Je redescends, plus pensif que le zig sculpté par Rodin ; celui qui se tient le dôme au bout du poing.

Le cauchemar continue, fastueux comme dans un film d’Alfred Hitch. C’est la vieille qui a buté James Hadley, ça sans aucun doute, seulement qui a flingué le jeune domestique noir ? Était-ce le Chauve au lampion ersatz ? Je vois à peu près le cinoche qui s’est produit : James H. s’introduit dans la casba. Ou bien il sonne et le larbin lui ouvre. James zigouille le boy. Puis il fouille la maison… C’est alors que maman Brasseton pique sa crise et se met à lui jouer Casque d’or avec sa matraque en fer forgé. Bon, tout cela est parfait, seulement un détail continue à me tarabuster : qui a fouillé les poches du Chauve ? La vioque ? Bizarre, ça ne correspond pas tellement à sa forme de folie. Mais je ne suis pas psychiatre.

Une bagnole vient de s’arrêter là-bas, derrière la grille. Un pas robuste crisse dans l’allée. Je prépare mon artillerie de poche et je descends afin d’accueillir le visiteur.

CHAPITRE X

Un homme d’une cinquantaine d’années, petit et trapu, avec une solide plantation de cheveux poivre et sel et plein de rides autour des yeux se présente. Il est en smok blanc. Son regard mince a une intensité peu commune. Ce mec-là, je le verrais bien à la tête d’un cirque ; il a ce quelque chose de rude, de brutal et d’un tantinet faisandé qui marque certains patrons de chapiteaux.

— Van Danléwal, me lâche-t-il à bout portant après m’avoir reluqué solidement.

Je lui fais un petit salut.

— Commissaire San-Antonio, des services spéciaux français.

Il avale mal la potion. Sa fine moustache de don Juan de banlieue tangue un peu au-dessus de sa bouche comme une petite mouette balancée par la houle[13].

— C’est à mon intention que vous avez écrit tout à l’heure un mot de recommandation pour la police.

— Ah vraiment ?

Je ne le perds pas de vue. Il semble très ennuyé, l’homme au smoking blanc.

— Suivez-moi, monsieur Van Danléwal, je voudrais vous montrer quelque chose…

Il me considère un court instant avec très exactement l’expression du monsieur qui hésite entre vous obéir ou vous faire respirer son bouquet de phalanges. Moi, par contre, je dois avoir l’expression du monsieur qui n’acceptera en aucun cas la seconde solution et il m’emboîte le pas.

Je le conduis au premier étage pour commencer. Nous allons tout droit à la chambre du jeune Noir assassiné.

— Banko ! murmure-t-il.

— C’est le domestique ?

— Oui. Qui a fait cela ?

— C’est ce que j’aimerais savoir, bien que je ne fasse pas partie de la police d’Élisabethville. Mais ce n’est pas tout là. Comme on dit dans nos bons vieux magasins de Pantruche : ce que vous ne voyez pas à l’étalage se trouve à l’intérieur ?

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13

Mon fort ce sont les métaphores.